27 février 2019

Réforme du bulletin ou le jour de la marmotte

Cette semaine, avec un hiver qui n'en finit pas, c'est comme si on assistait à une mauvaise reprise du film «Le jour de la marmotte». En effet, le Conseil supérieur de l'éducation (CSE) a ramené cette lubie chère aux partisans du défunt Renouveau pédagogique d'abolir les moyennes et les pourcentages au bulletin. Heureusement, le ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, qui a déjà joué comme enseignant dans cette mauvaise production pédagogique au cours de sa carrière, a tôt fait d'inviter les membres de cet auguste comité à retourner dans leur tanière avec leur idée.

Passons sur le mépris que véhicule cette suggestion de ces membres de ce conseil si supérieur à l'égard des enseignants, comme si ces derniers ne savaient pas effectuer des évaluations formatives ou encore des rétroactions significatives afin de permettre aux élèves de mieux se connaitre et de s'améliorer. Passons aussi sur cette culpabilisation implicite à l'effet que l'anxiété chez les jeunes élèves est causée par les formes actuelles d'évaluation, comme si l'école seule était responsable des maux qui affligent l'estime de soi notre jeunesse.

Non, intéressons-nous à l'essentiel. Par leur intervention, ces immortels de la pédagogie québécoise préconisent encore une fois, il ne faut pas s'y tromper, un bulletin qui évacue l'évaluation des connaissances pour privilégier celle des compétences. Or, en français, par exemple, on ne le dira jamais assez, les évaluations actuelles par compétence ne mobilisent pas un ensemble significatif de connaissances. Sinon, comment peut-on expliquer que certains bons élèves de première secondaire (pas des élèves surdoués, je le précise) pourraient aisément réussir, comme de nombreux enseignants en sont convaincus, les épreuves ministérielles de cinquième secondaire sans avoir suivi quatre années complètes de formation?  Ils sont déjà, semblent-ils, même à douze ans, assez compétents pour satisfaire les «exigences» ministérielles de la fin du secondaire.

Au lieu de se préoccuper des notes et des bulletins, les membres du CSE devraient davantage s'interroger sur ce qu'apprennent nos jeunes dans les écoles et les exigences qu'on a envers eux. Ainsi, ils pourraient se demander s'il est acceptable que, de la première à la quatrième secondaire, un élève puisse «réussir» un examen d'écriture en effectuant une faute d'orthographe d'usage ou grammaticale par mot? Qu'on ne croit pas qu'il s'agisse d'une exagération ici: la chose est permise, sue et hautement tolérée. Encore une fois, ces élèves aussi en savent assez pour satisfaire les «attentes» des évaluations. Qu'on maquille leur résultat avec un 60%, un D ou un émoticône souriant ne changera rien au mensonge dans lequel on se complait. On veut que nos élèves réussissent, mais que «réussissent»-ils au juste?

Au lieu de fabuler sur un bulletin imaginaire qui favoriserait une réussite illusoire, nos docteurs de l'éducation pourraient-ils unir leur voix à celles des milliers d'intervenants qui déplorent les conditions abominables dans lesquelles nos jeunes vivent et tentent d'apprendre dans nos écoles? D'ailleurs, où étaient-ils, on se le demande, quand le précédent gouvernement libéral coupait allègrement dans les services directs aux élèves? De même, estiment-ils acceptable qu'aujourd'hui, dans une école publique, les élèves n'aient pas avec eux partout et en tout temps une grammaire ou un équivalent numérique? Que pensent-ils de la loi sur la gratuité scolaire du ministre Roberge qui reconduit le principe d'une école à trois vitesses, principe qu'ils avaient pourtant dénoncé?

Voilà autant de sujets, quant à moi, auxquels les membres du Conseil supérieur de l'éducation devraient s'attarder s'ils voulaient faire oeuvre utile. Car, pour l'instant, au bulletin de la pertinence, leur intervention n'atteint définitivement pas les attentes de ceux qui se soucient des élèves.










25 février 2019

Comme un mauvais livre

Le ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, était à Tout le monde en parle dimanche, le 24 février dernier. Il est temps, à mon avis, de commencer à suivre de plus près les idées de celui-ci. Certaines de ses récentes déclarations auraient déjà dû alarmer les intervenants intéressés par le monde scolaire. Mais il faut donner la chance au coureur, paraît-il. Sauf qu'en éducation, peut-on être exaspéré de voir que les citoyens soient si peu exigeants et vont de chance en chance jusqu'à devenir cyniques? 

Celui dont tant de commentateurs vantent le livre qu'ils n'ont même pas ouvert (je reviendrai peut-être un jour sur cet ouvrage que j'ai lu seulement à moitié tellement il m'a découragé) a alors pu nous faire part de sa pensée sur de nombreux dossiers.

Il est remarquable de voir le ministre nous expliquer que les classes de maternelle quatre ans doivent être offertes à tous, peu importe le milieu socio-économique: «Quelle erreur! [...] Comme si un trouble du spectre de l'autisme, une dysphasie, une dyspraxie, ça dépendait du salaire des parents. Comme si on habitait dans un milieu de la classe moyenne ou un quartier riche, on ne pouvait pas avoir accès à ce service-là.» Ce dernier cite même le rapport Parent pour appuyer sa volonté. On comprend que, pour lui, les maternelles quatre ans doivent être offertes dans des milieux de la classe moyenne et aisée.

Question 1:  Comment le ministre peut-il soutenir un pareil raisonnement d'accès aux services pour tous tout en maintenant un système scolaire à trois vitesses dans lequel les parents à faibles revenus, auxquels ils semblent moins s'intéresser, ne peuvent pas envoyer leurs enfants dans des écoles privées pourtant subventionnées par son ministère ou dans des programmes particuliers qui pourront continuer à exiger des frais importants en vertu de sa loi sur la «gratuité» scolaire?  

À l'humoriste Laurent Paquin qui demande quels sont les avantages de la maternelle quatre ans, le ministre explique tout d'abord que le jeune pourra ainsi avoir une «continuité de services professionnels». Il vante l'expertise des enseignantes «qui auront un baccalauréat de quatre ans», une façon comme une autre de jeter un doute sur la compétence des intervenantes actuelles en CPE. Il parle également d'une équipe qui sera là pour les épauler par des «orthophonistes, orthopédagogues, psychologues, psycho-éducateurs qui vont le suivre aussi. [...] Le professionnel qui va être là à quatre ans, ben il va être là à cinq ans, six ans, sept ans. Il n'y aura pas de transferts de dossier. Ça va être la même personne qui va accompagner ton jeune.»

Question 2: Dans quel monde vit ce ministre? Tout d'abord, sait-il seulement que l'école québécoise vit une pénurie importante de tous les spécialistes qu'il énumère? Que ceux-ci préfèrent oeuvrer ailleurs que dans le monde scolaire tant leurs conditions de travail y sont mauvaises? 
Question 3: Comment le ministre peut-il promettre une telle continuité de services alors qu'il est fréquent que ces professionnels changent d'école pour tenter d'améliorer leur sort? L'exemple que je vais citer est peut-être anecdotique mais je n'ai pas connu un seul élève qui ait eu la même orthopédagogue, psychologue ou psycho-éducatrice durant son cheminement scolaire dans mon école tant les changements de postes y ont été nombreux. On paiera donc des millions pour éviter un seul transfert de dossier entre le CPE et l'école primaire, lieu où l'enfant changera deux ou trois fois de spécialistes en cours de scolarisation.

À partir de là, honnêtement, j'ai décroché. Manque de cohérence dans la pensée et manque de connaissance de la réalité scolaire.

J'avais l'impression de relire un mauvais livre.



12 février 2019

Un ministre de l'Éducation doit-il connaitre la Loi sur l'instruction publique?

Le ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, annonçait aujourd'hui que le gouvernement de la CAQ allait obliger chaque école primaire à donner deux périodes de récréation de vingt minutes par jour aux élèves. Passons sur le fait qu'on verse ici dans la micro-gestion, ce qui peut sembler paradoxal pour un parti qui entend attribuer plus de pouvoirs aux écoles et aux directions d'école.

Là où le bât blesse vraiment, c'est lorsque l'ancien enseignant de 17 années d'expérience au primaire déclare: « Il faut instaurer des minimums. Pour les matières scolaires, il y a du temps prescrit. En mathématiques, par exemple, il y a un certain nombre d'heures par semaine. Je pense qu'il faut faire la même chose pour les récréations.»

Si on connait bien la Loi sur l'instruction publique (LIP), on s'aperçoit que cette affirmation est erronée, au primaire comme au premier cycle du secondaire.

chapitre I-13.3, r. 8
Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire
Loi sur l’instruction publique
(chapitre I-13.3, a. 447).

CHAPITRE II
CADRE GÉNÉRAL D’ORGANISATION DES SERVICES ÉDUCATIFS
(...)

SECTION VI
RÉPARTITION DES MATIÈRES
22. À l’enseignement primaire, les matières obligatoires enseignées chaque année et le nombre d’heures par semaine, prévu à titre indicatif pour ces matières, sont les suivants: (...)

23. AU PREMIER CYCLE DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE, LES MATIÈRES OBLIGATOIRES ENSEIGNÉES CHAQUE ANNÉE ET LE NOMBRE D’HEURES PAR SEMAINE, PRÉVU À TITRE INDICATIF POUR CES MATIÈRES, ET LEUR NOMBRE D'UNITÉS SONT LES SUIVANTS: (...)

«Prescrit» est synonyme d«'obligatoire». «Indicatif» est plutôt synonyme de «suggéré». Là encore, il est paradoxal de constater que le temps attribué aux récréations sera clairement déterminé par Québec comme s'il s'agissait d'une question primordiale alors que le temps consacré à l'enseignement des matières de base comme le français, par exemple, peut varier d'une école à l'autre, d'un programme à l'autre. Peut-être le ministre ignore-t-il qu'il s'agit là d'une revendication de l'Association québécoise des professeurs de français (AQPF) depuis des années?

Je suis convaincu que le député de Chambly n'a pas voulu induire la population en erreur. Simplement, il ne semble pas bien connaitre encore la loi régissant le régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire.



10 février 2019

La laïcité à deux vitesses dans les écoles québécoises

 Depuis la rentrée parlementaire de février, le gouvernement de François Legault montre bien que la CAQ n’a pas vraiment de position cohérente en ce qui a trait à la laïcité dans les écoles québécoises. Mais en est-on surpris? 

Aux prises avec des promesses électorales visant à recueillir le plus grand nombre de votes possible pour être élu, celui-ci doit maintenant se dépêtrer entre les attentes énormes qu’il a créées et une réalité qui semble bien l’embêter. Aussi verse-t-il dans une certaine dissonance cognitive qui n’augure rien de bon dans un débat aussi émotif.

Après avoir tenté d’expliquer pourquoi dans une même école, un enseignant devra renoncer à porter un signe religieux alors que le directeur, le travailleur social, le surveillant d’élève ou l’éducateur en garderie pourra le garder, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a voulu justifier la semaine dernière pourquoi le projet de loi s’appliquera aux écoles publiques et pas aux écoles privées  en indiquant que desparents choisissent d'envoyer leurs enfants à l'école privée subventionnée au passé confessionnel pour les exposer à des valeurs religieuses : «Supposons, une école religieuse juive ait des gens qui portent des symboles, ou catholique, ou protestante, ou peu importe, là. Sincèrement, je ne vois aucune contradiction là-dedans. Je trouve ça normal.» Bref, après l’école à trois vitesses (privée, publique et programmes particuliers), le ministre cautionne maintenant la laïcité scolaire à deux vitesses.  

Pour ma part, dans le cadre d’un projet de loi sur la laïcité, j’éprouve un malaise certain à ce que l’État québécois subventionne à plus de 60% une école qui se dit pourtant privée et qui continuerait à offrir des valeurs religieuses tout en ne lui imposant pas les règles que devra suivre l’école publique.

Dans un questionnaire auquel ont répondu 1164 directeurs d’écoles publiques en 2018, 93% d’entre elles indiquaient que le port de signes religieux n'avait pas créé de tensions au sein de leur établissement. Malgré cela, le ministre Roberge expliquait qu’il irait de l’avant avec son projet de loi car «pour nous, c'est une question de principe».

Il faut donc croire qu’à la CAQ, selon que l’école soit publique ou privée, les principes sont définitivement à géométrie variable.

PS: L'expression «laïcité à deux vitesses» est empruntée à Sylvain Dancause, :)