Une école de ma région a commencé à instaurer un système de motivation pour récompenser les étudiants méritants: il s'agit d'exempter de l'examen de fin juin les élèves ayant présenté une moyenne de 85% dans une matière donnée. Cette mesure ne s'applique cependant pas aux examens ministériels ou relevant de la commission scolaire, comme si ces derniers étaient de «vraies» évaluations et les autres que des tests facultatifs donnés on ne sait trop pourquoi finalement.
Sur quelles données probantes repose cette idée? Aucune idée. Un spécialiste que j'ai consulté m'a indiqué qu'à sa connaissance, il n'existe rien sur le sujet.
En pratique, cette mesure pose tout d'abord des problèmes au niveau de l'équité des résultats des élèves. Ainsi, en français, en juin, on ne retrouve qu'un examen de lecture. L'élève fort en écriture ou en oral devra donc se présenter à un examen pour un volet où il réussit moins bien qu'un confrère bon en lecture mais qui aurait une moyenne générale plus faible en français. Appelons cela une situation injuste. De même pour un élève qui aurait un enseignant plus généreux que son ami malchanceux aux prises avec un enseignant plus rigoureux. Quand on sait qu'il est rare qu'on favorise la rigueur dans notre réseau scolaire, on comprendra qu'on en arrivera un jour à un inévitable point de comparaison où le prof plus exigeant devra baisser ses attentes s'il veut ne pas subir l'opprobre des jeunes, des parents ou même de sa direction.
Également, les examens de juin mesurent parfois, dans certaines matières comme les sciences ou les mathématiques, des contenus qui ont été enseignés en fin d'année et qui ont peu été évalués formellement. On perd donc ici une occasion d'évaluer un élève quant à des contenus nouveaux. Cela fausse donc l'évaluation. Un élève fort pendant l'année n'aura pas à subir une évaluation qui, théoriquement, aurait pu diminuer sa moyenne générale, par exemple.
Mais ce qui m'embête davantage est le message que véhicule une telle mesure. En effet, l'école fixe ainsi un seuil de réussite implicite de 85%. À 85%, tu mérites d'être exempté. À 85%, tu es bon. 85%, c'est le seuil de reconnaissance de ta valeur. En bas de 85%, tu ne mérites rien. En bas de 85%, tu n'es pas reconnu. En bas de 85%, tu es... poche.
Pour des collègues ayant vécu cette expérience, il s'ensuit une étonnante et désespérante ségrégation. Ainsi, on sait tous que les élèves se comparent entre eux et 85% devient alors le nouveau seuil minimal où l'on départage les «forts» des «faibles». On m'a rapporté le cas d'une bonne élève travaillante en larmes pendant de longues minutes et qui affirmait ne pas être bonne parce qu'elle n'avait que 84%. Elle anticipait le regard de ses collègues de classe et de ses parents. Voilà comment une fausse bonne idée transforme une élève méritante en une élève honteuse. Comment peut-elle ne pas être fière d'avoir obtenu 84%?
En plus de vouloir récompenser les élèves qui réussissent bien et de vouloir réduire le nombre d'évaluations qui seraient des sources de stress, cette initiative vise à inciter les élèves à maintenir un effort constant tout au long de l'année. Or, on ne semble pas constater l'effet pervers qui se produirait avec l'instauration d'un tel système. Les jeunes se mettent davantage à stresser à chaque travail, à chaque évaluation pour avoir 85%. Ils calculeraient davantage leur moyenne générale pour savoir s'ils seront exemptés et questionneraient davantage leurs enseignants quant à la correction de leurs travaux et de leurs examens. En bon québécois, ils se mettraient «à gosser pour des points». Ils ne viseraient plus à apprendre, mais à réussir.
Et quand on ouvre cette porte dans la course aux notes, on favorise évidemment une certaine motivation mais aussi la tricherie. L'accent est mis, non sur les apprentissages, mais sur la réussite, peu en importe les moyens. On est loin des valeurs saines qu'on devrait préconiser dans un établissement d'éducation, quant à moi. Ne pas faire une évaluation devient une récompense. C'est un peu comme ce prof qui promet à ses élèves de remplacer un cours par une activité récompense s'ils atteignent certains objectifs. Les jeunes deviennent motivés à l'école pour ne pas avoir d'école. Un joyeux paradoxe.
Pour ma part, on devrait valoriser la différence dans la réussite, valoriser les élèves selon ce qu'ils sont et qui ils sont. Un gamin qui trime dur et qui obtient un 67% est peut-être plus méritant qu'un jeune blasé et impoli qui a 89% et qui ne fait rien en classe. On me répondra qu'il existe des systèmes de mentions, de commentaires au bulletin. Rien ne bat cependant aux yeux d'un élève la récompense «ultime» d'être exempté d'une épreuve que devront faire ses collègues «moins bons» que lui. On consacre ainsi la «réussite» tout en stigmatisant «l'échec» avec 84% de moyenne...
«Oui, mais les forts n'ont jamais de reconnaissance. On s'occupe juste des plus faibles», pourrait-on répliquer. Ces affirmations sont pourtant fausses. Les plus forts reçoivent déjà une reconnaissance de facto de l'école par la note inscrite à leur bulletin et on ne s'occupera jamais assez des plus faibles justement parce qu'ils sont les plus faibles.
Dans les faits, en plus d'être une «fausse bonne idée», ce genre de mesure souligne le caractère d'une école où on ne travaille pas la motivation intrinsèque de l'élève et une bonne reconnaissance de ses effort et de sa réussite. La note devient un but en soi. Pas les apprentissages. Pas les stratégies d'apprentissage. Pas les connaissances. On formate les élèves à se définir encore plus par les notes que comme des apprenants. On ne se questionne pas sur les buts, les moyens et les valeurs qu'on instaure.
Voilà, finalement, une autre belle dérive de la gestion axée sur le résultat.