Il y a longtemps que le Prof masqué ne s'est pas livré à une petite lecture critique de l'actualité en éducation. En voici une que je vous suggère de ne pas manquer.La Presse publie aujourd'hui une série de reportages très intéressants sur les collèges privés. On comprend mieux le succès de certains établissements scolaires quand on voit comment ils fonctionnent.
Un premier bémol: la série de
La Presse contient une information majeure qui est profondément inexacte, comme on le verra.
Par ailleurs, il faudrait éviter de généraliser: ce ne sont pas tous les collèges privés qui fonctionnent de la même façon. Ceux des grands centres sont nettement plus avantagés puisqu'ils disposent d'un bassin de clientèle plus important alors qu'en région, le choix est parfois plus limité. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que, même en régions, ces établissements d'enseignement jouissent d'avantages importants sur ceux du réseau public.
Un taux de rétention inexactOn parle beaucoup du nombre d'élèves qui décrochent au Québec. Avec un pourcentage variant entre 30 et 40%, on estime que le secteur public faillit à la tâche. Mais quel est le taux de décrochage au privé?
La Presse indique que le taux de rétention serait de 71% au secteur privé. Donc, un taux de
décrochage de 29%! On parle ici généralement d'élèves sélectionnés par des tests d'adminission.
Mais, dans les faits, ce taux serait inexact et plus élevé encore. En effet, il faut savoir que ce chiffre pourrait être plus important puisqu'il compare seulement le nombre d'élèves inscrits en première secondaire et avec ceux inscrits en cinquième. On ne sait donc pas véritablement combien d'élèves quittent le privé ou sont mis à la porte parce qu'avec une telle façon de calculer les choses, les collèges privés ont la possibilité de remplacer les élèves qui partent comme
le reconnait le directeur général de l'école Regina Assumpta.
Après la sélection au début du processus d'admission, il ne fait aucun doute que l'écrèmage lors du parcours scolaire est donc sûrement encore plus important que ne le mentionne
La Presse.
Une raison qui explique ce faible taux de rétention est le fait que les écoles privées veulent bien paraitre comme
l'explique le directeur de l'une de celles-ci sous couvert de l'anonymat:
«Avec le foutu palmarès, la pression est énorme. En quatrième et cinquième secondaire, ça prend absolument de bons résultats aux évaluations ministérielles. La compétition entre les écoles est de plus en plus présente.»Ce taux de rétention serait cependant à la hausse. Une raison expliquant ce changement est monétaire si l'on en croit M.Sasseville, directeur du service de l'organisation scolaire à la commission scolaire des Patriotes :
«Il y a une limite à ce que tu peux aller chercher comme élèves dans la région, soutient-il. Pour faire de l'argent, les collèges les gardent tout simplement plus longtemps.» Est-ce aussi pour des raisons autres que monétaires, mais certains établissement privés fonctionnent maintenant autrement.
La Presse cite
le cas du collège Mont-Saint-Louis et
celui du Séminaire de Sherbrooke.
«Chez nous, ce n'est pas pyramidal, il n'y a pas d'écrémage au fur et à mesure que le secondaire se déroule, explique André Métras, directeur général du Séminaire de Sherbrooke, qui vient au 73e rang en matière de taux de rétention. Quand on dit oui à un élève, on veut le garder pour cinq ans.» .
Performe ou prends la porte!Lorsqu'on regarde le fonctionnement de certains collèges privés, on remarque qu'un élève doit réussir s'il ne veut pas être mis à la porte. Ainsi, il arrive qu'on exige des jeunes qu'ils respectent une moyenne cumulative et on ne tolère aucun échec: Brébeuf, 65 %; Sainte-Anne, 67 %, Saint-Sacrement, 68 %. Et ce pourcentage peut monter à 70 % ou 80 % dans les programmes spécialisés en sport, musique ou études internationales. Imaginez-vous combien d'élèves seraient à la rue si on faisait de même dans le réseau public?
La Presse mentionne le cas de cet élève qui n'avait que 64,5%. Le directeur du Collège Sainte-Anne, Ugo Cavenaghi, affirme que ce cas est exceptionnel:
«Sur 1650 élèves, seulement quatre ou cinq n'ont pas répondu aux critères de réadmission l'an dernier. Il n'y a pas si longtemps, on pouvait perdre entre 20 et 30 élèves par année.» Mais il précise que l'établissement travaille fort pour conserver ses élèves le plus longtemps possible et a même embauché deux travailleuses sociales à temps plein cette année. Deux! Il faut croire que le privé n'a pas les même besoin que le public puisqu'à mon école nous en avons deux par cycle du secondaire et que cela est nettement insuffisant!
Quand certains affirment que les collèges privés ne forment pas une élite, prenez connaissance des propos de Mario Vachon, directeur général du collège Saint-Alexandre:
«Parfois, les gens nous disent : «Vos élèves faibles, vous les renvoyez dans d'autres écoles. Sauf que nos élèves faibles ne le sont pas vraiment. Peut-être que le rythme qu'on impose ici est trop rapide pour eux mais, une fois à la polyvalente, c'est fréquent qu'ils aient une moyenne de 80 %.» Alors pourquoi ne pas les garder ? Parce que Saint-Alexandre est réservé aux élèves capables de suivre un programme enrichi.»Une discipline strictePar ailleurs, les collèges privés ont tout le loisir d'imposer des règlements stricts comme le montre
ce texte, ayant peu de chances de se voir trainer devant les tribunaux. Dans certains cas, la drogue ou d'alcool mène à l'exclusion.
D'autres raisons entrainent également un renvoi : «vol, harcèlement, taxage, bagarre, déclenchement injustifié du système d'alarme, piratage informatique, plagiat, etc.» Mais que penser des libellés flous comme «comportement jugé contraire aux valeurs préconisées par le Collège» (à Jean-Eudes), une «mauvaise conduite» (à Regina Assumpta) ou «lorsqu'un élève exerce sur le milieu une influence nocive» (à Brébeuf)?
Au secteur public, si un élève est renvoyé pour trafic de drogues, il est généralement envoyé dans une autre école. On n'exclut pas le problème: on le déplace. Il faut alors prévoir des modes de réinsertion pour l'enfant, des rencontres avec des professionnels en désintoxication ou avec des policiers, etc. Tout cela prend du temps et coûte cher. Le privé, lui, n'a à affronter ces problèmes.
Le
cas de Louis n'est peut-être représentatif de tous les renvois au privé, mais il serait tout bonnement impensable au public.
Notons qu'il existe des établissements avec peut-être un peu plus de jugeotte.
Et il faut voir
comment ces élèves atterrissent au secteur public! Souvent, on ignore tout des motifs de leur renvoi:
«Parfois, le collège privé n'envoie pas le dossier de l'élève avec les notes sur son comportement. Si j'ai un jeune violent, je ne le sais pas. C'est dangereux!», explique un enseignant. Et ce n'est pas le jeune ou ses parents qui vont expliquer à la nouvelle direction qu'il a été renvoyé pour possession de drogue. On découvre alors le problème sur le tard, sur le trop tard même, alors qu'il aurait fallu intervenir immédiatement à l'arrivée du jeune.
D'autres règlements soulèveraient tout bonnement une révolte des jeunes dans les écoles publiques si on les imposait:
- interdiction de chaussettes à motifs;
- interdiction de circuler à gauche dans les corridors;
- interdiction de toue manifestation sentimentale de nature amoureuse;
- les cheveux doivent être propres, peignés, être coupés de façon à faire preuve de distinction ou encore «le décorum qui sied à un milieu d'études sérieux».
Vous comprenez alors à quel point la discipline d'une école publique ne peut absolument pas être comparée avec celle d'une école privée. Et une de ces raisons qui explique cet écart, ce sont souvent les parents des jeunes contrevenants qui contestent la moindre sanction disciplinaire.
Je me souviens de ce jeune, surpris à vendre des stupéfiants en deuxième secondaire. Ses parents contestaient son renvoi parce qu'ils n'avaient pas le temps de le reconduire pendant une semaine à sa nouvelle école: «Vous me pénalisez et je n'ai pas à payer pour les erreurs de mon fils!»
Ou encore de ce père qui était allé chercher un avis juridique interdisant la saisie du téléphone cellulaire de sa fille. Ce n'est pas compliqué: pour rédiger un code de vie au public, il faut se mettre en mode «paranoïa» et toujous s'assurer que celui-ci résistera à un procès.
Une petite conclusionPersonnellement, à la lumière de ces faits, il est facile d'expliquer le
pseudo succès de plusieurs écoles privées: épreuves de sélection à l'entrée, obligation de performance de la part de l'élève, écrèmage lors du parcours scolaire, discipline de fer qui encadre encore plus l'obligation de réussite... J'écris
pseudo succès parce que le taux de rétention présumé des élèves au secteur privé est purement indécent, quant à moi. Il le serait encore plus si on disposait des vrais chiffres concernant cette réalité.
Il est purement injuste de comparer l'école publique avec ces établissements d'enseignement.Et il est encore plus indécent d'entendre des dirigeants de ces écoles demander qu'on augmente la subvention que le gouvernement du Québec leur verse. (Dans les faits, on l'a vu dans un billet précédent, ces établissements privés sont largement financés par le gouvernement québécois et dans un pourcentage bien supérieur au fameux 60% que certains affirment sur les tribunes publiques.)
On voit aussi à quel point plusieurs de ces établissements ont des pratiques axées sur la performance et non sur le bien-être ds jeunes qui leur sont confiés.
Si on donnait à l'école publique les
avantages du privé, combien de gens s'insurgeraient à l'effet qu'elle ne remplit pas sa mission éducative? Et pourtant, c'est ce qui se produit chaque dans bien des écoles privées du Québec.
«Moralement, on n'assume pas notre rôle d'éducateurs», reconnait la direction d'une école privée ayant requis l'anonymat.