24 février 2009

Intimidation et harcèlement: de la difficulté d'intervenir

On parle beaucoup du cas de David Fortin, ce jeune élève de la région d'Alma qui aurait fait une fugue (souhaitons-le) alors qu'il était aux prises avec une dynamique d'intimidation à son école.

Soulignons tout de suite que l'école Camille-Lajoie ou étudie ce jeune ne semble pas des plus lumineuses. Hier encore, le systéme téléphonique automatisé de cette école appelait ses parents pour leur demander de justifier l'absence de leur fils. Et ce n'était pas la première fois depuis sa disparition. Pas fort pour la crédibilité comme insitution quand ensuite tu affirmes avoir tout fait comme prévention dans ce dossier...

Mon propos d'aujourd'hui ne vise pas à défendre de telles bêtises organisationnelles. Cependant, j'aimerais davantage indiquer à quel point il est difficile aujourd'hui d'intervenir dans les cas d'intimidation, même si cela demeurera toujours une obligation et un devoir.

Depuis le début de l'année, j'ai eu à gérer deux cas de harcèlement. Chaque fois, ce sont les parents des enfants intimidés qui m'ont joint pour me révéler - à mon grand étonnement - ce qui se passait.

Je suis reconnu pour être un prof proche de ses élèves. Je les sens, je les devine assez bien. Je travaille aussi beaucoup à l'intégration de chacun dans mes groupes, à l'acceptation de l'autre, à établir un lien prof-élève chaleureux. Mais dans les deux cas, je n'ai rien vu à la fois parce que le harcèlement peut être subtil et insidieux mais aussi parce que l'élève victime n'est pas venu m'en parler, parce qu'il ne manifestait pas, à mes yeux, des signes de détresse.

Je ne me sens pas coupable. À l'impossible, nul n'est tenu. Je vois 96 élèves par jour. Mon radar a des limites. Par contre, à cause de ces événements, je me sentirai davantage concerné et plus attentif.

Car l'élève harcelé a honte de ce qu'il est et de ce qui lui arrive. Point à la ligne. Il ferme les yeux, serre les dents et endure en espérant que ça passera. Parfois, cette technique marche mais à quel prix et au nombre de combien de blessures douloureuses? Aller dénoncer ce genre de situation le confirmera encore plus comme un looser à ses yeux et aux yeux des autres. Il restera une victime.

Dans les deux cas, j'ai rencontré l'élève intimidé en lui demandant de m'indiquer ce qui n'allait pas. Par la suite, j'ai immédiatement fait une petite enquête rapide et discrète auprès des autres jeunes afin de vérifier l'exactitude de cette situation. Je n'ai pas trainé. Fuck le diner et la période libre à l'horaire!

Être proche des élèves m'a bien évidemment aidé. Mais comprenez-moi bien: j'avais la chienne parce que des fabulateurs, ça existe. On ne sait jamais dans quoi on met les pieds dans ce genre de situation sauf qu'on doit agir. Même si on n'a pas le droit à l'erreur. Parce que des parents outrés qu'on suspecte leur petit chéri de ne pas être conformes à une image angélique, ça existe.

Sois prudent, serre les dents et espère (tiens, tiens...).

Malheureusement, j'ai pu facilement confirmer le tout. Malheureusement, parce que cela revient à dire qu'un jeune souffrait et que des corniauds dans mes groupes les faisaient souffrir. Parce que cela revenait à dire qu'il fallait que j'agisse, que le plus dur restait à venir.

Mon premier réflexe: avertir vers un collègue plus expérimenté et rempli de sagesse ainsi que l'adjoint concerné pour convenir d'un plan de match. À mon avis, dans un tel cas, la gaffe à faire est de vouloir gérer le tout seul.

Puis, retour avec le jeune harcelé pour établir la suite des choses. Nous avons privilégié une rencontre tripartite: jeune harcelé, harceleurs et deux profs. Deux profs, pour se protéger l'un l'autre au cas en cas d'un éventuel recours parental. Joyeux, hein?

Suit la rencontre avec les harceleurs. On ne perd pas de temps: exposition de la situation et job de bras. Comme dans les flics. Un flic gentil et un flic méchant. Dans un cas, les corniauds ont écrasé tout de suite. Dans l'autre, il a fallu intervenir de façon plus énergique et sèche du genre: «Me prends-tu pour un cave?» Là encore, la relation personnelle établie avec les jeunes a joué à mon avantage. Un rouleau-compresseur, ça fait moins mal quand il est gentil...

Puis, ce fut ce que j'appelle la confrontation. Quel courage il faut pour une victime pour dire le traitement qu'on lui fait subir mais, en même temps, ça fait partie de la nouvelle dynamique à instaurer: qu'elle parle, qu'elle dénonce. Devant les harceleurs. Qu'elle reprenne du pouvoir.

Dans un cas, ce fut une justice de compréhension et de dialogue. Des petits cons qui voyaient maintenant la portée de leurs gestes. Dans l'autre, ce fut le rapport de force bête. Bêtes comme les deux imbéciles qui ne comprendront jamais avec leur tête. Sauf que la victime n'avait pas à savoir qu'on avait préalablement passés les imbéciles au tordeur.

Puis, la sanction est tombée. La récidive n'existera pas. L'intolérance ne sera pas tolérée. Ce que vous ferez de mal à cet élève, on le prendra très personnel et les conséquences vous toucheront aussi très personnellement.

Finalement, on prend les jeunes à part. On rassure le jeune harcelé, on lui salue son courage on lui indique qu'on sera là pour lui si la situation se répétait. On rencontre aussi les harceleurs et, là, je leur réserve ma remarque intitulée «matière à réflexion».

- Pourquoi tu portes un chandail de ce groupe-là?
- Ben, je l'aime.
- Tu t'identifies à ce groupe-là?
- Ben oui.
- Plutôt poche comme musique. Pas capable de faire plus qu'un accord.
- C'est pas vrai: ils jouent bien.
- Ok. Ok.

...

- Hey, tu peux m'expliquer une chose, au fait?
- Quoi?
- Pourquoi vous autres, les jeunes, passez votre temps à nous dire, nous les adultes, que vous êtes comme vous êtes et qu'il faut vous accepter de même et que, dès qu'on tourne le dos, vous vous bitchez entre vous? Pourquoi vous me dites «Hey, prends-moi comme je suis et respecte-moi» et que, deux minutes plus tard, vous ne pouvez pas vous empêcher de dire «As-tu vu le fif là-bas?» Je ne comprends pas. Tu pourrais m'expliquer, questiion que j'apprenne mieux à te respectuer.

J'attends encore la réponse, mais je m'en moque pas mal: j'ai deux jeunes qui ont la paix depuis.

Qu'on se comprenne: je ne suis pas en faveur de la justice Passe-Partout. Mais l'école est un lieu d'éducation. J'essaie d'éduquer le plus souvent possible. C'est mon rôle. Mon devoir. À long terme, on gagne plus par l'éducation que par la répression. Sauf que, quand c'est nécessaire, je ne suis absolument pas géné de parler pour me faire comprendre clairement.

Deux dernières remarques.

Dans ces deux démarches, on a pris un risque important: celui de ne pas avertir les parents des élèves intimideurs. Celui de régler à l'interne. Pourquoi? Parce que souvent, ils sont pire que leur enfant. Et qu'on assez d'élever des gamins. On ne se mettra pas à élever leurs géniteurs en plus.

C'est un risque. On n'a pas perdu sur ce coup-ci, je crois.

Commentaire bitch que j'assume en terminant.

J'ai pris le risque de ne pas fermer les yeux sur ces deux situations. D'aller au front.

Aujourd'hui, j'en suis bien content. Parce que, à Alma, il existe peut-être quelqu'un quelque part qui a de la difficulté à fermer les yeux avec tout le battage médiatique entourant la disparition du jeune Boutin. Quoique, à force de pratique, certains arrivent sûrement à fermer les yeux depuis longtemps.

En passant, deux beaux textes de Foglia à lire sur le sujet.

http://www.cyberpresse.ca/opinions/chroniqueurs/pierre-foglia/200902/24/01-830454-les-rejets-les-lettres.php
http://www.cyberpresse.ca/opinions/chroniqueurs/pierre-foglia/200902/20/01-829700-des-pervers.php

Sources pour le cas de David Fortin:
http://lcn.canoe.ca/lcn/infos/faitsdivers/archives/2009/02/20090224-075044.html

9 commentaires:

bobbiwatson a dit…

Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne façon de régler ce genre de conflit(s) à l'interne. Tous les parents ne sont pas de "prototypes de harceleurs". Je pense qu'il faudrait les rencontrer une première fois avant de se forger une idée. N'oublions pas que tous les enfants ne ressemblent pas à leurs parents. Plusieurs se forgent une personnalité pour éviter, justement, de se faire massacrer dans et par la vie! N'oublions pas non plus, que certains profs (homme ou femme), peuvent devenir d'excellents harceleurs! Mon fils l'a vécu et a vécu celui de l'école secondaire.

SVP, ne mettez pas tous les parents dans le même panier. Vous, en tant que profs, vous ne pouvez pas connaître tous les parents de tous les élèves de votre(vos) classe(s).

Prof Masqué, même si tu cultive une proximité avec tes élèves, laisse la chance à leurs parents avant de régler "hors cour", i.e. sans eux.

Missmath a dit…

Mon petit Prof Masqué préféré, tu as du mal avec les noms ces temps-ci ! David Fortin en début de billet et non Boutin.

;-) Allez, je te bise !

Anonyme a dit…

J'aime bien ce compte-rendu de quelqu'un sur le terrain. Je comprends mieux les difficultés auxquelles un prof doit faire face.
Comme le suggère Bobbiwatson, je tenterais une intervention discrète auprès des parents, histoire de voir à qui j'ai affaire...

C'est comme pour les femmes battues, la victime n'ose pas se plaindre, de crainte de représailles. Tant qu'il n'y aura pas des méthodes discrètes de transmission des plaintes, les victimes vont préférer fermer leur gueule....

Le professeur masqué a dit…

Miss: j'ai corrigé.

Anonyme a dit…

Prof masqué, je trouve intéressant de s'adresser aux jeunes et de les responsabiliser sans les humilier davantage en face de leurs parents, ce qui risque aussi d'arriver. On peut à mon avis offrir à la victime d'engager ses parents dans le règlement du problème, sans insister. N'est-ce pas à 14 ans qu'un/e jeune a droit à la confidentialité médicale? je pense que c'est une manière de lui donner du pouvoir, à sa mesure, comme tu le dis. Ça s'apprend peu à peu.

Bravo et je trouve ton billet excellent. Je le mets en lien chez moi, sur mon propre billet.

Zed

bobbiwatson a dit…

Plusieurs livres s'adressent aux adultes (parents, profs, intervenant).
J'ai fait une belle découverte: un tout petit livre, québécois de surcroît, s'adresse aux jeunes de 10 à 13 ans, et aborde le thème de l'intimidation. Le titre: Les corridors de l'école (Impact éditions).

Je pense que c'est un outil que tous les jeunes devraient pouvoir avoir à portée de la main.

bobbiwatson a dit…

Prof Masqué, question pour toi!

Est-ce que tes élèves te feraient plus confiance si tu étais ou pas un babyboomer? Est-ce que les jeunes profs cools reçoivent plus la confiance des jeunes? Est-ce que les profs "inter-génération" le sont? Est-ce que les "boomers" ....? Et les "ancêtres" ?????

David a dit…

J'ai 32 ans et je suis au bac BEPP depuis un an.

Vous lire me remet les pieds sur terre et ça fait franchement du bien. Merci pour ces billets!

L'intimidation, on ne sait jamais comment on va réagir ou intervenir. Vous m'avez donné de précieuses pistes.

Au plaisir!

Le professeur masqué a dit…

Bobbi: honnêtement, je ne le sais pas. Je pense que c'est plus une question d'autorité et de crédibilité.

David: Bienvenue ici et merci! Une remarque: ce qui marche au secondaire ne marche pas nécessairement au primaire. D'ou l'importance du contact avec les collègues.