Attardons-nous aujourd’hui sur un texte écrit par Nathalie Elgrably dans le
Journal de Montréal et qui a pour titre
Réforme des éducateurs : l’accent mis sur les outils.
Dans cette apologie de droite (et n’allez surtout pas croire que je suis à gauche : il faut juste savoir que la dame en question travaille pour l’Institut économique de Montréal, un organisme plus conservateur que Stephen Harper lui-même), l’auteure s’attaque à la permanence des postes en éducation et croit que ceux-ci devraient être attribués en fonction de la compétence des enseignants.
Un torchon déclencheur
Dès le début de son texte, Mme Elgrably frappe fort… dans le vide en affirmant: «Voilà déjà quelques années qu'une réforme de l'éducation a été entreprise au Québec. Les fonctionnaires qui l'ont élaborée ont avant tout mis l'accent sur les outils.»
Des outils? Vraiment! Mais dites-moi où les trouver, je vous en prie? La plupart des enseignants se plaignent de devoir enseigner sans matériel et sans consignes claires et précises du MELS quant aux modes d’évaluation.
Sans crainte du ridicule, Mme Elgrably poursuit son propos éclairant : «Toutefois, c'est lorsque ma fille m'a présenté un document distribué par l'une de ses profs que j'ai compris que ce ne sont pas les outils qu'il faut réformer, mais bien les éducateurs. Le document en question était écrit à la main, sans aucun soin, dans un style confus et photocopié de travers. Un véritable torchon! Et cette prof a l'arrogance de demander aux élèves de remettre un travail propre. N'est-elle pas au parfum des avancées technologiques ? Et personne ne lui aurait donc appris qu'il faut prêcher par l'exemple? Si le ministre Fournier souhaite une réforme qui permette réellement d'améliorer la qualité de l'éducation, il devrait demander à ses fonctionnaires de cesser de concocter des bulletins incompréhensibles, et de réfléchir à des moyens pour améliorer la performance des enseignants.»
Ouf! Mon Dieu! Que penser de l’argumentation de quelqu’un qui remet en question la compétence complète de tous les enseignants du Québec à partir d’une simple feuille de papier ramenée à la maison par son enfant? Donnerait-elle un A+ aux documents du MELS qui sont d’une facture impeccable, mais qui n’en demeurent pas moins une véritable bouillabaisse? Au lieu de remettre en question les compétences technologiques de l'enseignante en question, Mme Elgrably aurait pu se demander si la prof de son enfant avait accès à un ordinateur à son école et souligner que le document ne comprenait pas de fautes d'orthographe...
Contre la permanence
Une fois cette pertinente entrée en matière effectuée, Mme Elgrably livre son véritable propos :
«Pour commencer, le principe de la permanence devrait être remis en question. Quand notre comptable, notre mécanicien ou notre coiffeur commence à négliger son travail, nous n'hésitons pas à le remplacer. Alors pourquoi en serait-il autrement lorsqu'il s'agit des enseignants? Ne devrions-nous pas être encore plus exigeants envers ceux chargés d'instruire nos enfants? La permanence procure un sentiment de sécurité qui, chez certains, nuit à l'effort et incite à la paresse. Destinée à défendre l'enseignant, la permanence ne sert en réalité qu'à protéger la médiocrité. Dans un système sans permanence, seul le travailleur peut garantir sa sécurité d'emploi grâce à son professionnalisme, car aucun employeur n'est disposé à perdre la crème de sa main-d'oeuvre.»
Mme Elgrably véhicule ici toute une série de clichés très en vogue. Mais attardons-nous à certaines facettes de la réalité que cette chroniqueure se garde bien d’évoquer.
Tout d’abord, côté remplacement, il faut se rappeler qu’il est possible pour un parent de magasiner son école. Qui plus est, à moins que je ne me trompe, notons que l’Institut économique de Montréal encourage fortement cette pratique puisqu’il est derrière le fameux palmarès de L’Actualité qui classe les établissements scolaires du Québec.
Ensuite, le travail des enseignants est encadré et surveillé par les directions d’école au même titre que celui d’une infirmière par un supérieur dans un hôpital ou qu’un machiniste par un contremaître chez Bombardier. Faudrait-il tout remettre en question en éducation alors qu’on sait pertinemment, dans les faits, que le véritable problème est davantage le fait que les directions d’école n’ont pas le temps de superviser adéquatement les enseignants dont elles ont la responsabilité?
De plus, il est faux de croire qu’un système sans permanence encourage automatiquement le professionnalisme. Il s’agit d’une vision manichéenne et très réductrice de la réalité. Je connais bien des employeurs qui embauchent des membres de leur famille même s'ils sont incompétents ou encore, plus bêtement, des candidats pour leur apparence physique agréable.
Par ailleurs, l’obtention d’un emploi permanent présente aussi des avantages non négligeables. Elle stabilise les mouvements de personnel, par exemple, et permet une continuité dans le développement de certains projets importants. Dans la fonction publique, elle assure aussi une certaine immunité aux fonctionnaires qui peuvent ainsi dénoncer des gestionnaires crapuleux ou incompétents. Elle évite également les nominations arbitraires ou discriminatoires.
Évaluer les enseignants
Qu’à cela ne tienne, Mme Elgrably poursuit son raisonnement en écrivant :
«En second lieu, le temps est venu de trouver un moyen pour mesurer la performance des enseignants et les rémunérer en conséquence. À l'heure actuelle, leur paie est fonction de leur ancienneté et de leurs diplômes. Ainsi, même le prof le plus passionné, le plus consciencieux et le plus dévoué ne peut gagner plus que son collègue plus ancien. Est-il logique de récompenser l'ancienneté et d'ignorer la qualité du travail fourni? Voulons-nous réellement entretenir un système absurde qui invite les enseignants à faire le strict nécessaire pour conserver leur emploi, mais ne leur offre aucune incitation à l'effort et au dépassement ? La fonction première d'un prof est d'être bon pédagogue. Il est donc indispensable de récompenser cette qualité. »
Voilà ou Mme Elgrably commence à démontrer tout son talent de gérant d’estrades et sa méconnaissance du réseau de l’éducation. Selon cette dernière, ma paie serait actuellement établie en fonction de mon ancienneté et de mes diplômes. Sur quelle planète vit cette dame? Ma convention collective, signée par la FSE et le gouvernement Charest ne reconnaît même pas ma scolarité parmi les critères qui déterminent mon salaire. Équité salariale oblige…
Enfin, attardons-nous à la suite de ce texte dans laquelle on comprend manifestement que Mme Elgrably n’est ni pédagogue ni docimologue.
«Dans cette optique, on pourrait, par exemple, introduire deux examens standardisés que les étudiants passeraient en début et en fin d'année scolaire et qui permettraient de mesurer leurs progrès. Les enseignants les plus habiles devraient obtenir une prime significative. (…) Ceux qui performent le mieux devraient être payés en conséquence alors que les moins dévoués devraient être pénalisés.»
Bref, ce que propose Mme Elgrably, c’est d’évaluer un enseignant en fonction des progrès de ses élèves. L’idée semble séduisante, mais ne résiste pas à la logique de la réalité scolaire. Dans les faits, disons-le, elle relève davantage de la pensée magique qu'autre chose.
Il est faux de faire croire de la sorte que l’enseignant est le seul facteur déterminant de la réussite des enfants qui lui sont confiés. J’en donnerai un seul exemple. La semaine dernière, un élève d’un de mes groupes est décédé. Croyez-vous que les enfants étaient en état d’être évalués? Aurait-il fallu en déduire que j’aurais été un moins bon enseignant pour autant? Imaginez maintenant tous les autres facteurs qui peuvent influencer le progrès des élèves à part l’enseignant.
Et puis, en proposant des pseudo examens standardisés, Mme Elgrably donne l'impression d'ignorer que le Québec vit à l’heure de la pédagogie par projet et du Renouveau pédagogique. Mais à quoi peut-on s'attendre de quelqu'un qui écrit sans s'étouffer:
«Évidemment, j'entends déjà les syndicats et les diverses associations de professeurs s'opposer à la paie au mérite. Parions qu'ils invoqueront la solidarité pour justifier leur position. De toute évidence, ils sont prêts à sacrifier l'éducation de nos enfants pourvu qu'ils préservent l'emploi des plus mauvais profs.»
Qui sacrifie le plus l’éducation des enfants au Québec, je me le demande? Les enseignants avec leur permanence syndiquée, le MELS avec ses réformes débilitantes, les entreprises québécoises qui investissent peu dans la formation de la main-d’œuvre? Et quels profs mettra-t-on à la porte alors que nous sommes en pleine pénurie d'enseignants parce que cet emploi est dévalorisé sans cesse dans les médias et que le MELS ne sait pas bien gérer son personnel?
Attendez cependant: le meilleur reste à venir et constitue une pièce d’anthologie ubuesque.
«Il faut rompre avec la mentalité actuelle qui prône l'égalité entre les travailleurs. À travail égal, salaire égal? Je veux bien! Mais cela n'exclut pas qu'à travail différent, il faut des salaires différents.»
Ouf! L’égalité entre les travailleurs existe? Vraiment? À travail différent, salaire différent? Vraiment? Pas de problème alors : je prends celui du ministre Fournier n’importe quand. Qu’on me comprenne bien : je ne suis pas un syndicaleux mais, quand je lis un tel tissu de bêtises, je regrette d’avoir déjà pensé à déchirer ma carte de la FSE…
Arrogance pour arrogance et torchon pour torchon, j'invite modestement Mme Elgrably à se réformer. Elle en a bien besoin.
Pour en savoir davantage:
http://www2.canoe.com/infos/quebeccanada/archives/2007/02/20070208-090704.html
Site de l'institut économique de Montréal:
http://www.iedm.org/main/main_fr.php
Pour écrire à Mme Elgrably:
nelgrably@iedm.org