C’est Poussière d'étoiles qui m'a rappelé ce soir le reportage de Manuel Foglia sur Pierre Bourgault à Télé-Québec et qui m'invitait à écrire un billet sur ce sujet puisque j'ai déjà suivi un cours avec ce communicateur hors norme.
J'ai connu Bourgault alors que j'étudiais au bac en communications à l'UQAM. Il enseignait le cours «Analyse critique de l'information» et, avec lui, le mot «critique» prenait tout son sens, pour ne pas dire tous ses sens.
Il n'avait pas bonne réputation auprès des étudiants et encore moins auprès des étudiantes. À cause de son homosexualité, on imaginait sans doute qu'il était plus dur avec les femmes qu'avec les hommes. Dans les faits, il était dur avec tout le monde, surtout ceux qui ne toléraient pas la critique.
Après deux ou trois cours au début de la session, on a rapidement changé de format pour de courtes rencontres individuelles avec chaque étudiant. On lui soumettait un texte, il le critiquait, on le retravaillait jusqu'à ce que le maître soit content ou qu'on abandonne.
Premier rendez-vous individuel avec Bourgault. L'étudiant avant moi sort de son bureau ébranlé, presque en larmes. Assis sur ma petite chaise de plastique orange soudainement encore plus petite, je me demande ce que je peux bien faire là. N'importe quel être humain sensé aurait fui. J'étais ou trop imbécile ou trop docile. J'avais attendu mon tour, donc je devais y aller. C'est beau la naïveté...
En trois minutes, Bourgault avait lu mon texte et n'avait rien trouvé à redire. Je ne comprenais pas. C'était ça le matamore intellectuel du département de communications? Le vaniteux? Le fort en gueule? Puis, tout à coup, après quelques instants de réflexion, il s'est mis à m'enguirlander sans être déplacé. Qu'est-ce que je faisais à l'UQAM? Pourquoi je perdais mon temps à l'université?
J'étais trop jeune, je ne connaissais rien de l'homme sinon qu'il avait «été dans la politique». Bref, je ne comprenais pas la force de ce compliment.
Bourgault continuait à me secouer alors que je ne réagissais pas. Au fond, je pense qu'il aimait bien ça.
Finalement, il m'a presque jeté hors de son bureau en m'affirmant qu'il me collerait zéro si je ne faisais pas publier mon texte. Trois jours plus tard, je lui ramenais mon texte, paru dans La Presse et dans Le Devoir en lui demandant s'il allait me le compter double...
Je n'ai jamais su s'il avait apprécié ce texte pour ce qu'il valait ou parce qu'il ramassait joliment un documentaire réalisé par Lise Payette. Quoi qu'il en soit, j'ai fini le cours avec un A et Bourgault, même des années plus tard, lorsque nous nous croisions sur la rue, me saluait en se rappelant et mon nom et mon côté baveux.
À son décès, je me suis souvenu de cette anecdote que j'ai racontée à madame Masquée. Puis, quelques mois plus tard, nous sommes allés voir sa pierre tombale au cimetière Côte-des-Neiges. Une grosse stèle noire, austère, lugubre. Impersonnelle. Conventionnelle. Aussi, il ne faut pas se surpendre si, chaque année, le 24 juin précisément, nous faisons notre gros possible pour aller poser un petit drapeau du Québec sur sa tombe. D'autres ont d'ailleurs la même idée que nous. Et ce jour-là, sa pierre tombale est sûrement la plus belle du cimetière.
Il y a des idées qui ne meurent pas. Heureusement.
14 commentaires:
Je vous lève mon chapeau(... ma tuque rose: c'est ma préférée) bien bas pour le compliment.
En écoutant le film, j'ai été tristounette qu'il ne m'ait pas enseignée : vous avez eu de la veine!
Merci pour votre billet
Il est de ces personnages plus grands que nature, dont l'auréole ira grandissant à mesure que les années passeront et que les souvenirs s'amplifieront. (Amplification normale ici, et je ne parle pas de ce billet, bien sûr, car je le sais fidèle à la réalité. Je parle plutôt de la glorification a posteriori des grands personnages qui passent en ce monde...)
L'humain a besoin de ce genre de personnages.
Et si en plus, ce personnage vous a complimenté de la sorte, c'est tout à votre honneur :-)
Je vous envie aussi. J'aurais aimé connaître ce "monument". C'est tout un privilège pour vous, Prof Masqué. Chanceux!
J'aime beaucoup ce billet comme j'ai bien apprécié le documentaire de Foglia hier, du moins les trente dernières minutes (je croyais qu'il débutait à 21 heures). Comme les autres intervenants, je te trouve très privilégié de l'avoir eu comme professeur. L'un de mes miens de l'UQAM a eu la chance d'avoir Barthes comme «maître». Il y a de ces rencontres qui marquent une vie. Dans le cas de Bourgeault, c'est tout un peuple qu'il a soulevé, critiqué, aimé, secoué. Il manque cruellement au Québec, particulièrement en ce moment.
Ma soeur et mon beau-frère l'ont eu comme prof, eux aussi.
Mon impression est qu'il est devenu quelqu'un de plus équilibré quand il a pris de l'âge. Parce que ce que j'ai vu de lui dans la jeune vingtaine et trentaine était plutôt inquiétant. Il avait l'air carrément malsain, à mon avis. Un homme avec une âme malade et qui essayait de se soigner par ses combats politiques.
Je pense qu'il a trouvé sa voie dans l'enseignement.
D'après ce que j'ai vu de lui durant ses années de RIN, je suis contente qu'on ne l'ait pas eu comme premier ministre!
Ceci dit, je suis, comme lui, allergique aux gens qui ne savent pas prendre la critique! et encore plus allergique aux gens qui ne supportent pas les débats musclés. Je nous trouve extrêmement, et même dangereusement, moumounes, au Québec, quand vient le temps de débattre... On croûle sous la rectitude politique et le faux-zen.
Poussière et Souimi: beaucoup de veine, en effet.
Sylvain: il n'a pas compris que je devienne enseignant.
Safwan: il y a trop de politiciens et pas assez de véritables hommes politiques.
La mère: s'assagit-on en vieillsant?
Petites questions impertinentes ... Avez-vous lu la biographie de Bourgault écrite par Jean-François Nadeau (éd. Lux)? Quel(s) lien(s) faites-vous entre le Bourgault du livre et celui du documentaire?
En tout cas! Bourgault s'est trompé dans son jugement par rapport au métier que vous envisagiez à l'époque mais il avait fichument raison quant à vos talents "d'écriveux" :)
@ Professeur masqué:
«il y a trop de politiciens et pas assez de véritables hommes politiques.»
Très juste comme affirmation... À méditer.
S'assagit-on en vieillissant? Peut-être pas nécessairement! Mais dans son cas, je le trouvais plus supportable à écouter et regarder à 45 ans qu'à 25.
Sans blague, il a l'air d'un malade de l'âme, à 25 ans. Ça fait quasiment frissonner.
Bonjour,
N'ayant pas connu P.Bourgault j'ai trouvé que le documentaire de M.Foglia complètait bien la biograghie de F.Nadeau grâce aux films d'archive. J'ai pu constaté ses talents d'orateur. Dans la biographie c'est toute une époque que l'on revit au travers sa vie.
Personnage important pour le Québec et professeur marquant dans votre cas, il avait sans doute les défauts nécessaires à la grandeur du personnage. Quant à l'homme, les sous-entendus sur ses moeurs homosexuelles, freinent quelque peu mon admiration pour lui.
Bobbi: en lecture actuellement. Bourgault me voyait plus en journalisme et il avait raison, je crois. Il serait enragé de savoir que j'ai récemment refusé une offre. enfin, passons à autre chose.
Safwan: méditons !
Quel honneur, de se faire enguirlander par Bourgault! Je vous envie sincèrement.
Je serais curieux de lire ce texte qui a reçu cette critique peu commune. Existe-t-il encore?
Je n'ai pas eu la chance de regarder le documentaire, mais il est en rediffusion samedi soir, je ne le manquerais pour rien au monde.
J'avais aussi pensé me rendre sur sa tombe... Mais c'est futile lorsqu'on honore sa mémoire aussi souvent que je le fais, dans mon intimité personnelle...
Je me suis toujours demandé si Bourgault avait aimé le texte ou le fait que je plantais Lise Payette. Le texte portait sur un documentaire intitulé «Disparaître» et portait sur l'avenir du fait français au Québec. On y retrouvait des propos intéressants, mais beaucoup d'alarmisme.
Bon, j'ai regardé le documentaire hier soir, en reprise.
Et mon commentaire sera bref: il se disait libre, alors que ce que j'ai vu hier soir, c'est un homme qui était bien loin d'être libre. Il avait peut-être la liberté de sortir quand il voulait, de rester seul, de dormir tard, et de dire ce qu'il voulait sur le ton qu'il voulait, mais ça ne faisait certainement pas de lui un homme libre.
Mon impression est que, dans plusieurs de ses envolées théâtrales, il était bien plus en colère contre lui-même que motivé par ses convictions politiques. Je me trompe peut-être, mais je n'ai pas eu l'impression que sa cause, c'était tant la souveraineté que son amour-propre déficient.
Je m'excuse, mais je n'ai pas été épatée par l'homme. Je trouve qu'il faisait plutôt peine à voir, en fait.
Il dit, dans un de ses discours, que nos héros nationaux ont tous été des perdants. À mon avis, il s'est inscrit lui-même dans cette lignée.
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