Non, je n'ai pas sombré dans l'alcool ou les paradis artificiels. Simplement, j'ai lu les propos de Conrad Ouellon, le président du Conseil supérieur de la langue française et président du comité qu'avait formé la ministre Courchesne sur le français à l'école. Et puis, je me suis dit: pffff!
Dans
une entrevue au quotidien
Le Soleil, ce dernier affirme que le
texto employé par les jeunes pour clavarder ne représente pas une menace pour la langue française. Au contraire, il serait un
«signe de vitalité et d’adaptabilité de la langue». Étonnamment, je veux bien. Oui, la langue française est souvent figée dans des usages quasi préhistoriques. Oui, elle a besoin d'être renouvelée. Mais de là à tomber dans une certaine anarchie? J'ai un doute sérieux.
Diverses études appuient le point de vue de M. Ouellon quant au texto et son influence sur la langue. Je décroche cependant quand je lis son argumentaire. Peut-être est-il mal rendu par la journaliste qu'il a rencontrée, mais celle-ci m'est toujours apparue fiable.
M. Ouellon y va de l'idée suivante: «Quand je prononce une conférence, je n’utilise pas le même niveau de langage que lorsque je vais à la pêche avec mes amis. De la même façon, les jeunes n’utiliseront pas le texto lorsqu’ils devront écrire de façon formelle»
Désolé, mais le niveau de langue et le respect des règles grammaticales sont deux éléments distincts, quant à moi. Et illustrer son propos avec un exemple relié à l'utilisation orale de la langue quand on parle de l'écrit me semble boiteux. De plus, il ne fait aucun doute dans mon esprit que M. Ouellon est parfaitement capable d'écrire sans faute alors que ce n'est pas le cas pour bien de mes élèves. En ce sens, il est quasi bilingue, ce qui n'est pas le cas de certains de mes full chill buzzé sista qui peinent à utiliser un français standard.
Pour Conrad Ouellon, on exagère l’importance d’écrire sans faute: «Il ne faut pas faire un drame avec ça (le langage texto), comme il ne faut pas faire un drame avec la faute. Qu’est-ce qui est le plus important, savoir bien structurer un texte ou de ne pas faire de fautes? Je préfère quelqu’un qui sait comment organiser sa réflexion. S’il a des fautes, ça se corrige. Il y a des outils qui peuvent t’aider.»
Je reviendrai sur la notion d'outils pour corriger les fautes en fin de texte, car M. Ouellon soulève des éléments intéressants. Sauf qu'encore une fois, je suis pantois devant son discours. À de rares exceptions, la plupart de mes élèves dont les textes étaient bourrés d'erreurs avaient peine à formuler une réflexion intelligible comme si la rigueur de la langue allait de pair avec celui de la pensée. Leurs erreurs ne sont pas le fruit de la distraction ou d'une orthographe imaginative et créatrice mais bien d'une méconnaissance de certains mécanismes de base de la langue française. Les propos de M. Ouellon sont presque mot à mot ceux d'une haut fonctionnaire du MELS, responsable de l'épreuve ministérielle d'écriture de cinquième secondaire. Et quand on sait à quel point cette évaluation constitue une véritable supercherie, il y a de quoi à être inquiet.
Quant à l'idée de savoir structurer un texte, au Québec, on est bien accommodant quand on regarde ce qui est exigé à l'examen ministériel d'écriture de cinquième secondaire ou du collégial.
«On écrit pour être lu», m'a enseigné un professeur de journalisme, i.e on écrit pour être compris. Quand on commence à accepter des variations au code de communication, il y a un seuil critique ou l'on risque de verser dans l'inintelligibilité.
Intéressons-nous maintenant aux outils pour corriger les fautes dont parle M. Ouellon: «À l’école, il va falloir accepter la présence de l’informatique et de ses produits dérivés. Je ne suis pas sûr qu’on utilise ça à bon escient. Les correcteurs d’orthographe, ça fait partie des outils d’écriture. Il y a quelque chose d’insensé à laisser des enfants jouer avec un ordinateur à longueur de semaine, alors qu’on leur fait passer un examen avec un crayon et un papier, enfermés dans une salle pendant deux heures. Il n’y a plus personne qui fait ça dans la vie.»
Tout d'abord, pour moi, dans mon quotidien d'enseignant, les premiers outils pour corriger les fautes, ce sont la pensée critique de l'élève face à ce qu'il a écrit, une bonne connaissance des mécanismes de base de la langue, un dictionnaire et une grammaire. Et on manque souvent de dictionnaires! Alors, imaginez à quel point les ordi sont un luxe généralement inaccessible!
Oui, les correcteurs orthographiques sont intéressants, mais ils ne feront pas des miracles si un jeune n'a pas une certaine connaissance au départ de la langue française. Combien de fois ai-je reçu des travaux bourrés de fautes et pourtant corrigés à l'informatique? Ce n'est pas que le logiciel soit mauvais (quoique...) ou que le jeune ne sache pas se servir d'un ordi, mais bien souvent qu'il ne comprend rien au français! Est-ce un verbe? Un nom? Ça prend-tu un s...
Vient ensuite dans ls propos de M. Ouellon ce que j'appelle l'inévitable blâme des enseignants: «Les gens qui enseignent et développent des programmes de français ne maîtrisent pas la technique que les enfants maîtrisent. C’est peut-être la première fois dans l’histoire de l’humanité que ça arrive. Je pense qu’il y a là un réflexe de protection qui m’agace.»
Réflexe de protection? Et si on parlait tout d'abord de manque de formation, de manque de matériel adéquat fourni aux enseignants?
J'ai l'intention de montrer cette année à mes jeunes à utiliser un correcteur orthographique. J'aurai la chance, en effet, de disposer occasionnellement de 32 Mac dans ma classe, ce qui n'est pas le cas de la majorité des enseignants du Québec, il faut le savoir.
Déjà, les difficultés commencent à poindre. Le coût d'une licence d'exploitation d'un logiciel correcteur a fait sursauter le conseiller pédagogique de ma CS. Ensuite, je devrai me former moi-même sans que ce temps me soit formellement reconnu et créer le matériel que j'entends utiliser avec les élèves.
Non, M. Ouellet a raison: ce n'est pas le texto qui menace le français. Quant à moi, ce sont plutôt certains raccourcis d'esprit, un manque de rigueur et un manque évident de ressources dans l'éducation. Le reste demeure un débat futile.