14 avril 2017

André Arthur: quand le ministre Proulx va-t-il défendre ses enseignantes?

M. Sébastien Proulx est à la tête du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur (MEES) depuis février 2016. Au cours des nombreux visites qu'il a effectuées dans les écoles, il a rencontré de nombreuses enseignantes qui y travaillent et, dans certains cas,  a su gagner leur confiance. Mais que vaut celle-ci quand le ministre ne les défend pas quant aux récents propos outranciers de l'animateur radiophonique André Arthur?

La dictature des «maudites folles»

La semaine dernière, dans un délire auquel on ne s'habitue heureusement pas, l'ancien député fédéral et chauffeur d'autobus, qualifiait les enseignantes du primaire de «maudites folles» parce qu'elles s'assuraient qu'on ne retrouve pas la présence d'aliments allergènes dans la boite à lunch des enfants à l'école:

«Ça va prendre combien de temps avant que les parents se révoltent contre la dictature des maudites folles? Les lunchs à l’école, t’as pas le droit d’avoir des noisettes, t’as pas le droit d’avoir du beurre de peanut, t’as pas le droit d’avoir des poissons, t’as pas le droit d’avoir des fruits de mer, t’as pas le droit d’avoir ci, t’as pas le droit d’avoir ça... [...] Tu parles d’une dictature de folles!»

Selon Santé Canada, jusqu'à 6% des enfants sont atteints d'allergies alimentaires et ce nombre est en hausse. On retrouverait 60 000 enfants atteints d'allergies graves au Québec. Le nombre de visites aux urgences à cause d'un choc anaphylactique a bondi de 95% entre 2006 et 2013.

«C'est parce qu'elles étaient à l'origine de la majorité des réactions allergiques graves, et de la plupart des morts, que les noix et arachides ont été interdites dans plusieurs écoles, rappelle Marie-Josée Bettez, auteure du livre Déjouez les allergies alimentaires. Depuis que cette mesure a été implantée, il n'y a plus eu de morts liées à l'allergie à l'arachide dans les écoles.»

M. Arthur ne semble pas savoir que, pour des raisons de santé, les enseignantes sont tenus de faire respecter certaines consignes alimentaires. Elles peuvent être blâmées et les commissions scolaires poursuivies si elles ne le font pas. On parle d'un domaine qui relève même de la santé publique. Pour ces raisons, les allergies sévères sont consignées dans le dossier de l'élève et le personnel doit en tenir compte dans toutes les activités à l'école. En tout temps, et même lors de sorties ou d'activités parascolaires, elles doivent avoir avec elles des auto-injecteurs d'épinéphrine afin de réagir adéquatement à une éventuelle réaction allergique.

Qu'à cela ne tienne, le sénile animateur remet aussi en question la compétence de ces enseignantes:

«C’est le caprice du moment, inspiré par l’incompétence. Les folles à l’école qui empêchent vos enfants de manger ci pis ça, c’est parce que, quand elles avaient des cours de biologie pis des cours de sciences au collège, elles les ont pochés. Elles ne savent pas de quoi elles parlent. Elles ne savent pas c’est quoi, une allergie.. [...] On le sait, que ce n’est pas en enlevant les peanuts qu’on va aider ceux qui sont allergiques aux peanuts, mais bien en enseignant à ceux qui sont allergiques aux peanuts comment ne pas être victimes de leur allergie.»

M. Arthur est-il allé dans une école primaire récemment pour savoir qu'on y effectue déjà de la sensibilisation auprès des enfants quant aux aliments allergènes et aux possibles réactions anaphylactiques? Même des jeunes, bien informés à propos de ces notions tant à la maison qu'à l'école, ne sont pas à l'abri d'une erreur ou d'un manque de jugement.  Certains ont tout juste cinq ans. Ils ne sont pas assez responsables pour assurer seuls leur sécurité. On est loin de «caprice du moment inspiré par l'incompétence» dont parle l'animateur.
Il accuse également les enseignantes de véhiculer des faussetés par rapport aux allergies:

«C’est les mêmes personnes qui sont toujours dans les légendes urbaines. [...] La fille a “frenché” son chum qui avait mangé une sandwich au beurre de peanut. Elle est morte. Tu l’entends encore? [...] Sauf que, immédiatement, on a su que c’était une arnaque de professeurs. Une idée de maudite folle qui a décidé un jour, pour montrer qu’elle avait raison d’interdire le beurre de peanut, de faire ça.»

J"espère que M. Arthur ira expliquer à Micheline Ducré dont la fille est tragiquement décédée en octobre 2012 en embrassant son nouveau copain qui venait de manger du beurre d'arachides. On est loin des histoires inventées pour terroriser les enfants.

Une attitude semblable à la pédophilie

Là où l'animateur verse dans le délire est lorsqu'il compare cette obligation qu'ont les enseignantes de faire respecter certaines contraintes alimentaires à la pédophilie. Rien de moins!

«C’est la même attitude que les pédophiles. Si tu pognes un pédophile qui a taponné des petits enfants et que tu l’interroges sérieusement, il va toujours finir par dire ceci: “Les parents ne les aiment pas vraiment. Nous autres, on les aime pour vrai, les enfants.” Cette attitude, comme quoi on est mieux que le parent, est partagée dans des domaines d’activité différents. L’autorité ou la sexualité, par les professeurs et les pédophiles.»

Il est sain et normal que, dans notre société, l'on questionne les pratiques mises en oeuvre dans nos écoles. De plus en plus, on entend divers intervenants, qu'ils soient  parents ou médecins, qui remettent en cause les différents interdits alimentaires qu'on retrouve dans le réseau scolaire. Mais la façon dont M. Arthur aborde ce débat dévalorise grandement la profession  enseignante alors qu'on cherche justement à la valoriser afin de rendre celle-ci plus attrayante. Et devant une telle attaque en règle par rapport à la compétence et au jugement des enseignantes quant aux aliments allergènes qu'on retrouve dans nos écoles, le ministre Proulx ne peut rester silencieux. Il doit être conséquent avec ce qu'il prône, Ce n'est pas la première fois que M. Arthur traite ainsi les enseignantes de «maudites folles» et d'autres termes pire encore. Cette fois-ci, il en va à la fois du respect de leur profession mais aussi d'une question de santé publique.

En ajout: Mme Scalabrini s'insurge avec raison




01 avril 2017

Le projet Lab-école: verse-t-on dans l'éducation spectacle?

Le ministre de l'Éducation, Sébastien Proulx, a été pris au dépourvu quand les médias ont dévoilé le nom des trois «vedettes» qui repenseront les écoles québécoises dans le cadre du projet Lab-école: Pierre Lavoie, Ricardo Larrivée et Pierre Thibault. Le tout donnait alors l'impression d'un projet plutôt mal ficelé. Et on peut se demander si ce n'est effectivement pas le cas.

Un désaveu quant au ministère

Pour appuyer cette initiative, on a indiqué qu'il était parfois important de «repenser à l'extérieur de la boite» afin de trouver de nouvelles idées. D'où ma première interrogation: à quoi sert le ministère de l'Éducation s'il n'est plus capable de gérer ou penser à l'école de demain? Le ministère est-il toujours l'endroit pour innover et faire avancer les choses? Ce choix du ministre constitue un clair désaveu du travail des fonctionnaires sous sa gouverne.

Personnellement, cette annonce ne fait que confirmer une conviction personnelle: il y a longtemps que ce ministère devrait être tenu responsable des nombreux dérapages de l'école québécoise. Au delà des activités sportives, de l'alimentation et de l'architecture, il est regrettable toutefois que le ministre Proulx ne s'intéresse pas plus à un élément tout aussi important: le curriculum et l'enseignement. «On ne veut pas changer la vocation [des écoles]. La vocation, c'est d'apprendre. On veut apprendre mieux et apprendre plus.»  Très bien, mais où sont les pédagogues et les enseignants dans ce projet? Et où sont les technologies de l'information, pourtant un incontournable de la réalité d'aujourd'hui?  

L'imagination ou l'inexpérience au pouvoir?

Si on peut être d'accord avec l'idée qu'il faut faire preuve d'imagination quant à l'école québécoise, l'inexpérience de nos «Three amigos» du ministre Proulx peut cependant soulever de nombreuses interrogations.

Prenons par exemple quelques idées de Pierre Thibault. L'architecte imagine des cours de yoga la fin de semaine dans le gymnase. Les gymnases de bien des écoles servent déjà à donner des cours la fin de semaine, le sait-il? Il rêve ensuite d'une bibliothèque scolaire ouverte le soir où le jeune pourra venir avec ses parents. Très bien, mais qui paiera le salaire des employés? Avec quel budget?

«L'école doit redevenir le coeur d'une communauté, croit le ministre Proulx. Je ne peux concevoir que, dans certains milieux, on construise des écoles neuves et à côté, on construit aussi une bibliothèque et un centre sportif.» On peut effectivement songer à établir des liens entre les écoles et les municipalités mais, on l'a vu par le passé, cette idée est loin d'être simple.

Une autre idée de M. Thibault est de libérer à jamais l'école de la clôture Frost. Très bien, mais par quel moyen assure-t-on la sécurité des élèves en milieu urbain, par exemple? Comment empêcher le ballon de se rendre dans la rue? Comment empêcher un des dizaines sinon des centaines d'élève sous la surveillance des éducateurs de quitter imprudemment la cour de récréation?

Ce sont davantage les idées de Ricardo Larrivée qui montrent à quel point ce dernier semble ne pas avoir une bonne connaissance de la réalité du réseau scolaire.  Celui-ci croit que les élèves devraient se faire à déjeuner à l'école comme ils le font à la maison: «Le pain va être là, le beurre d'arachides, les céréales.» Le beurre d'arachide? Est-il au courant qu'il existe des allergies alimentaires en milieu scolaire? Qu'avec le transport scolaire, ou le service de garde certains élèves sont déjà levés au moins une ou deux bonnes heures avant d'arriver à l'école? «On va leur enseigner ce qui est bon pour la santé et lorsqu'ils iront en classe, ils auront eu 20 minutes de cours sur l'alimentation du petit-déjeuner.» Qui paiera cette nourriture? Qui enseignera aux jeunes? Si ce sont les profs, quel cours sera coupé? Et où mangeront les enfants quand on sait que bien des écoles sont en surpopulation? Dans leurs classes?

L'argent dans tout cela?

Si nos trois penseurs croient qu'il en coûtera plus cher pour repenser l'école québécoise mais que le tout en vaudra la peine, ils auront fort à faire pour convaincre le ministre Proulx qui, déjà, annonce qu'on «peut faire mieux avec le même dollar investi. On y mettre ce qu'il faudra, en fonction de notre capacité de payer.» Imaginez: on peine à financer des services spécialisés pour les élèves en difficultés.

Il faut aussi repenser au cas de l'école Saint-Gérard à Montréal qu'on a dû reconstruire à cause d'un problème de moisissures causé par une gestion négligente et un financement insuffisant au fil des années. En 2015, ce même gouvernement exigeait le retrait des plans originaux d'un atrium central, de la toiture verte, des exigences LEED Argent et de la géothermie. Même l'école devait être plus petite, passant de 6090  à 5300 mètres carrés pour répondre aux demandes du ministère. S'il n'y a que les fous qui ne changent pas d'idée, on cherche la cohérence dans la vision qu'à ce gouvernement élu il y a trois ans. On nage une fois de plus dans l'improvisation.

Il est à se demander finalement si tout ce projet est bien réaliste ou ne constitue pas un autre écran de fumée qui cachera une désolante réalité. Actuellement, on aurait plutôt besoin de véritables états généraux afin de déterminer ce que l'on souhaite vraiment pour nos enfants et d'établir enfin un véritable consensus sur le rôle de l'école québécoise. Pour l'instant, on a davantage l'impression d'être dans de l'éducation-spectacle.  Des murs, du pain et des jeux.