25 octobre 2016

L'école privée est tellement mieux...

Dans une lettre aux lecteurs publiée dans Le Devoir et ayant les allures d’une mauvaise info-pub, Jean-Marc St-Jacques, président de la Fédération des établissements d’enseignement privés, expliquait récemment pourquoi l’école privée était meilleure que l’école publique : «C’est parce qu’elle sélectionne son personnel et le mobilise autour d’un projet éducatif étoffé et inspirant.» Voilà : rien de moins. Les enseignants et les projets éducatifs y sont meilleurs! Pourtant, combien de fois ai-je vu des candidats refusés à l’embauche au secteur public trouver aisément un emploi dans une école privée? Combien d'élèves expulsés de ces milieux inspirants se sont retrouvés dans mes classes?

À notre ministre de l’Éducation qui est présentement en consultation afin de développer des moyens de favoriser la réussite scolaire du plus grand nombre, ne cherchez plus! Il suffit de prendre toutes les directions et les enseignants des écoles privées et de les envoyer dans nos écoles publiques…  Non, le succès de l’école privée ne s’explique pas par la sélection des élèves qui s’y retrouvent, croit M. St-Jacques, citant le très peu crédible Institut Fraser, un «think tank» reconnu pour ses postions de droite et en faveur de la privatisation de l’éducation. Ce que ce dernier oublie de mentionner est que l’école privée opère, dans les faits, une sélection très nette basée sur le revenu des parents. Peu de familles ont les moyens de payer autant pour l’éducation de leurs enfants. C'est d'ailleurs ce que reconnait l'OCDE, une organisation gauchiste (...), quand  elle cérit: «la relation positive entre établissements privés et performance s’explique donc en partie par les caractéristiques socioéconomiques des établissements et des élèves, et non par un avantage intrinsèque des établissements privés.» (OCDE, 2011b:49) »

Quand on sait que le statut socio-économique d’un élève est un des principaux prédicateurs de la réussite d’un jeune à l’école, c’est comme de ne pas vouloir voir un éléphant dans une garde-robe.



03 octobre 2016

L’école publique a besoin qu’on s’occupe d’elle

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La Presse publiait récemment les propos un peu vagabonds - tant ils allaient dans plusieurs directions - d’un enseignant de Québec,  Stéphane Boulé. Celui-ci était d’avis que les choses n’allaient pas si mal en éducation au Québec. Il estimait que dénoncer les mauvais côtés du système scolaire équivalait à le «salir» et qu’une des plus importantes belles choses qui s’y produit est que «la majorité des jeunes qui y entrent en sortent avec un diplôme sous le bras.» Encore faut-il voir ce qu’exige ce diplôme…  

La réalité est parfois fort différente

Dans les faits, au Québec, le taux de diplomation ne regroupe pas uniquement le fameux Diplôme d’études secondaires (DES) mais aussi 12 qualifications ou diplômes différents. Qu’on pense au certificat de formation préparatoire au travail, par exemple. Certains intervenants n’hésitent d’ailleurs pas à affirmer qu’on décerne aujourd’hui à des analphabètes fonctionnels des diplômes qui sont parfois de niveau primaire. Pour Caroline Meunier, du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec, «Il y a des gens qui ont leur secondaire cinq et qui ont un faible niveau de littératie. On peut se questionner sur leur parcours scolaire.»

Par ailleurs, en français, M. Boulé devrait pourtant savoir qu’au fil des ans, les exigences ont été constamment réduites quant à la réussite de ce cours. Pis encore : en 2003, 47 % des Québécois étaient considérés comme analphabètes fonctionnels. En 2013, ce pourcentage augmentait à 53 % comparativement à 49 % au Canada. Et ne n’oublions pas le décrochage scolaire : 21,5 % pour les garçons et 13,6 % pour les filles en 2009-2010 d’après un document de la CSQ.

D’autres égarements pédagogiques

Dans une autre veine d’idée, M. Boulé croit fermement que «ce n’est pas le milieu social ou le revenu familial qui, en premier lieu, fait qu’ils [les élèves] réussissent leurs études.» Sans aucune preuve à l’appui autre que son expérience personnelle, ce dernier s’inscrit en faux contre une foule d’études et d’experts qui ont clairement démontré le contraire.  

Plus loin dans ses propos, M. Boulé écrit également : «Cesser de donner des devoirs aux jeunes ou les leur faire faire à l’école nuit tôt ou tard à leur réussite scolaire, ce que confirme la recherche en éducation.» Ah bon, quelle recherche? Un expert en éducation comme Normand Baillargeon reconnaît que les devoirs au primaire ont peu d’impact sur la réussite des jeunes. Par contre, il indique qu’il est préférable d’en donner au dernier cycle du primaire afin de mieux préparer les élèves aux devoirs du secondaire qui, eux, semblent pertinents.

Quant à moi, depuis dix ans, peu de choses ont changé depuis. La situation s’est même détériorée dans certains cas car l’école publique a subi au cours des dernières années des coupes qui ont nui à la réussite de plusieurs jeunes et les réinvestissements qu’annonce le gouvernement actuel ne suffiront même pas à revenir à un niveau de services acceptables, surtout pour les élèves en difficultés d’apprentissage. 

Comme enseignant, quotidiennement, je vois qu’il se fait de belles choses dans le réseau scolaire québécois. Cependant, on ne peut affirmer, comme Candide, que «Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles». Devant la place qu’occupe l’école privée au Québec et une opinion publique qui cherche constamment à la dénigrer, l’école publique est souvent déchirée entre dénoncer publiquement les ratés qu’elle connait et affirmer qu'elle réussit malgré tout à atteindre plusieurs de ses objectifs. Il ne faut pas se bercer d’illusion : l’école publique, celle de tous les Québécois, a besoin qu’on s’occupe d’elle. Reste à voir comment nos décideurs entendent le faire.