18 octobre 2017

«Moi aussi» et l'éducation

Salvail... Rozon... Les récents événements dans l'actualité évoquent en moi deux douloureux souvenirs.

Le premier a eu lieu il y a une vingtaine d'années. Au début de ma carrière. J'enseigne en cinquième secondaire. Deux élèves demandent à me voir confidentiellement. À l'heure du diner, on se rencontre dans mon local de classe. Les jeunes filles commencent à me parler d'un collègue aux regards insistants sur leur poitrine et aux commentaires douteux. Arrive une autre élève qui, par hasard, n'entend que le nom murmuré du collègue concerné. Immédiatement, elle comprend ce dont il s'agit et commence, elle aussi, à me raconter certains événements troublants. Dans la petite ville où je travaille, tout finit par se savoir. Le collègue fréquente un bar où sortent aussi des jeunes - mineurs et majeures - de l'école. Il danse de façon inappropriée avec certaines et a les mains baladeuses. La cloche du début des cours de l'après-midi sonne. Sans rien promettre à mes trois étudiantes, je leur indique que je vais leur revenir sur ce sujet le plus tôt possible et, qu'entretemps, s'il y a quoi que ce soit, elles peuvent venir me voir.

Armé de mon courage de jeune novice, je décide alors de rencontrer la direction. Je fais part à mon supérieur de ce que j'ai appris tout en lui indiquant que je n'ai aucune raison de douter de la bonne foi de celles qui sont venues me voir tout en sentant que je dois être prudent avec de telles allégations. Simplement, j'estime de mon devoir de rapporter ce dont on m'a fait part. Deux jours plus tard, le collègue démissionne. Quelques mois après, j'ai compris comment s'était déroulée la suite des choses. La direction a fait sa petite enquête et a convoqué le prof en question. Mis devant les faits, elle lui a laissé le choix: une démission rapide sans lettre de recommandation ou une enquête policière. Il a démissionné. Ce n'est que des années plus tard que j'ai appris qu'il avait retrouvé, après quelques semaines, un emploi dans un collège privé de la région. Aujourd'hui, avec l'actualité qui se bouscule, je ne sais pas si j'ai fait la bonne chose. Sur le moment, peut-être. Peut-être aussi a-t-il recommencé ses comportements plus que douteux? C'était l'époque, me dira-t-on. Mais une façon de faire inacceptable.

Mon autre souvenir est rattaché à un cadre de ma commission scolaire. Il a été «démissionné» en pleine nuit au beau milieu d'un année scolaire La CS s'est assurée de reprendre possession de tous les appareils électroniques qu'elle lui fournissait. Une procédure habituelle, m'a-t-on dit. Mais les rumeurs les plus folles ont couru. Par la suite, on a appris que ce cadre avait trouvé un emploi ailleurs comme enseignant parce qu'il «voulait relever de nouveaux défis auprès des jeunes». Finalement, il a oeuvré dans un poste important dans un établissement scolaire loin de ma région. Cet événement a laissé un gout amer dans la bouche de tous ceux qui ont pris connaissance de cette histoire.

Les comportements inappropriés ou abusifs, les blagues de «mononcles», le harcèlement et l'intimidation, sexuelle ou non, on en retrouve aussi dans nos écoles.  Et c'est d'autant choquant qu'elles sont supposément être des lieux d'éducation.

07 octobre 2017

École à la maison et projet de loi 144

Il existe actuellement un important débat en éducation qui se tient dans l'indifférence publique la plus totale: celui entourant l'adoption du projet de loi 144 portant sur la scolarisation des enfants à la maison. Ce débat soulève bien des questions en ce qui a trait à la notion de vie en société, à la liberté des choix que peuvent effectuer les parents mais aussi au droit des jeunes à une éducation pleine et entière.

Tout d'abord, reconnaissons qu'il existe des parents, véritablement soucieux de l'éducation et du bien-être de leurs enfants, qui choisissent cette option. On les entend sur les tribunes, on les voit dans les médias. Ils sont convaincants et ils sauront raisonnablement déployer tous les efforts nécessaires pour assurer l'éducation de leur progéniture jusqu'à la fin du primaire.  Par contre, il est illusoire de croire qu'ils pourront couvrir tous les contenus des cours dispensés à l'école secondaire. Les programmes sont trop chargés, trop complexes.

Si j'avais une première critique à formuler par rapport à la scolarisation à la maison, c'est qu'elle n'assure pas toujours la socialisation de l'enfant, qui est pourtant un des objectifs du programme scolaire québécois. La deuxième serait que j'éprouve des doutes parfois quant au contrôle des apprentissages que les jeunes réalisent.

Là où je décroche cependant, c'est lorsque entrent en jeu des considérations religieuses ou linguistiques. Si l'on analyse l'origine de ce projet de loi, on comprend qu'il vise principalement à assurer la scolarisation d'enfants qui fréquentaient des écoles religieuses ne respectant pas la Loi sur l'instruction publique. Plutôt que d'obliger certains parents à respecter la LIP, on en est venu à encadrer juridiquement une situation illégale en espérant qu'ils respectent un minimum d'obligations face à leurs enfants et les ramener, si possible, dans le système scolaire. On se souviendra de ces écoles ne respectant pas les prescriptions du programme de formation, de ces écoles qui perduraient d'un gouvernement à l'autre en comptant sur l'usure du temps et dont l'attitude frisait la mauvaise foi. On se souviendra aussi de Yonanan Lowen qui poursuit la Direction de la protection de la jeunesse, la Commission scolaire La Seigneurie des Mille-Iles ainsi qu'une école et un collège hassidiques, estimant avoir été privé de l'éducation séculière de base dont il était en droit de s'attendre en vertu des lois québécoises. On pourrait aussi citer le cas de l'institut Laflèche de Joliette.

Sachant cela, l'encadrement que prévoit le projet de loi 144 sera-t-il suffisant devant certains individus qui ont manifesté un mépris évident de la loi sur une aussi longue période de temps? S'ils ont réussi à vivre en marge du système scolaire aussi longtemps, sauront-ils s'y conformer maintenant? Est-ce que le ministre de l'Éducation est conscient qu'il peut s'agir ici, encore une fois, d'une stratégie pour acheter du temps? Choisit-il lui-même cette voie consciemment pour ne pas régler ce dossier qui est une «patate chaude» politiquement à cause des dimensions religieuses qui y sont reliées? Je ne le sais pas. Le défi du législateur est ici de trouver un point d'équilibre entre le citoyen bienvaillant et et celui qui l'est moins. En adoptant une approche qui se veut constructive, M. Proulx fait publiquement le pari qu'il saura réussir là où tant d'autres ont échoué ou refusé d'intervenir. Qu'on pense entre autres à cette communauté religieuse de Joliette - bénéficiant d'une entente similaire - dont les enfants étaient suivis pat une commission scolaire et dont les résultats scolaires des jeunes étaient désastreux.

De nombreux éléments problématiques existent aussi quant à ce que propose le gouvernement. Ainsi, si chaque enfant sera soumis à une évaluation annuelle, les conditions de celle-ci restent à déterminer. S'agira-t-il d'examens similaires à ceux d'une commission scolaire ou du ministère? S'agira-t-il d'un porte-folio? Et les commissions scolaires bénéficieront-elles des ressources suffisantes pour effectuer le suivi de tous ces enfants? Et dans quelle langue s'effectueront ces apprentissages? Le projet de loi 144 ne prévoit aucune obligation à ce sujet. Si le ministre Proulx indique - à juste titre - que rien n'obligeait précédemment que les apprentissages à la maison se fassent en français, pourquoi ne saisit-il pas cette opportunité de réaffirmer l'esprit de la loi 101 en matière d'éducation?