02 août 2007

Pourquoi suis-je devenu prof?

Dans un récent billet, madame Dobby demandait aux enseignants de la blogosphère pourquoi ils avaient choisi cette profession. Cette heureuse initiative psychanalytique nous a valu des réponses fascinantes. Et c'est à mon tour aujourd'hui de répondre - peut-être un peu trop longuement - à cette interrogation. «Alors, docteur... quand j'étais jeune...»

L'école refuge

J'ai toujours aimé l'école. Il faut comprendre que, pour le jeune enfant que j'étais, c'était pour moi ni plus ni moins qu’un refuge, qu’un oasis de paix et de tranquillité. Oh! bien sûr, je me faisais traiter de fif à l'occasion parce que j'aimais bien les cours et mes profs. J'ai même dû apprendre à me battre pour me défendre contre les petits teigneux qui voulaient régler leur complexe d'infériorité en s'en prenant aux plus grands (j'appelle ce comportement le complexe de Curley - du personnage du roman Des souris et des hommes de John Steinbeck), mais rien n'empêche: je m'y sentais apprécié et valorisé par les adultes, ce qui tranchait avec mon milieu familial plutôt dysfonctionnel. Je repense entre autres à madame Campion qui me permettait de sécher avant le dîner, question que je puisse aller lui chercher un repas à la boulangerie du coin. On n'était pas loin du détournement de majeure tellement j'y mettais tout mon coeur.

J'étais excessivement curieux. Je m'intéressais à tous les cours, je lisais tout ce qui me tombait sous la main. Il n'en demeure pas moins cependant que ma matière préférée était le français et que j'écrivais chaque semaine des petits récits sans trop savoir pourquoi. La pulsion d'écrire, j'imagine.

Je me voyais déjà...

C'est au secondaire que mon avenir professionnel s'est réglé, du moins je le croyais: je serais journaliste. Déjà, en deuxième secondaire, je devenais le rédacteur en chef du prestigieux journal étudiant de mon école. Et qui journalisme dit alcool. C'est sûrement pour cette raison que j'imprimais les pages de ce dernier avec une ivresse débordante.

Mon intérêt pour ce métier s'est poursuivi au cégep ou je collaborais au journal étudiant. Accessoirement, j'étais inscrit en Arts et Lettres. Côté assiduité scolaire, j'avais tout du fantôme. Ma photo était sur toutes les bouteilles de bière entrées en fraude dans cet établissement scolaire: «Recherché – Missing».

Mon âme était ailleurs, errait en d'autres pays bien plus vivifiants. Avec un collègue, nous avons redonné un ton à une publication qui faisait mourir ses lecteurs d'ennui. Cela nous a valu des menaces assez sérieuses de la part de la direction qui n'appréciait pas notre humour incisif et méchant. Avec le temps, je suis toutefois convaincu que nous avons fait plus pour la cause étudiante avec certains textes trempés dans le vitriol que l'association étudiante avec certaines grèves...

Puis vint le bac en communication à l'UQÀM. Si l'on oublie les cours théoriques ou l'on nous enseignait ad nauseam la théorie de la communication de Jacobson, je m'éclatais en journalisme écrit. Et j'avais aussi la chance de rencontrer des monuments du métier, monuments qui n'étaient pas toujours reposants : Pierre Bourgault (ici et ici)m'avait sacré dehors de son cours pour j'aille faire publier mes textes tandis que Jacques Larue-Langlois (ici et ici) me dénichait mes première piges sans mon consentement. Messieurs, je pense à vous encore aujourd'hui!

Ma formation universitaire terminée, je suis devenu pigiste pour quelques publications et je travaillais comme adjoint à un magazine qui a fermé ses portes depuis. Je me shootais à ce métier: les incessants coups de téléphone pour débusquer la bonne information, le rush des textes qui n'entrent pas, les heures stressantes ou il faut boucler les pages au montage, le travail en équipe sous pression. Et, au risque de paraître prétentieux et puéril, la satisfaction de voir mon travail reconnu. Les textes que je signais m'étaient payés! Mes mots valaient quelque chose!

La crise de la vingtaine
Sauf qu'au bout de quelques années, si j'appréciais toujours cette vie énergique en dents de scie, je m'apercevais qu'il me manquait un élément pour être heureux et c'était l'équilibre. On ne rappellera jamais assez à quel point la vie de pigiste est difficile! J'avais besoin de stabilité, de projets à long terme. J'en avais assez aussi de courir après des patrons pour qu'ils me paient alors qu'ils roulaient en voiture de luxe et sortaient au Friday's.

J'ai alors décidé de me réorienter et j'ai choisi l'enseignement du français. Pourquoi? Parce que c'était une matière dans laquelle je réussissais bien et que je croyais, à tort, que cela serait suffisant pour bien l'enseigner. Il y avait aussi la mère de Fille masquée qui travaillait dans ce domaine... sauf que cette dernière ne me croyait pas assez discipliné pour tenir plus de deux semaines. Il faut dire qu'à l'époque, je vivais fréquemment au rythme du fuseau horaire de l'Australie et que je travaillais fort chaque jour à grossir ma collection de réveille-matin brisés.

Je me suis inscrit au bac en enseignement du français. Ce fut l'un des moments les plus pénibles de ma vie. Moi qui pondais des textes de dix pages en une soirée, j'étais entouré d'étudiants râleurs qui se plaignaient au moindre travail. Et je ne parle pas de la qualité de leur français écrit... Il y avait aussi ces profs qui enseignaient ce qu'ils ne faisaient même pas en classe avec nous. Misère!

Après un an, j'ai voulu tout laisser tomber, écoeuré. J'avais reçu une bourse pour travailler à Québec dans un domaine relié aux communications. Mais prudemment, j'ai décidé de jumeler études et stage. Mon patron l'ignorant, je me tapais trois cours à l'UQÀM le vendredi. L'enseignement demeurait ma roue de secours, ma porte de sortie au cas...

La révélation faite au mécréant

C'est après que j'ai connu les stages et que tout s'est placé dans ma tête. Mon maître associé était Laurel et j'étais Hardy: «Tu observes quand tu veux, tu enseignes quand tu veux...» Génial! On se complétait magnifiquement bien.

J'ai enseigné dès le deuxième jour et j'ai compris que j'étais fait pour ce métier. J'aimais l'interaction avec les jeunes, j'aimais faire briller leur regard, j'aimais leur donner l'occasion d'être intelligents, j'aimais les écouter et avoir le privilège d'être une personne significative pour eux. Plus que tout, je sentais que j'avais un héritage à leur transmettre: celui que mes profs m'avaient légué.

Mes doutes sont disparus et j'ai fini mon bac en faisant mes stages avec le même prof, ce qui contrevenait formellement à la politique de mon université. Dès la fin de mes études, je me trouvais un emploi. L'année suivante, il y a 14 ans de cela, j'étais embauché à l'école ou je travaille encore aujourd'hui et j'enseigne toujours au même niveau.

À la blague, je dis souvent, pour faire enrager mes collègues, que j'ai délaissé le journalisme pour l'enseignement, un métier pépère et sans pression. Inutile de dire qu'ils me trouvent cinglé.

Post scriptum

Je m'en voudrais de ne pas ajouter à ce portrait un point important.

Aujourd'hui, dans la quarantaine, je me remets beaucoup en question professionnellement. Je manque de défis mais, surtout, je sens que le milieu de l'éducation se dégrade au Québec, bien qu'on fasse tout pour nous faire croire le contraire. Je me sens incapable honnêtement de participer à une telle supercherie et je me sens mal devant les élèves à qui l'on ment souvent quant à leur réussite et leurs réels apprentissages.

Combien de temps encore serais-je capable de maintenir la tête hors de l'eau? Je ne sais pas. Chose certaine cependant, il faudra bientôt que je me redéfinisse à l'intérieur ou à l'extérieur de ce métier.

13 commentaires:

Dobby a dit…

Merci d'avoir participé :) Vraiment intéressant comme cheminemenet!

J'ose dire, Prof masqué, que nous sommes chanceux que votre cheminement nous ait donné un collègue aussi critique et allumé que vous. J'ose espérer que vous resterez parmi nous avec votre réorientation, pour qu'à votre manière vous soyez un éveilleur de conscience un peu à la manière de Sylvebarbe parmi nous les Ents endormis (oh que je suis pouette là!).

Magrah a dit…

"je sens que le milieu de l'éducation se dégrade au Québec, bien qu'on fasse tout pour nous faire croire le contraire. Je me sens incapable honnêtement de participer à une telle supercherie et je me sens mal devant les élèves à qui l'on ment souvent quant à leur réussite et leurs réels apprentissages"

Vous piquez ma corde sensible. ll va falloir m'expliquer ça...

Hortensia a dit…

Intéressant comme parcours...
Moi non plus, je ne me destinais pas à l'enseignement au départ. Évidemment, ce n'est pas tout à fait le même contexte au collégial qu'au primaire ou au secondaire, m'enfin...

Quant à votre remise en question du travail d'enseignant dans le contexte actuel, je peux tout à fait la comprendre. Cependant, je trouverais dommage que vous quittiez le navire. Dans une certaine mesure, c'est en faisant partie du système qu'on peut essayer de travailler pour le rendre meilleur. Les élèves ont besoin de l'intelligence, de la rigueur et de l'esprit critique de profs comme vous, qui ont ce que j'appellerais le "feu sacré", faute d'avoir une expression plus originale.

Anonyme a dit…

Prof masqué,

L'école-refuge et j'ajouterais stimulant dans mon cas, j'ai bien connu. J'a-do-rais et j'adore encore aller à l'école. Je mourrai étudiante, peu importe si je vis au delà de 100 ans.

Chez nous, une famille dysfonctionnelle aussi (Ça ne devrait pas arrêter à dix, ce pointage...), la culture se résumait aux catalogues Sears et Canadian Tire. Vrai de vrai. C'est comme ça. Milieu prolétarien et catho très prude. Je te passe le reste.

Au sujet de ta réflexion sur la détérioration du système d'éducation, permets-moi de te mettre en garde. Partout où on va, il y a détérioration. Depuis quelques années, de manière exponentielle. Notre société est vidée de ses ressources et notre système est mooort, de la manière dont on le fait fonctionner, à tout le moins. C'est pourri partout.

Ma solution personnelle, après avoir eu ce sentiment d'avoir fait le tour, dans un domaine où je suis sous-exploitée par rapport à ma formation et à mon expérience, a été (outre chercher ailleurs; j'ai cherché du travail toute ma vie), a été un détachement tel qu'il m'a permis de devenir meilleure dans mon domaine, grâce à ce détachement. C'est-tu assez fou, hein?

La solution rêvée, elle n'existe pas. Alors je poursuis ma vie à moi et je bénéficie d'un horaire de travail-salarié très comprimé qui me permet de le faire. Double, triple vie. Et j'ai recommencé à aimer suffisamment mon travail pour y être assez bien, finalement.

Il y a plusieurs façons d'aborder une situation et c'est parfois la plus bizarre qui donne les meilleurs résultats. Les étudiants à qui tu enseignes, ces futurs adultes, sont l'une des principales raisons pour lesqulles tu ensegnes. Et l'amour du français, de la communication.

Bref, je crois qu'il faut se foutre tant qu'on peut du système dans lequel on est et ne pas tenter de le sauver mais mettre ses énergies aux endroits où ça porte. Et avoir une vie plus satisfaisante ou sans compromis ailleurs.

Je te dis cela et moi aussi je manque de matériel, de ressources, de conditions de travail normales (genre un peu d'hygiène!) et j'ai avec raison le sentiment de payer et de me battre pour travailler.

Mais ailleurs, tout en continuant à regarder, serai-ce mieux? Je devrais en être absolument sûre avant de changer d'emploi.

Zed :)

:o) a dit…

Je comprends ta remise en question : j'ai à peine le pied dans le système que je le trouve déjà compliqué, incohérent, éclaté.

Mais je crois qu'on peut apporter un peu de bien au système d'éducation québécois, même si ça semble insignifiant. En étant modèle pour les élèves, les adultes de demain. Une classe de français est le lieu propice au développement de la pensée des jeunes. Il faut y semer des idées, qui germeront et qui feront que ces adultes en devenir prendront les bonnes décisions, pour que ça change !

C'est du long terme.

Il ne faut pas se décourager !

Bonne soirée !
Persée

bibconfidences a dit…

Je me pose deux questions suite à la lecture de votre billet. D'abord, y a-t-il une différence dans l'enseignement entre le milieu des écoles publiques et des écoles privées? Les exigences sont-elles plus élevées en général dans ce dernier? Existe-t-il encore de ces institutions pour l'élite étudiante? En fait j'ai trois questions. Troisièmement, ce que vous qualifiez de dégradation et qui est en grande partie, relié selon moi a ( nouveau clavier, recherche intensive d'accent grave ) une baisse d'exigences qui nous a été imposée au fil des ans, permet-elle selon vous un accès trop facile aux études supérieures a des étudiants qui y arrivent sans les qualités nécessaires? Une sorte de démocratisation de masse? Pour ma part, j'ajouterais aussi que de me sentir l'ennemi a abattre pour plusieurs parents n'est pas pour m'encourager a continuer bien longtemps.
Une étude très sérieuse indique que la profession de dentiste en est une ou les dépressions et autres problèmes du genre est chose fréquente chez ces professionnels de la santé. Cela serait du a l'attitude hostile des patients, au peu de sympathie qu'ils suscitent et aux plaintes récurrentes sur le coût des traitements, alors qu'a l'instar des médecins ils essaient d'abord et avant tout de nous soulager. Je pense qu'on sera bientôt a égalité avec eux coté malaise dans la profession et c'est bien dommage.

unautreprof a dit…

Billet hyper intéressant. Quand mes collègues apprennent que j'ai fait mes arts et lettres au cégep je reçois toujours beaucoup de surprise de leur part, mais en lisant les diverses témoignages, je réalise que je ne suis pas la seule!

Magrah a dit…

Bibco: j'ai commencé ma carrière dans une école privée de renom dans ma région.

J'ai vu deux grandes différences entre l'école publique et ce collège:

Premièrement, les sous qui entrent dans le collège vont aux collégiens. Il n'y a pas de méga-structure fontionnaire à payer. Comme prof, tu veux changer ton matériel? On change le matériel. Tu veux acheter une série de tel roman: go les jambes! Si c'est pour tes cours, c'est toujours OUI. Des sous, il y en a, activités culturelles et sportives comprises.

Deuxièmement, des problèmes de discipline et d'apprentissage dans cette école, il n'y en a pas. La clientèle est épurée à chaque année et des 5 groupes en sec.1, il n'en restera que 2 en sec.5. Il est donc très facile d'enseigner là-bas. Les élèves sont TOUS motivés, de bonne humeur, et veulent apprendre.

Tu parlais aussi du rôle des parents là-dedans. Quand j'enseignais à cette école, les élèves et moi avons fait un projet "cuisine du monde" et un élève devait acheter, pour sa recette, un avocat (sur sa recette en anglais, "avocado"). La mère téléphone donc à l'école en furie, injuriant le directeur pédagogique, qui n'avait absolument aucune idée de ce dont elle parlait.
Elle lui dit:"C'est quoi, ça, des avocados? On mange même pas ça ici, nous autres."
Et le directeur, de lui répondre: (aimez-vous mon style READER'S DIGEST??): "C'est une bonne chose, madame. On est une maison d'éducation ici, on sert à ça faire découvrir des choses." Et le garçon est arrivé au cours suivant avec un "avocado"... ;o) Le fait est que ce collèges refuse plus d'une centaine d'admissions par année, et fait sentir aux parents qu'ils sont BIEN CHANCEUX que leur fils/fille soit là... ça change la pression de bord, ça!!

Le professeur masqué a dit…

Dobby et Hortensia: cette réorientation, je dois la faire pour moi et moi seul, car je commence à être très malheureux dans le système d'éducation actuel. Madame Masquée s'en ressent souvent. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé de changer des choses ou d'avoir donné des coups de pied dans la termitière! Notre réseau scolaire est sclérosé, figé, abrutissant.

magrah: si vous regardez dans mes anciens billets, vous en verrez quelques-unes qui montre bien à quel point on nivelle par le bas sans arrêt au Québec. je vous invite particulièrement à lire le billet suivant: http://leprofesseurmasque.blogspot.com/2007/06/le-rapport-berger-et-le-gros-mensonge.html

Zed: chez nous, au moins, l'école était valorisée, de même que la lecture. Mes parents ne lisaient pas, mais il y avait des livres!

Effectivement, je considère sérieusement la notion de «détachement» pour survivre, sauf que je sais que je vais devoir aller consulter et me trouver un bon coach si j'embarque dans cette voie. On ne change pas la bête en moi comme ça du jour au lendemain.

Persée: merci de votre présence sur ce blogue! Le problème, ce n'est pas l'intensité de mon action enseignante, c'est de durer, de ne pas aller d'épuisement en épuisement. Il faut savoir gérer ses énergies et le système actuel pousse souvent au burn out ses meilleurs éléments (ça manque de modestie, mais j'assume!).

Bibco: vos questions et votre commentaire feront l'objet d'un prochain billet. J'y reviendrai donc sous peu.

Un autre prof: Arts et Lettres est un classique du cheminement d'un prof...

Magrah a dit…

Prof masqué, ma réponse était trop longue, je l'ai mise sur mon blogue!

unautreprof a dit…

pas d'un orthopédagogue, croyez-moi!

A.B. a dit…

@ Zed:
«Ma solution personnelle, après avoir eu ce sentiment d'avoir fait le tour, dans un domaine où je suis sous-exploitée par rapport à ma formation et à mon expérience, a été (outre chercher ailleurs; j'ai cherché du travail toute ma vie), a été un détachement tel qu'il m'a permis de devenir meilleure dans mon domaine, grâce à ce détachement. C'est-tu assez fou, hein?»
J'en suis moi aussi arrivée à cette solution, proposée à plusieurs reprises par M. Safwan, et je ne m'en porte que mieux. Je crois aussi mieux faire mon travail. Je me concentre sur les élèves et sur mes collègues. Le reste, pfff!

@ Professeur masqué:
J'aime bien te découvrir plus personnellement dans tes récents billets. Ça m'explique bien des choses =)

Le professeur masqué a dit…

Magrah: réponse sur votre blogue, mais ce sujet pourrait nous inspirer un billet commun.

Safwan: tu m'écriras pour me dire les liens que tu fais.