30 juillet 2007

Fin du match de ping-pong

Dans le cadre de cette tague ping-pong, Magrah me pose une question assez difficile, je dois l'avouer: Pouvez-vous nous décrire les membres de votre famille?

Pour moi qui ai le verbe facile, il m'est extrêmement difficile d'y répondre sans en être remué. En effet, je viens d'une famille que j'estimerais dysfonctionnelle et qui m'a fait comme je suis: frondeur, fort en gueule, travaillant, peu confiant, sensible, parfois écorché à vif, compliqué et parfois complexé.

Mon père

Mon père est décédé il y a quelques années et je lui voue un respect que certains comprennent encore mal. C'était un homme d'une autre époque qui n'a pas su s'ajuster au nouveau monde qui voyait le jour au Québec dans les années 60 et 70. Ouvrier dans la construction, il a appris à travailler dur et n'a jamais su profiter de la vie. Souvent absent à cause de son emploi parce qu'il voulait donner le meilleur à sa famille de sept enfants, il faisait figure du père autoritaire, froid, parfois violent dans ses paroles et dans ses gestes. Il était grand, juste, volontaire, autoritaire, déterminé, fort, mais pas assez fort pour changer.

Avec le temps, j'ai appris à comprendre qu'il était une victime malheureuse de son éducation rigide. Je l'ai vu pleurer, j'ai dû le consoler, je l'ai même nourri à la cuillère lorsqu'il a été opéré au coeur. Et il fallait voir ses yeux fiers et heureux quand il regardait ma fille!

N'empêche que j'ai souvent eu de la colère et de la rage à son égard. Aujourd'hui, je suis incapable de lui en vouloir pour le mal qu'il a fait et je préfère me concentrer sur le bien qu'il a tenté de donner autour de lui même s'il était parfois insoutenable et intolérable. J'apprends à lui ressembler pour ses qualités et à éviter de répéter ses défauts.

Ma mère

Ma mère est décédée alors que j'avais 14 ans. Cancer au cerveau inopérable. Son deuxième. Crises d'épilepsie fréquentes. Parfois confuse. À sa manière, elle aussi était absente. Mais Dieu qu'il en fallait du courage pour affronter la maladie et mon père dont elle a tenté de divorcer quelques mois avant son décès! Je me souviens encore de cet épisode ou nous avions tous déserté l'infernal foyer familial, qui chez une tante, qui chez un oncle. Mon père, qui savait que ma mère n'en avait plus pour longtemps à vivre, je crois, avait tout promis, tout accepté pour que nous revenions à la maison.

Dans sa jeunesse, ma mère était une femme belle, bien mise, fière d'avoir marié un homme travaillant. Puis, la relation s'est détériorée et je me souviens encore tout jeune de devoir séparer mes parents alors que mon père tentait d'étrangler ma mère.

Il y a des images qui marquent. Je rêvais d'être adopté par les parents de mes amis, de devenir pensionnaire au collège de Rigaud. J'évitais de recevoir mes camarades de classe chez moi, de crainte qu'ils découvrent, qu'ils sachent... J'avais honte.

Mes frères et sœurs

Par un hasard génétique, mes parents ont conçu dans l'ordre trois garçons, trois filles et moi! Petit dernier au statut ambigu (...), tout jeune, j'ai développé peu de liens avec mes frères à cause de notre différence d'âge. Le plus vieux d'entre eux était à l'université que je terminais à peine mon éducation primaire. Mes deux soeurs les plus vieilles avaient déjà fui la maison familiale quand j'entrais dans l'adolescence.

Reste la plus jeune avec qui j'ai appris à tout faire dans une maison à la suite du décès de ma mère. Prof masqué est aussi Prof ménager et Prof bricoleur! Mais la vie étant parfois mal faite, elle s'est brouillée avec toute la famille pour des raisons qui lui appartiennent. Le chaînon entre les plus vieux et moi est devenu manquant.

Aujourd'hui, les membres de ma famille proche se résument à trois frères et deux soeurs avec qui j'ai peu en commun. On se voit aux Fêtes, aux enterrements, dans certaines circonstances spéciales. Mais il est difficile de se sentir près de ceux-ci: dès mon enfance, ils avaient déjà leur vie et je commençais la mienne. Nous avons eu chacun nos chemins, simplement.

Je suis parfois triste à cause de cette situation. Pour moi, une famille doit être un nid, un refuge, un lieu d'amour, de partage et de protection. Il nous a été difficile d'être cela les uns pour les autres. Tout au moins, il leur a été difficile de l'être pour moi. Alors, simplement, j'ai appris à être seul.

Et aujourd'hui, je regarde tendrement ma fille et je cherche à lui donner et la rigueur et l'amour dont elle a besoin. J'ai longtemps eu peur de l'aimer, de peur de la perdre. Mais ma fille a été plus forte que mes craintes.

Ma fille

Fille masquée est ma véritable famille maintenant, je crois. Même si je ne la vois qu'à temps partiel, j'ai compris, depuis peu, que je suis son père à temps plein. C'est un drôle de numéro! Elle a 14 ans, débute sa cinquième secondaire, réussit bien à l'école mais, plus que tout, elle a su combiner le meilleur de ses deux parents qui ne sont jamais demeurés ensemble. Vive, intelligente, cultivée, curieuse, affectueuse, mature: elle aime lire, est passionnée de hockey et maniaque de sciences! La qualité de nos échanges me surprennent chaque fois. Madame masquée est parfois surprise de tout ce dont nous pouvons discuter ensemble!

Voilà, Magrah, une longue réponse à une question difficile.

12 commentaires:

J. RAFFE a dit…

C'est un beau billet, malgré la tristesse qu'il contient. Je comprends qu'il ait été remuant à écrire. Les familles dysfonctionnelles arrivent à donner naissance à des gens fantastiques, remplis d'intelligence et de sensibilité.

Forsythia a dit…

Je suis contente d'avoir inventé le ping-pong bloggale pour voir des résultats comme celui-ci. Beau billet, d'une grande générosité. Vous avez réussi à rendre beau cette partie de votre vie qui est plus difficile.
Touchant.
Merci de ce partage.

A.B. a dit…

«[...] je viens d'une famille que j'estimerais dysfonctionnelle et qui m'a fait comme je suis: frondeur, fort en gueule, travaillant, peu confiant, sensible, parfois écorché à vif, compliqué et parfois complexé.»
J'ajoute avec un coeur grand comme ça et une générosité sans borne, car il en fallait beaucoup pour répondre à cette question comme tu l'as fait. Plusieurs se seraient contentés de répondre rapidement, sans se dévoiler. Mais tu es le Professeurs Masqué et tu nous as habitués à des billets et des commentaires remplis de sensibilité et de sagesse, alors tu te montres, encore une fois, à la hauteur de ta «réputation»!

unautreprof a dit…

Voici un billet très touchant prof masqué. Vous avez le talent d'écrire, de décrire.

Votre père me fait un peu penser à mon défunt grand-père. Une figure forte, à la fierté immense, à l'orgueil froudroyant, mais aussi à la rigueur constante et au travail acharné. Dur, froid et autoritaire avec ses 7 enfants, doux, tendre avec les petits-enfants.

Il a marqué 2 générations entières, a immigré au Canada sans le sou, a su, à force de zèle et de persévérance, donner le meilleur à ses enfants, leur permettre l'éducation qu'il n'avait pas reçue.

Mon caractère bouillant, ma droiture, ma fierté à l'inverse du québécois "né pour un p'tit pain", mon éthique et souci professionnel, mon nez un peu bossu que j'ai tant détesté plus jeune, tout ça fait partie du bel héritage que mon papi m'a transmis, tout comme ma difficulté à admettre que j'ai besoin d'aide, mon orgueil titanesque.

Merci du témoignage:)

Fille masquée a l'air extra, vous devez être fier!

Hortensia a dit…

Billet touchant de sincérité et de lucidité.
Ça prend beaucoup de courage pour se raconter ainsi.
Merci de votre confiance.

Ness Eva a dit…

C'est vraiment touchant comme billet. Dans le tourbillon de votre famille, vous avez su maintenir le cap et garder la tête hors de l'eau. Vous faites aussi preuve d'une grande force intérieure. C'est remarquable!!

Fille Masquée semble être aussi formidable que son papa. Mais elle a 14 ans et elle sera en 5e secondaire?!

Merci de la confiance que vous avez envers vos lecteurs... ça prends beaucoup de courage et d'audace pour remuer tant d'émotions et de souvenirs afin de nous permettre d'en savoir un peu plus sur votre jardin secret...

Le professeur masqué a dit…

J. Raffe: parfois oui, parfois non. Disons que j'essaie de travailler fort et pour moi et pour ma fille.

Hortensia: profitez-en. Je suis d'un naturel gêné malgré la grande gueule!

Safwan: tu me connais plus que certains ici et tu me connais davantage maintenant. Tu sais l'importance que j'accorde à aussi à l'honneur et à la parole donnée. Je me voyais mal accepter de jouer à cet échange et ne pas respecter les règles que tous ont suivi. Pas mon genre, même si parfois c'est pas toujours facile...

Un autre prof: une confidence: j'aime écrire, j'aime lire, j'aime apprendre! Ce trait de caractère est dominant chez moi. Les mots sont si merveilleux quand on commence à les apprivoiser et qu'on leur fait confiance.

Apprendre à garder le meilleur et oublier le pire est parfois la seule chose à faire.

Pour Fille masquée, je suis surtout content pour elle de la voir grandir de la sorte. Les enfants méritent le meilleur de nous-mêmes le plus souvent possible. Je tente de l'accompagner, j'évite les longs discours pour favoriser la discussion.

Hortensia: parler, c'est souvent être capable de gérer ses émotions. Mme masquée vous dira que je parle peu, mais que je pense longtemps.

Ness: Fille masquée avait des aptitudes assez jeune parce que ses deux parents (enseignants)ont toujours trouvé important qu'elle fasse preuve d'un bon vocabulaire, qu'elle aie une enfance stimulante et le plus équlibrée possible, même s'il y a eu des tempêtes mémorables...

Pour ma part, je crois qu'elle a tapé des scores dans les tests de QI simplement parce qu'elle avait une riche banque de mots en tête. Elle a donc dérogé et sauté une année par la suite dans son parcours scolaire. J'étais contre, sa mère était pour.

Aujourd'hui, Fille masquée a une moyenne générale d,au moins 90% en quatrième secondaire, mais plus que tout, elle est heureuse et elle arrive à bien vivre la différence d'âge. Elle est à la fois une enfant et une ado. Elle a toujours de besoin de câlins et j'essaie d'être toujours disponible pour elle malgré la maudite garde partagée (...)

Pour le reste, je suis content d'avoir eu tort et que sa mère aie eu raison. La vie est souvent ironique. Parfois, il vaut mieux laisser le temps passer pour départager la validité de certains choix (tout en demeurant vigilant quand même).

Une Peste! a dit…

Beau billet que voilà.

Cela m'amène à "penser" ma famille autrement.

Ce qu'ils sont et ce qu'ils m'apportent.
Ce qu'ils m'enlèvent aussi ..

Magrah a dit…

Merci beaucoup, Prof masqué, de vous être prêté au jeu si généreusement.

Anonyme a dit…

Cher Prof masqué,

D'abord, merci d'être la personne que tu as construite malgré tout. C'est une joie de suivre l'évolution de ton blogue, certainement liée à la tienne.

Ta sensibilité t'a propulsé et a fait de toi une personne avide de comprendre au-delà de ce que tu as personnellement vécu et de ne pas répéter, mais plutôt de créer une nouvelle vie et de nouvelles conditions de vie, tout en éduquant afin de partager ce désir de ne pas répéter les erreurs dont tu as souffert.

Je ne peux m'empêcher de faire un rapprochement entre la maladie qui a emporté ta mère et toutes les préoccupations et le mal d'être qu'ele devait garder secret dans son coeur et sa tête.

Ton avidité à lire, écrire, communiquer, discuter, il est difficile de ne pas en voir la source. Mais ce qui est vraiment chouette, c'est les dimensions que ces qualités ont pris!

Ton blogue à peine créé, je me souviens de ta peine quand tu as perdu un étudiant. Et j'observe depuis quelques temps combien tu sembles bien dans ces rapports d'amitié qui se développent via ton blogue, puisqu'il y a bien de vraies personnes derrière ou plutôt devant ces écrans. Je te sens plus léger, plus confiant, et chaleureux. Quel plaisir!

Et j'ajoute que je suis totalement d'accord avec les propos de Safwan.

Amicalement, Zed :)))

Anonyme a dit…

Je n'osais pas écrire un commentaire sur ce billet étant donné qu'il est très personnelle et que Prof Masqué connaît déjà toute mon admiration pour lui (même si il n'accepte pas souvent les compliments). C'est vrai, il parle peu, mais on le sent réfléchir à des kilomètres à la ronde...
Je suis particulièrement fière de le voir agir avec autant d'amour et de tendresse envers sa fille qui devient, en grandissant, une personne extraordinaire. D'ailleurs, en vieillissant, elle devient aussi, sinon plus, «baveuse» que son père! Quel sens de la répartie! Si seulement vous pouviez assister à leurs discussions...

Prof Masqué, même si ce blog n'est peut-être pas le meilleur endroit pour le dire, je vous aimes.

Le professeur masqué a dit…

Hortensia: Vaut mieux penser à ce qu'elle nous apporte. À tort, je crois qu'il n,existe pas de gens méchant. Que des gens intensément malheureux.

Magrah: ben... ne me gênez pas, là!

Zed: je ne suis pas sûr si j'évolue vraiment intérieurement, mais disons que je me suis permis d'être plus «personnel» sur ce blogue.

La sensibilité est une belle qualité et un maudit défaut à la fois. C'est un peu comme une épée qu'on doit tenir par la lame...

Mme Masquée: moi tout mon pitou!