Pour moi qui ai le verbe facile, il m'est extrêmement difficile d'y répondre sans en être remué. En effet, je viens d'une famille que j'estimerais dysfonctionnelle et qui m'a fait comme je suis: frondeur, fort en gueule, travaillant, peu confiant, sensible, parfois écorché à vif, compliqué et parfois complexé.
Mon père
Mon père est décédé il y a quelques années et je lui voue un respect que certains comprennent encore mal. C'était un homme d'une autre époque qui n'a pas su s'ajuster au nouveau monde qui voyait le jour au Québec dans les années 60 et 70. Ouvrier dans la construction, il a appris à travailler dur et n'a jamais su profiter de la vie. Souvent absent à cause de son emploi parce qu'il voulait donner le meilleur à sa famille de sept enfants, il faisait figure du père autoritaire, froid, parfois violent dans ses paroles et dans ses gestes. Il était grand, juste, volontaire, autoritaire, déterminé, fort, mais pas assez fort pour changer.
Avec le temps, j'ai appris à comprendre qu'il était une victime malheureuse de son éducation rigide. Je l'ai vu pleurer, j'ai dû le consoler, je l'ai même nourri à la cuillère lorsqu'il a été opéré au coeur. Et il fallait voir ses yeux fiers et heureux quand il regardait ma fille!
N'empêche que j'ai souvent eu de la colère et de la rage à son égard. Aujourd'hui, je suis incapable de lui en vouloir pour le mal qu'il a fait et je préfère me concentrer sur le bien qu'il a tenté de donner autour de lui même s'il était parfois insoutenable et intolérable. J'apprends à lui ressembler pour ses qualités et à éviter de répéter ses défauts.
Ma mère
Ma mère est décédée alors que j'avais 14 ans. Cancer au cerveau inopérable. Son deuxième. Crises d'épilepsie fréquentes. Parfois confuse. À sa manière, elle aussi était absente. Mais Dieu qu'il en fallait du courage pour affronter la maladie et mon père dont elle a tenté de divorcer quelques mois avant son décès! Je me souviens encore de cet épisode ou nous avions tous déserté l'infernal foyer familial, qui chez une tante, qui chez un oncle. Mon père, qui savait que ma mère n'en avait plus pour longtemps à vivre, je crois, avait tout promis, tout accepté pour que nous revenions à la maison.
Dans sa jeunesse, ma mère était une femme belle, bien mise, fière d'avoir marié un homme travaillant. Puis, la relation s'est détériorée et je me souviens encore tout jeune de devoir séparer mes parents alors que mon père tentait d'étrangler ma mère.
Il y a des images qui marquent. Je rêvais d'être adopté par les parents de mes amis, de devenir pensionnaire au collège de Rigaud. J'évitais de recevoir mes camarades de classe chez moi, de crainte qu'ils découvrent, qu'ils sachent... J'avais honte.
Mes frères et sœurs
Par un hasard génétique, mes parents ont conçu dans l'ordre trois garçons, trois filles et moi! Petit dernier au statut ambigu (...), tout jeune, j'ai développé peu de liens avec mes frères à cause de notre différence d'âge. Le plus vieux d'entre eux était à l'université que je terminais à peine mon éducation primaire. Mes deux soeurs les plus vieilles avaient déjà fui la maison familiale quand j'entrais dans l'adolescence.
Reste la plus jeune avec qui j'ai appris à tout faire dans une maison à la suite du décès de ma mère. Prof masqué est aussi Prof ménager et Prof bricoleur! Mais la vie étant parfois mal faite, elle s'est brouillée avec toute la famille pour des raisons qui lui appartiennent. Le chaînon entre les plus vieux et moi est devenu manquant.
Aujourd'hui, les membres de ma famille proche se résument à trois frères et deux soeurs avec qui j'ai peu en commun. On se voit aux Fêtes, aux enterrements, dans certaines circonstances spéciales. Mais il est difficile de se sentir près de ceux-ci: dès mon enfance, ils avaient déjà leur vie et je commençais la mienne. Nous avons eu chacun nos chemins, simplement.
Je suis parfois triste à cause de cette situation. Pour moi, une famille doit être un nid, un refuge, un lieu d'amour, de partage et de protection. Il nous a été difficile d'être cela les uns pour les autres. Tout au moins, il leur a été difficile de l'être pour moi. Alors, simplement, j'ai appris à être seul.
Et aujourd'hui, je regarde tendrement ma fille et je cherche à lui donner et la rigueur et l'amour dont elle a besoin. J'ai longtemps eu peur de l'aimer, de peur de la perdre. Mais ma fille a été plus forte que mes craintes.
Ma fille
Fille masquée est ma véritable famille maintenant, je crois. Même si je ne la vois qu'à temps partiel, j'ai compris, depuis peu, que je suis son père à temps plein. C'est un drôle de numéro! Elle a 14 ans, débute sa cinquième secondaire, réussit bien à l'école mais, plus que tout, elle a su combiner le meilleur de ses deux parents qui ne sont jamais demeurés ensemble. Vive, intelligente, cultivée, curieuse, affectueuse, mature: elle aime lire, est passionnée de hockey et maniaque de sciences! La qualité de nos échanges me surprennent chaque fois. Madame masquée est parfois surprise de tout ce dont nous pouvons discuter ensemble!
Voilà, Magrah, une longue réponse à une question difficile.