
Ça y est: elles arrivent! Elles, parce que ce groupe de stagiaires est majoritairement composé de filles. Pendant toute une session, elles viendront nous observer, nous les praticiens de l'éducation, les maîtres de l'enseignement, les professionnels de la pédagogie, les virtuoses de l'apprentissage, les...
Bref, d'un ton poli, j'ai déjà accueilli quelques-unes de ces jeunes insouciantes. Un mot d'encouragement («Il est encore temps de te réorienter professionnellement»), un sourire avenant et hypocrite («Les élèves ne vont faire qu'une bouchée de celle-là»), puis elles se replongent dans le monde du secondaire, qu'elles ont quitté il n'y a pas si longtemps quand même, en violant l'intimité de mon sanctuaire scolaire.
Une fois une complicité bien établie, elles me parlent de cette autre école ou leur stage d'observation a consisté à boire du café toute la journée, car les profs n'étaient pas très enthousiastes à l'idée de leur ouvrir les portes de leur classe. Loin de vouloir excuser ce comportement affligeant, un enseignant, il faut le savoir, c'est sensible et très insécure. Il a peur du regard de l'autre, du jugement. är contre, il est plus rapide sur la gachette quand vient le temps de juger un élève.
Et avec ce que m'ont raconté ces stagiaires à propos de certains de mes collègues que je croyais bien structurés, je comprends maintenant pourquoi il vaut mieux ne pas tout savoir des autres... Car le plus rigolo dans une école, c'est qu'on travaille avec des gens qu'on ne voit jamais travailler. Chacun dans son local et fermons la porte, même si les murs ne sont parfois pas assez épais pour cacher le désordre d'une classe voisine.
Enfin, ces étudiantes m'ont réconforté en me parlant de profs que j'aime bien qui les ont laissées parler en classe, prendre le tableau et le contrôle. Pour ma part, de façon un peu sadique, je les ai obligées à s'asseoir à l'avant, à côté de moi:«Tu viens pour les observer, ben observe-les t'observer, ma grande! Tu vas voir si tu aimes ça 33 paires d'yeux qui te regardent et qui t'évaluent...»
Mais le pire, c'est d'accueillir des anciennes élèves, de celles qui t'ont subi pendant un an et qui en redemandent encore. Des masos, rien de moins! Dans ce temps-là, je les enguirlande un peu avec mon mordant habituel: «Va observer ailleurs! Magasine un peu! Sors du 450 pour voir la vraie vie!» Sauf que je sais que je parle dans le vide. Ce sont de futurs profs et elles ont déjà un trait de personnalité typique de cette profession : elles sont insécures, bâtard!