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Je suis allé relire le plan d'action de la CAQ en matière d'éducation et ce qui m'étonne est qu'il ait été si peu étoffé depuis les origines de ce parti. On y énonce de grands principes, mais il manque de précisions autour de ceux-ci, quand ce ne sont pas de grands pans qui semblent manquants. Bref, des idées mais peu de précisions et de visions plus approfondies.
Comme ce parti tiendra un congrès d'orientation sous peu, voici quelques pistes et questions concernant certains aspects de ce programme. Espérons que des journalistes ou des participants à congrès sauront s'en inspirer dans leur travail.
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La Coalition estime d’abord qu’il est impératif de revaloriser l’éducation en général et la profession enseignante en particulier. À cette fin, elle propose d’améliorer la formation des enseignants et de hausser leur salaire de 20 %. Cette dernière mesure attirera les meilleurs talents et procurera à ceux qui se dévouent à leur tâche une reconnaissance à la mesure de leurs efforts.
Ici, le discours de la CAQ est sensiblement contradictoire. En effet, d'un côté, on prétend vouloir valoriser une profession et, de l'autre, on fait le jeu de ceux qui la critiquent en instaurant, on le verra, des mesures d'évaluation.
Concernant la formation des enseignants, on remarquera que la CAQ n'a apporté, à ma connaissance, aucun exemple concret d'amélioration de celle-ci. Est-ce dans les contenus des cours, dans le nombre de stages? Comment la CAQ entend-elle améliorer concrètement la formation des futurs enseignants?
Concernant le salaire des enseignants, on comprend ici que TOUS les enseignants verront leur salaire augmenter de 20%. À cette hausse, on le verra plus loin, pourrait également s'ajouter une seconde augmentation de salaire pour les enseignants travaillant dans des milieux difficiles.
La CAQ ne semble pas comprendre que, lorsqu'on interroge des enseignants, ceux-ci ne veulent pas d'une augmentation salariale mais plutôt de meilleures mesures de soutien dans le cadre de leur travail. J'enseigne depuis 20 ans et je peux témoigner à quel point les conditions dans lesquelles j'exerce mon emploi se sont dégradées au fil des ans. Le manque de soutien à l'enseignement, de spécialistes et de matériel pédagogique est criant dans plusieurs de nos écoles québécoises.
De plus, sur quelle étude la CAQ s'est-elle basée pour affirmer qu'un salaire plus élevé attirera «les meilleurs talents»? Dans l'opinion publique, à tort ou à raison, on estime que les enseignants gagnent déjà un salaire élevé. Ce sont davantage certaines de leurs conditions de travail qui sont perçues de façon négative: violence et intimidation dans les écoles, jeunes démotivés, parents querelleurs. Combien de fois m'a-t-on dit: «Moi, ta job, je la ferai jamais!» À mon avis, une telle hausse salariale attirera davantage les candidats intéressés par l'argent que par un travail exigeant auprès de nos jeunes.
Dans les faits, le programme de la CAQ ne contient aucune véritable mesure visant à rehausser le statut des enseignants au quotidien. On pourra continuer de les harceler, de les invectiver sans aucune conséquence. Dans les hôpitaux, un citoyen qui adopte un comportement semblable à certains jeunes ou parents dans nos écoles est immédiatement «encadré» par des agents du service de sécurité.
LA CAQ sous-estime aussi les effets collatéraux de la hausse salariale qu'elle propose. En effet, offrir de meilleurs salaires signifie aussi une augmentation des primes de retraite. A-t-elle calculé cet impact sur les finances publiques? Également, a-t-elle réalisé que les enseignants seront mieux payés que plusieurs directions d'école, ce qui entrainera évidemment des demandes salariales à la hausse dans la fonction publique?
Dans les faits, si la CAQ entend augmenter les salaires de certains employés, elle devrait porter son regard ailleurs. Actuellement, en éducation, on manque de spécialistes (psychologues, orthophonistes, etc.) parce que les conditions salariales qu'on leur offre sont dérisoires comparées à ce que ceux-ci peuvent obtenir en travaillant à leur compte. Ne serait-ce pas une façon autrement plus efficace d'assurer une meilleure qualité d'éducation aux jeunes Québécois que d'investir là où le besoin se fait réellement sentir, soit auprès des spécialistes?
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Le droit à une éducation de qualité exige d’évaluer le travail des enseignants. L’objectif de cette mesure n’est pas de lier le salaire à un quelconque indice de performance, de congédier des enseignants ou de menacer leur sécurité d’emploi. Il s’agit plutôt de soutenir ceux qui seraient en difficulté, puis d’identifier et de partager les meilleures pratiques afin de s’assurer que tous les élèves reçoivent le meilleur enseignement possible. Cette mesure serait appliquée de manière souple
et graduelle. Une formation adéquate des directions d’école devra d’abord être assurée. Des mécanismes spécifiques pourraient être mis en place pour éviter toute forme d’arbitraire dans les cas exceptionnels de congédiement.
On remarquera tout d'abord que les seuls employés en éducation que la CAQ entend évaluer sont les enseignants. Comme s'il était les seuls responsables de la qualité de l'enseignement que reçoivent nos jeunes. Pourtant, il suffit de se rappeler du soutien complet que M. Legault a accordé à la réforme de l'éducation pour se questionner sur la compétence de celui qui fut ministre de l'Éducation. N'importe quel gestionnaire vous le dira: si l'on entend rendre un système plus efficace, c'est l'ensemble des éléments de celui-ci qui doivent être évalués. Or, pourquoi n'entend-on pas parler de mécanismes d'évaluation des directions d'écoles et d'autres décideurs scolaires? D'ailleurs, on le verra plus loin encore, c'est toute l'imputabilité du système de gestion au-dessus des enseignants qui semble inexistante dans le modèle proposé par la CAQ.
La CAQ de M. Legault entend évaluer les enseignants alors qu'ils ont déjà été évalués lors de leur formation universitaire mais aussi par des directions d'école, celles-là mêmes qui seraient responsables de l'évaluation version CAQ 2.0. Après plus d'un an d'existence, cette formation peut-elle enfin nous dire quel modèle d'évaluation sera retenu? Sera-t-on plus près du modèle américain, par exemple? Je crois qu'on peut être légitimement en droit de demander à ce parti politique de préciser ce qui constitue un aspect majeur de son discours d'éducation.
Dans de nombreuses entrevues, M. Legault affirme que seulement 5% des enseignants seraient incompétents. Y a-t-il lieu, pour un si petit pourcentage, de mettre en branle un processus évaluatif dont on connait mal le fonctionnement et les couts? L'argent dévolu à cette mesure ne serait-il pas dépensé de façon plus efficace auprès de soutien aux élèves?
Si on lit correctement l'énoncé politique de ce parti en matière d'évaluation, celle-ci est présentée comme une mesure de soutien pour les enseignants. Pourtant, de mémoire, M. Legault a affirmé que les enseignants devraient remettre en question leur sécurité d'emploi. Il a même parlé, toujours de mémoire, de contrat de travail renouvelable d'une durée de cinq ans. Dans la même veine, M. Legault a mentionné que son gouvernement n'hésiterait pas à rouvrir des conventions collectives dûment signées pour imposer son programme politique. On est loin ici d'un esprit de soutien et davantage de coercition. Quelle est la véritable position de la CAQ en ce domaine?
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Le décrochage scolaire reste trop élevé au Québec. Les solutions proposées par la Coalition s’attaquent à certaines des causes profondes de ce problème. Les ressources consacrées aux enfants handicapés ou éprouvant des problèmes d’adaptation ou d’apprentissage doivent être mieux allouées. Or, le décrochage est plus élevé chez les élèves issus d’un milieu socio-économique moins favorisé. Des mesures ciblées doivent être prises pour les mener à la réussite, dont une meilleure allocation des ressources spécialisées, une augmentation du soutien aux écoles en difficulté et la possibilité de rémunérer davantage les enseignants travaillant dans des milieux où l’abandon scolaire est plus répandu.
On croit comprendre que la CAQ, en abolissant les commissions scolaires et les directions régionales du MELS, dégagerait des sommes qu'elle dirigerait vers les écoles en difficulté. Ici, on croit régler un problème en attribuant plus d'argent et de ressources à ces dernières alors qu'on connait, dans la réalité, les limites de cette façon de procéder.
Dans un premier temps, rien ne montre que la restructuration de l'organigramme scolaire entrainera le dégagement d'une marge de manoeuvre pouvant être réinvestie ailleurs. Au Québec, de nombreux exemples de changements structurels devant engendrer des économies se sont avérés des échecs. Qu'on pense aux fusions des municipalités ou des commissions scolaires. Qu'est-ce qui nous prouve que ce ne sera pas le cas cette fois-ci avec cette idée de la CAQ?
Dans un deuxième temps, pour la CAQ, le décrochage est manifestement un problème scolaire et non social. Pourtant, l'ensemble des analyses de ce problème montre bien que les causes de celui-ci dépassent largement le cadre de l'école. Dans tout le Canada, c'est au Québec, par exemple, que l'éducation est la moins valorisée socialement. On note également, dans le programme politique de la formation de M. Legault, l'absence totale de mesures de resserrement concernant les responsabilités des jeunes, des parents et des employeurs quant au décrochage scolaire. Ainsi, en Ontario, pour souligner l'importance des études, l'obtention du permis de conduire est conditionnelle à l'obtention d'un diplôme d'études secondaires ou d'un niveau d'études équivalent. Quelles mesures sociales le parti de M. Legault entend-il mettre de l'avant pour contrer le décrochage scolaire?
Enfin, à la lecture de cet énoncé, il est clair que les enseignants oeuvrant en milieu défavorisé recevraient plus de 20% d'augmentation salariale. Encore une fois, on peut se questionner sur la pertinence de cette mesure en ce qui a trait à l'attraction de candidats de qualité dans ces écoles et à l'efficacité de celle-ci en matière de décrochage scolaire.
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La Coalition croit également que les structures scolaires du Québec doivent être allégées afin d’augmenter les services directs aux élèves. L’abolition des commissions scolaires (incluant les élections scolaires et les postes de commissaires) et des directions régionales, et le redéploiement d’une partie de leur personnel en centre des services pour les écoles visent cet objectif. Le but de cette
réforme est double. Diminuer les coûts de la bureaucratie scolaire et transférer les ressources ainsi dégagées aux écoles afin d’en accroître l’autonomie et donner plus de services aux élèves. Cette restructuration tiendra compte de la réalité des régions, tandis que des écoles pourraient choisir de mettre plus ou moins de ressources en commun.
On l'a vu, rien ne garantit l'efficacité de cette réorganisation structurelle proposée par la CAQ. Cette dernière dispose-t-elle d'études crédibles établissant à combien se chiffreraient les sommes que cette mesure permettrait - éventuellement - de dégager?
Même si les commissaires scolaires sont élus par un petit nombre d'électeurs, l'abolition des commissions scolaires entrainera une perte théorique quant à la participation démocratique du citoyen. Dans les faits, on se trouve ainsi à réduire l'imputabilité des décideurs scolaires devant la population. De qui relèveront les décideurs scolaires si les CS sont abolies?
À la lecture de cet énoncé de la CAQ, on peut en déduire que le pouvoir décisionnel sera davantage concentré dans les écoles qui se doteront, selon les cas, de centres de service pour mettre en commun leurs ressources. Comme le soulignait un intervenant récemment, c'est un peu comme si on abolissait 69 commissions scolaires pour finalement en créer autant qu'il y a d'écoles au Québec. Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'avec le temps et la mentalité bureaucratique propre à toute organisation, ces centres de services voudront dicter aux écoles la marche à suivre et se transformer en monstres semblables aux CS.
De nombreuses autres questions demeurent quant à la volonté d'abolir les CS.
- qui nommera les directions d'école et qui les révoquera?
- qu'adviendra-t-il des conseils d'établissement?
- que fera-t-on des commissions scolaires anglophones qui affirment être protégées par la constitution canadienne?
- qui embauchera les enseignants? Aura-t-on autant de conventions collectives locales qu'il y aura d'écoles? Voilà autant de questions qui, après plus d'un an, demeurent sans réponse.
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Quand on analyse sommairement certains aspects du programme de la CAQ en matière d'éducation, on constate qu'il manque de viande autour de l'os. Pour une formation qui propose des changements aussi importants, cela est, à mon avis, inexcusable.
Comme pour tout politicien, M. Legault a la responsabilité de dépasser le stade de lancer des idées sans qu'elles s'appuient sur de solides bases ou qu'elles fassent l'objet d'une minutieuse analyse, surtout quand il s'agit de l'avenir de nos enfants.
Cet ancien ministre de l'Éducation, revenu à la politique pour changer le Québec, a peut-être cru qu'il pourrait surfer sur quelques idées frappant l'imaginaire des électeurs. Or, il appert que c'est davantage la faiblesse des deux autres partis qui dopent les votes en sa faveur actuellement. Et, bien que l'électorat québécois soit volatil, sans un programme en éducation plus crédible parce que plus étoffé, les chances que al CAQ forme un gouvernement efficace en la matière sont minces..