Dans le cadre de ses États généraux, le milieu du théâtre vient d'adopter une proposition à l'effet que l'État québécois «rende obligatoire la fréquentation du théâtre professionnel par tous les élèves du Québec.» On ne se cachera pas que le boycott des activités parascolaires par les enseignants lors des dernières négociations avec le gouvernement a sûrement contribué à l'adoption de cette proposition.
Je me souviens qu'à l'époque, un représentant du milieu théâtral avait dénoncé les enseignants qui «prenaient en otages la culture des jeunes» et qui «affamaient les compagnies de théâtre» alors qu'ils «touchaient leur gros chèques de grève». Pas fort, pas fort comme façon de conserver des amitiés d'affaires (on parlera business ici, vous le constaterez), surtout que les enseignants n'ont pas de fonds de grève. Cette méconnaissance du milieu enseignant m'avait atterré.
«C'est un choix de société de rendre le théâtre et l'art en général obligatoires à l'école, croit le directeur artistique de l'Espace libre, Olivier Kemeid. Il faut passer par des obligations dans la vie, comme savoir lire et écrire. Si un professeur ne m'avait pas obligé à aller au théâtre un jour, peut-être que je n'en ferais pas aujourd'hui.»
Passons sur le fait que ce monsieur croit que l'école rende obligatoire le fait de lire et d'écrire... Il a droit à ses illusions comiques. Non, si je suis très mal à l'aise avec cette proposition, c'est pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, quoi qu'on en dise, le milieu culturel est largement financé par le gouvernement au Québec. L'est-il trop? On peut en débattre.
Chose certaine, il y a trop de compagnies théâtrales au Québec, ce qui exerce une pression énorme sur ces dernières afin de se démarquer et de présenter constamment des nouveautés. L'industrie se nuit elle-même et doit davantage sa survie aux subventions gouvernementales qu'à ses entrées au guichet. Donc, pourquoi subventionner indirectement des entreprises malades? Parce que c'est de ce dont il s'agit: les écoles devraient fournir obligatoirement des spectateur$, que la pièce soit bonne ou mauvaise, que les enseignants aient l'amour ou non du théâtre. On risque donc d'encourager le mauvais comme le bon ainsi que de forcer un amour qui devrait venir du coeur.
Ensuite, pourquoi rendre obligatoire le théâtre et pas les arts de la musique, les activités sportives ou scientifiques, par exemple? Si une telle mesure était acceptée, il ne faudra pas longtemps avant que d'autres intervenants aient, eux aussi, envie de tremper leur petit pain dans l'assiette au beurre. Et en quoi le théâtre devrait-il jouir d'un statut privilégié?
Par ailleurs, les parents n'ont-ils pas, eux aussi, un rôle à jouer dans l'éducation culturelle de leur enfant? Combien d'entre eux les amènent au théâtre, croyez-vous? La réponse est proche du zéro. Bien sûr, l'école a le devoir d'initier les jeunes aux arts de la scène, mais doit-elle le faire au détriment d'autres besoins plus importants actuellement? Je ne sais pas. Disons que j'aimerais mieux choisir d'autres batailles que celle-là pour l'instant.
Dans les faits, cette proposition du milieu théâtral sent plus le fric avec un grand $ que l'art avec un grand coeur. L'école est déjà une véritable vache à lait pour certaines industries culturelles au Québec. Ainsi, certains artistes, dont l'ensemble de l'oeuvre a toujours été fortement subventionné, (je pense à Marie Laberge et Michel Tremblay) n'hésitent d'ailleurs pas à demander des droits d'auteurs exorbitants pour jouer leurs pièces de façon amateure deux soirs de suite dans une école du 450.
Qu'on me comprenne bien: pour moi, le théâtre est un art majeur. Je garde des souvenirs impérissables de certaines pièces présentées au théâtre Denyse-Pelletier et j'aime bien la façon dont la compagnie de théâtre La comédie humaine travaille son approche auprès des écoles et des jeunes.
Également, j'ai toujours veillé à ce que mes élèves assistent à des pièces de théâtre dans le cadre de mes cours. Cela ne m'a cependant pas empêché de proposer de boycotter les activités parascolaires quand j'ai compris qu'on comptait sur mon bénévolat et mon sens bête du dévouement.
Quand le gouvernement a décrété nos conditions de travail, j'ai tout de suite songé à amener mes élèves au théâtre et c'est là que j'ai été confronté à un nouvel écueil: la politique des frais facturés aux parents. Impossible d'organiser une activité de ce genre sur une base obligatoire. De plus, il fallait prévoir une activité de remplacement gratuite, similaire et signifiante pour les élèves ne voulant ou ne pouvant participer à cette sortie. Enfin, malgré les belles promesses, je devais faire le deuil de mon horaire de travail cette journée-là.
Rendre le théâtre obligatoire? Pas de problème, mais n'oubliez pas de me dédommager. Et n'oubliez pas aussi de retaper la toiture des écoles. Et de remplacer mes dictionnaires de classe dont certains sont si vieux que le mot «Internet» n'y figure pas. Et de fournir aux élèves en difficulté les services dont ils ont un besoin criant. Et de... (complétez la liste à votre choix)
Trois éléments en terminant:
- Si vous croyez qu'on ne parle pas de gros sous ici, relisez la proposition adoptée dimanche. On veut y obliger la fréquentation du théâtre «professionnel». Méchante façon corporatiste de favoriser ses intérêts...
- La majeure partie des frais occasionnés par une sortie au théâtre est reliée au transport par autobus. Je connais des propriétaires de gros bus jaunes qui vont être contents si le gouvernement donne suite à cette idée.
- Que fait-on avec certaines régions ou il n'y a pas de troupe de théâtre professionnelle?
5 commentaires:
«Ensuite, pourquoi rendre obligatoire le théâtre et pas les arts de la musique, les activités sportives ou scientifiques, par exemple?»
Voilà une des bonnes questions que vous posez aujourd'hui ! Quelle est la raison derrière ce choix ? Je soupçonne plutôt une meilleure organisation (au moment où on se parle) d'un lobby... Lobby qui sera suivi par d'autres, comme vous dites.
Il est aussi évident que, de tout temps, aucune forme d'art ne peut survivre sans une forme quelconque de mécénat. Donc, les subventions, il devra y en avoir tout le temps, qu'elles proviennent du gouvernement, d'une entreprise, etc. Mais ceci ne veut pas dire que l'on ne doive pas être vigilant face aux exagérations de toutes sortes. Pas évident à classer, ces demandes !
Et aussi, de tout temps, l'argent du mécénat est toujours venu de gens ayant succombé, en quelque sorte, au charme x ou y d'un lobby quelconque... C'est le jeu à jouer. La véritable pièce se joue peut-être là? ;-)
«Que fait-on avec certaines régions ou il n'y a pas de troupe de théâtre professionnelle?» C'est simple: tant qu'à parler gros sous, on leur paie l'avion!
Le théâtre obligatoire, l'une de mes amies l'enseigne en troisième secondaire dans une école de notre commission scolaire. Ce n'est pas directement ce dont tu parles dans ton billet, mais je crois que c'est tout de même lié. Bref, c'est assez difficile pour elle, car les élèves qui n'aiment pas le théâtre font des problèmes qu'elle doit gérer. C'est un fardeau qu'elle traînera jusqu'en juin. La culture de force, je n'y crois pas.
Pour le livre, je ne suis pas passée au casier aujourd'hui (je terminais à 10h30, suis arrivée tard et partie tôt ;oP); je t'en reparle demain.
On ne peut imposer ni obliger les élèves à aller au théâtre. La preuve : combien de jeunes demandent à leurs parents de motiver leur absence lors de l'activité? Si le théâtre doit être joué par des troupes professionnelles, qui paiera ces troupes? Le Ministère de la culture ... celui qui favorise déjà les artistes les mieux nantis (revoir années 70-80 : Plamondon, Dufresne avaient des subventions et non les autres). Si on préconise l'utilisation de troupes de théâtres professionnelles mais qui sont moins grosses que Le Théâtre d'aujourd'hui (et autres) on pourrait peut-être arriver à accrocher tous les élèves. Ceux qui n'ont pas la chance d'avoir des parents qui ont les moyens financiers pour les amener au théâtre (il ne font pas partie du 0% d'intérêt parental) pourraient profiter de la GRATUITÉ inhérente à l'obligation d'aller au théâtre quand on est au secondaire. Mais il ne faudrait pas délaisser les autres activités culturelles (musique, arts visuels et autres) qui enrichissent aussi la culture de nos jeunes.
Mais qui paiera pour que ces élèves bénéficient de cette gratuité ????? Il serait temps qu'il y ait un consensus entre le Ministère de la culture ... et celui de l'éducation : parlez-vous c'est urgent.
Que ce soit pour les régions ou pour la région métropolitaine ... Il ne faut pas qu'il y ait deux poids deux mesures.
IL faut avoir une ouverture aux arts dans les écoles, tout comme aux sciences, aux activités sportives...
L'obliger? Je ne suis pas d'accord. Les élèves n'ont pas comme devoir d'aimer le théâtre. On en parle avec les élèves, on peut aller voir des pièces, mais le reste... c'est aussi au milieu familial que ça appartient.
Sylvain: il y a aussi le lobby des profs d'éducation physique. Voici leur raisonnement: nos jeunes ne sont pas en forme. Alors, il faut les faire bouger... et leur donner plus de cours d'éducation physique. Mais saviez-vous qu'il y a des cours ou les élèves ne bougent que le quart du temps (ex: badminton) parce qu'ils regardent les autres jouer. vaut mieux parfois revoir nos pratiques avant de vouloir mettre de l'avant une solution qui n,en sera pas une.
SafwanL le théâtre, c'est encore mieux à Broadway... tant qu'à voyager. je ne crois pas à la culture de force non plus.
Bobbi: parents et théâtre? Ça va ensemble?
Un autre prof: milieu familial et théâtre, ça va ensemble? Vous allez aux glissades d'eau: il y a des tarifs familiaux. Vous allez au théâtre: vous payez plein prix.
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