16 août 2012

Le programme de la CAQ - deuxième partie

Dans ce deuxième billet portant sur la plateforme électorale de la Coalition Avenir Québec (voir les précédents ici, ici, ici et ici), on touche le coeur de celui-ci en éducation. Honnêtement, je ne comprends pas que les adversaires de la CAQ ne décortiquent pas davantage le programme de cette formation politique. Le niveau d'analyse des engagements de cette formation politique est faible et lui permet de marquer bien des points dans l'électorat par des promesses populistes et parfois irréalistes.

Ce billet est long. Il en vaut la peine.

Engagement 21: offensive majeure contre le décrochage scolaire
LA CAQ entend mettre tout en oeuvre tout un programme pour contrer le décrochage scolaire. C'est la base même de son programme en éducation et le principe qui guide toutes ses actions, comme on le verra. Elle a pour objectif d'augmenter de 8% d'ici 2020 le taux de diplomation, pour le faire passer de 73,8% à 80%.

Trois  commentaires. Un: les pourcentages calculés par le MELS, ce ne sont que des chiffres qui peuvent être «trafiqués» par un gouvernement ou un autre selon comment on calcule celui-ci. Une telle promesse vaut ce qu'elle vaut. Deux: selon la hausse du taux de diplomation  qu'on observe depuis quelques années, on peut se demander si le taux fixé par la  CAQ ne sera pas atteint de toute façon, quoi que l'on promette. Trois: il y a un an, M. Legault était bien plus ambitieux. Il proposait un taux de diplomation de  85%. Cette façon de lancer des chiffres sans trop qu'on sache sur quoi l'on se base est exaspérante et irresponsable, quant à moi.

À travers une réorganisation (dont l'abolition des commissions scolaires), la CAQ entend consacrer des ressources supplémentaires pour permettre de dépister les problèmes d’apprentissage afin d’assurer un soutien rapide aux enfants en difficultés, notamment dans les milieux socioéconomiques défavorisés où le taux de décrochage est plus élevé. Elle veut également ajouter des professionnels en orthophonie, en psychoéducation, en orthopédagogie et en psychologie dans les écoles. 

Aussi, on le verra, rien ne prouve que la réorganisation proposée par la CAQ dégagera des sommes significatives. De plus, il faut bien mal connaître le monde de l’éducation pour y aller d’une telle promesse. Actuellement, le milieu scolaire est aux prises avec une pénurie de professionnels. Qui plus est,  plusieurs d’entre eux ne veulent plus oeuvrer en éducation, car les conditions salariales et de travail qu’on y retrouve sont nettement insuffisantes par rapport à la pratique privée. On a beau promettre, il n'y aura rien à offrir ici.

Engagement 22: plus d'autonomie aux écoles (i.e abolir les commissions scolaires)
C'est ici que la CAQ entend abolir les 69 commissions scolaires actuelles (60 francos, 9 anglos) pour verser  les sommes versées à celles-ci directement aux écoles. Or, il se peut que je ne comprenne rien aux finances, mais la CAQ semble commettre une erreur  dans son programme  en confondant  frais de gestion et frais de fonctionnement (voir page 36). Est-ce vrai que «L’abolition des commissions scolaires permettra d’économiser environ la moitié de leur budget actuel de fonctionnement» comme on l'écrit à la page 37?  Si un intervenant peut m'éclairer ici, tant mieux!

LA CAQ entend créer 39 centres de services régionaux (30 francos, 9 anglos) pour permettre à diverses écoles de s'offrir des services en commun (transport scolaire, entretien des écoles, etc.). Pour la CAQ, cette structure serait souple. C'est à voir avec le temps...

Dans les faits, aucune analyse n’a été effectuée démontrant que les élèves recevront davantage de services directs et ressortiront gagnants de cette réorganisation structurelle. Ce n’est pas parce qu’on martèle sans cesse cette idée dans l’opinion publique qu’elle est nécessairement vraie. De plus, il n’existe aucune analyse des coûts des départs et des mises à la retraite d’employés, dont certains devront fort possiblement être réembauchés dans les nouvelles structures proposées. 

Ce que l’on sait, par contre, c’est qu’une partie importante des services actuellement offerts par les CS devront encore être assurés par les écoles ou les centres de services régionaux. Qu’on pense au transport scolaire, à l’entretien des immeubles, au service de la paie, etc.  Les écoles et les centres de services régionaux devront également embaucher des employés pour vaquer aux nouveaux mandats qui leur seront confiés. Ce que l’on sait enfin, c’est que les coûts pour effectuer certains services seront plus élevés si l’on doit faire affaire à des entreprises privées qu’à des employés scolaires. 

Le programme de mises à la retraite anticipée des enseignants et des infirmières en 1997 ainsi que les fusions municipales sont autant de gâchis dont on doit se rappeler avant de croire au bien-fondé des grandes restructurations organisationnelles proposées par la CAQ. Ici, ce parti, qui prétend vouloir former un gouvernement responsable, n’a pas fait la preuve de l’efficacité du changement qu’il propose. L’abolition des commissions scolaires est davantage un credo populiste qui gaspillera temps et énergie. Il existe des moyens de les rendre plus efficaces, mais la CAQ a choisi la voie facile et dangereuse de procéder à leur abolition, ce qui fera que le monde de l’éducation connaitra une autre de ses réformes inefficaces et coûteuses. 

Au bas mot, ce seront des dizaines de milliers d’employés que la Coalition bardassera de la sorte pour des fins politiques. Des secrétaires, des menuisiers, des experts en ressources humaines. Sans aucune preuve que cette proposition génèrera des économies qui seront directement affectées aux services à l’élève,  il est humainement irresponsable, selon moi, de se lancer dans une telle aventure.

Également, la CAQ peut-elle préciser à quoi serviront les directions régionales du ministère de l’Éducation une fois cette restructuration effectuée si les centres régionaux de services peuvent , comme on peut le lire dans son programme électoral, «prendre en charge» (sic) une partie des pouvoirs qui leur sont actuellement dévolus?

Engagement 22: plus d'autonomie aux écoles (i.e des écoles autonomes)
Un autre fer de lance du programme de la CAQ est de conférer une plus grande autonomie aux écoles. Ainsi, les conseils d’établissement de chaque établissement auront des pouvoirs accrus et les parents verront leur représentativité sur ceux-ci augmenter alors que celui des membres du personnel sera tout au moins proportionnellement réduite, si ce n'est pas abolie. Soulignons aussi le paradoxe de voir une formation politique donner plus de pouvoirs aux parents dans le fonctionnement d'une école alors que son propre chef estime qu'ils transmettent de mauvaises valeurs à leurs enfants.

Que vaut cette autonomie sur papier quand on ne sait pas de quels moyens financiers supplémentaires disposeront les écoles? Toutes les directions d'école du Québec sont-elles aptes à relever un tel mandat?
 
Par ailleurs, une fois les commissions scolaires abolies, qui prendra les décisions concernant des litiges entre chaque école? Par exemple, qui déterminera quelle école offrira un programme sport-études et pas une autre? Autrefois, ces décisions revenaient  à des commissaires (trop faiblement élus). Mais maintenant, seront-elles prises par des fonctionnaires ministériels non redevables devant la population? N’assiste-t-on pas ici à une perte du pouvoir démocratique des contribuables? 

Enfin, autres questions sans réponse : qui embauchera et congédiera les directions de ces écoles autonomes? Qui embauchera et congédiera les enseignants? Quelle convention collective régira les rapports entre les écoles et leurs employés?  Quelle convention collective régira les rapports entre les centres de services régionaux et leurs employés?  Il ne faut pas croire qu’il s’agit de détails insignifiants quand on sait qu’il y a plus de 90 000 enseignants au Québec. Le silence de la CAQ à ce propos est d’autant plus lourd que ces questions lui a déjà été posées il y a plus d’un an  

Engagement 23: revaloriser la profession d'enseignant
Pour la CAQ, la réussite des élèves passe par des enseignants compétents et motivés. Pour atteindre cet objectif, elle propose divers moyens, dont deux sur lesquels j'aimerais m'attarder.

Tout d'abord, elle entend augmenter le salaire des enseignants afin d'attirer de meilleurs candidats. J'appelle cela un raisonnement de comptable. Quelqu'un de cette formation politique sait-il qu’en enseignement, les bons candidats sont davantage concernés par des valeurs humaines et sociales que monétaires? Le chef de la CAQ croit-il réellement que cette profession sera attirante pour de jeunes universitaires alors qu’il a en tête de retirer la sécurité d’emploi des enseignants et de les embaucher pour des contrats de trois à cinq ans? Enfin, les jeunes candidats seront-ils attirés par une augmentation de salaire  qui dépendra vraisemblablement d’une augmentation de leur tâche de travail?

Il faut savoir aussi que cette augmentation de salaire a connu diverses versions. M. Legault a tout d'abord parlé de 20 à 30% pour tous les enseignants. Maintenant, on en est rendu à une moyenne de 20% avec peut-être des tâches supplémentaires à accomplir.

Bien des candidats universitaires méritants ne veulent pas oeuvrer dans le domaine de l'éducation parce que le climat actuel des écoles est trop difficile et que certains élèves et parents manquent de respect à l'égard des éducateurs. En quoi un salaire plus élevé changera-t-il cet état de fait? 

La CAQ entend aussi encadrer le travail des enseignants par un ordre professionnel et évaluer  leur performance, en tenant compte entre autres de la réussite des élèves. Dans les faits, avec de telles mesures, les enseignants seraient les seuls employés du réseau de l'éducation aussi évalués. Ils seraient aussi parmi les professionnels les plus évalués au Québec. Ils seraient même plus évalués que certains anciens ministres de l'Éducation....  

Est-ce une mauvaise chose? Tout est dans la manière et dans les buts poursuivis. Personnellement, je trouve que les moyens mis en oeuvre sont hors proportion si, comme l'affirme M. Legault, il n'y a que 5% d'enseignants incompétents au Québec. Ou cette manoeuvre cache autre chose ou, à la CAQ, on est tout simplement trop zélé.

Une conclusion
Pour conclure, le programme électoral  de la CAQ traduit une méconnaissance certaine de l’enseignement et du réseau de l’éducation ainsi que de l’enseignement. Après avoir soutenu une réforme pédagogique désastreuse, M. Legault propose maintenant une réforme organisationnelle improvisée pour dégager des sommes dont il ne précise pas la hauteur afin d'embaucher des spécialistes dont on sait qu'ils sont en pénurie. Si les programmes de Parti libéral et du Parti québécois ne sont pas assez contraignants en ce qui a trait à la gestion des commissions scolaires, par exemple. il faut croire que, pour la Coalition Avenir Québec, la solution afin de régler un problème est de le faire disparaître et d’en créer de nouveaux. 

Je ne dis pas que certaines idées mises de l'avant par le parti de M. Legault soient foncièrement mauvaises, sauf qu'elles ne sont pas appuyées sur des analyses sérieuses. En ce qui concerne l'abolition des commissions scolaires, par exemple, je n'ai jamais rien recensé à ce sujet sauf des déclarations politiques. Encore une fois, et je radote, on ne peut pas entreprendre des changements majeurs de la sorte en éducation sur le fruit d'une intuition, de quelques réunions entre partisans d'une même idée ou d'un élan populiste. C'est téméraire, imprudent, irresponsable quand on pense aux élèves pour qui on entend oeuvrer.

Enfin, je note que le programme de la CAQ ne renferme pas une promesse faite par M. Legault il y a quelques mois visant à geler les subventions aux écoles privées pour consacrer ces sommes à l'amélioration du réseau public. De même, la CAQ n'entend pas étudier le nombre de fonctionnaires qu'on retrouve au ministère de l'Éducation et ses différentes directions régionales. Une lacune sérieuse, quant à moi, quand on prétend questionner les sommes dépensés en éducation et remettre en question la structure administrative dans ce domaine.

Quelques autres billets sur la CAQ:

10 commentaires:

unautreprof a dit…

«d'augmenter de 8% d'ici 2020 le taux de diplomation»
Reste à savoir aussi ce qu'on entend par diplomation.
Ce n'est pas nécessairement sec.5 ou professionnel, on peut, quand on veut atteindre nos cibles, décider que l'on donne des diplômes pour les cheminements autres qui auront fait des stages supervisés, par exemple. Pas que ce soit mauvais de reconnaitre une variété de diplômes, mais les gens, en général, lorsqu'ils entendent de telles promesses, prennent pour acquis que ce sera un 8% de plus qui aura son secondaire 5.

Anonyme a dit…

Cadre financier de la CAQ ce matin.... L'augmentaion de 20% est disparu ou plûtot est maquillée... Legault commencerait à hausser les salaire des profs en 2015-2016, pour un montant de 120 millions, soit environ 150$ par profs... wow... Le reste viendrait lors d'un second mandat. Il ne parle plus vraiment d'abolir les Commissions scolaires mais de couper dans leurs dépenses d'achat de matériels...cadre disponible sur le site de Radio-Can...

Anonyme a dit…

Qu'en est-il pour la CAQ du nouveau bulletin qui n'est pas ce que les enseignants auraient voulu (encore des compétences évaluées)?

Le professeur masqué a dit…

Anonyme 1 : en effet. Pour l'augmentation, j'arrive à 1333,33$ par prof. 120 millions $ divisés par 90 000 prof.

Expliquez-moi votre calcul.

Anonyme; sous M. Legault, on avez des pictogrammes... Rien là-dessus.

Stephane Levasseur a dit…

Bonjour,

Vous dites: "Enfin, autres questions sans réponse : qui embauchera et congédiera les directions de ces écoles autonomes? Qui embauchera et congédiera les enseignants?"

J'ai trouvé dans la dernière version de la plateforme (http://coalitionavenirquebec.org/wp-content/uploads/2012/07/Plateforme-20124.pdf) des réponses à ces questions.

"[] en abolissant les commissions scolaires et en transférant aux conseils d’établissements des écoles, dotés du statut d’un CONSEIL D'ADMINISTRATION,
les pouvoirs dont ils ont besoin pour répondre à leur mission et aux besoins spécifiques de leur clientèle." -page 37
Comme dans les écoles privées, le conseil d'administration nomme les directeurs et les directeurs embauchent les profs.

Vous soulevez toutefois LA question fondamentale:
"Toutes les directions d'école du Québec sont-elles aptes à relever un tel mandat?"
Couper les commissions scolaires accorderait plus de pouvoir aux directeurs, qu'ils aient ou non les compétences requises pour prendre en charge ces nouvelles responsabilités... L'encadrement fait par le conseil d'administration deviendrait déterminant pour la qualité de la gestion et du bon fonctionnement de l'école.

Stéphane Levasseur




Anonyme a dit…

@Anonyme 2 :

Ce ne sont pas tous les enseignants qui veulent l'évaluation des connaissances seulement.

Personnellement, j'enseigne au 3e cycle du primaire et je préfère de loin l'évaluation par compétences. Évidemment, j'enseigne les connaissances et je m'assure qu'elles sont acquises par différents moyens. Cependant, il n'est pas nécessaire de faire passer des examens pour savoir si mes élèves ont leurs acquis ou pas. Je les observe en action.

L'enseignement des compétences aide les enfants à être plus réfléchis, à se poser davantage de questions, à développer et utiliser des stratégies et des ressouces, etc. Alors quand ils ne trouvent pas les réponses à leurs questions, je les encourage fortement à utiliser leurs ressources autant matérielles qu'humaines.

Je veux des enfants compétents ET connaissants, pas seulement des enfants qui ne savent pas quoi faire de leurs dix doigts, mais qui ont plein de belles connaissances.

Je suis très rigoureuse dans mon enseignement et dans mes observations au quotidien. Je sais défendre mes points de vue aux parents. Je ne mets aucune note, ni en chiffres ni en lettres, sur les travaux de mes élèves, mais je mets de nombreux commentaires pour les faire progresser au maximum.

J'enseigne dans un milieu favorisé où les attentes des parents sont très hautes. Les enfants ont beaucoup de pression. Au début, ils sont réticents, mais ils me remercient tous et notent une différence significative dans les résultats de leur enfant.

C'est un gros débat. On ne s'entend pas entre enseignants car on a tous notre façon personnelle de voir l'éducation. Et je crois que c'est correct ainsi, à condition de respecter le programme de formation et la progression des apprentissages. Je n'ai aucun doute que vous êtes aussi passionné(e) que moi!

Désolée, je me suis éloignée du sujet... mais ça me tient tellement à coeur!

Sans rancune! :)

Anonyme 3 ;)

P.S.: Pour ce qui est des autres sujets, j'aime beaucoup votre analyse Prof Masqué. Et j'en aurais aussi long à raconter! M. Legault continue à gagner des points dans les intentions de vote, mais je ne comprends pas... Il n'est pas constant dans ses interventions et dans ses promesses. C'est à n'y rien comprendre... J'ai bien hâte de voir la suite!

Le professeur masqué a dit…

M. Levasseur: effectivement, j'ai la même vision. Chaque école publique va être gérée comme une école privée avec un CA où les enseignants et le personnel seront exclus. Pour les enseignants, cela va se traduire par une plus grande précarité de l'emploi. Et M. Legault veut attirer plus de jeunes dans ce domaine?

De même, au risque de me faire lancer des roches, j'ai rarement vu sur ces CE des parents ayant les qualifications pour embaucher des directeurs ou gérer une école.

Le professeur masqué a dit…

Anonyme 3: Effectivement, on dévie un peu. Disons que pour former «des enfants «compétents ET connaissants», je les soumets à diverses formes d'évaluation en donnant une prépondérance finale à la compétence. Le seul hic est que la plupart des évaluations format compétence, en écriture surtout, accorde actuellement une faible place aux connaissances et ne mobilisent pas suffisamment une grande variété de celles-ci.

Quant à Français Legault, ses louvoiements sont très symptomatiques.

Anonyme a dit…

Des contrats de 3 à 5 ans?!?

J'espère qu'il ne sera pas élu!!!

Le professeur masqué a dit…

Anonyme: M. Legault a déjà énoncé cette idée. On ne sait pas où il en est rendu dans sa réflexion.