12 décembre 2017

Un élève, une grammaire en tout temps

Depuis les 25 ans que j’enseigne, j’en ai vu des réformes et des innovations dans le merveilleux monde scolaire québécois: le Renouveau pédagogique, les tableaux blancs interactifs, le Lab-école… Mais il en existe une que j’espère vivre d’ici ma retraite : celle où un ministre de l’Éducation comprendra que, si l’on veut que les élèves écrivent et parlent mieux, ils doivent avoir avec eux et en tout temps une grammaire française imprimée ou un équivalent numérique.

Actuellement, par rapport à cette question, la situation est désolante. Dans bien des écoles publiques, au secondaire, on retrouve souvent à peine une dizaine de grammaires par classe de français. Impossible d’en avoir une pour chaque élève. Impossible pour lui de l’apporter à la maison. Quand un jeune veut en consulter une lors d’un examen, il doit attendre son tour et l’emprunter à un voisin de pupitre.
                    
Comment veut-on qu’un élève utilise fréquemment cet outil dans de telles conditions? Qui plus est, comment veut-on qu’il connaisse correctement sa grammaire si on ne lui en fournit pas une en permanence et s’il ne peut pas l’avoir avec lui pour ses travaux et ses devoirs?

Des incohérences

La Loi sur l’instruction publique interdit que les écoles publiques obligent les parents à acheter une grammaire pour leur enfant. Par contre, ces mêmes parents peuvent être légalement contraints de payer un uniforme s’ils veulent respecter les demandes de l’école où est inscrite leur progéniture. Ils devront même débourser des centaines de dollars chaque année pour les envoyer dans des programmes particuliers (PEI, sport-étude, etc.) où il sera toutefois impossible de leur demander d’acheter une simple grammaire. Comprenne qui pourra.

En mathématiques, les écoles sont obligées de fournir aux élèves inscrits à certains cours de quatrième et de cinquième secondaire une calculatrice graphique valant plus de 100$ pour toute l’année scolaire. En arts, en éducation physique, en sciences, on s’assure que tous les jeunes aient le matériel dont ils auront de besoin. Mais en français, il semble trop difficile ou couteux de leur donner les outils nécessaires à leur réussite.

Oui, il arrive parfois qu’à la suggestion d’un enseignant, un parent finisse par doter son enfant d’une grammaire.  Il faut savoir cependant que j’ai été davantage témoin de cette situation quand on parlait de familles économiquement favorisées. Encore une fois, la réussite scolaire est à deux vitesses : ceux qui en ont les moyens et les «laissés-pour-compte». Pourtant, n’est-ce pas l’un des mandats de l’école publique québécoise de veiller à l’égalité des chances?

Une règlementation qui limite la réussite

L’achat d’une grammaire par élève est un choix budgétaire qui relève des écoles, m’a-t-on déjà dit. Or, la réalité est bien plus complexe. Devant le cout important qu’engendrerait l’idée que chaque élève ait une grammaire, certaines écoles ont fait preuve d’initiative et ont créé des ouvrages «maison», souvent un recueil de règles imprimé à faible cout. On en distribue un à chaque élève qui peut ainsi consulter cet outil de la première à la cinquième secondaire, à la maison comme à l’école.

Mais voilà : un tel recueil n’est pas autorisé par le ministère de l’Éducation à l’examen de français écrit de cinquième secondaire. Non : il faut absolument que les élèves aient dans leurs mains une grammaire publiée par un maison d’édition (voir page 9). Rien d’autre. Si on comprend qu’on veuille éviter que certaines écoles fournissent à leurs élèves des outils trop «aidants» (comprenant des formules de rédaction toutes faites, par exemple), je m’explique mal pourquoi on n’autoriserait pas, après vérification, tous les recueils conçus de façon appropriée.

Qu’en couterait-il pour vérifier ces recueils ou même en créer un valide à la grandeur d’une commission scolaire, par exemple? Quand acceptera-t-on enfin, devant les échecs répétés de notre système d’éducation, d’avoir un peu d’imagination et de faire autrement? Cyniquement, on peut se questionner à savoir si le ministère de l’Éducation préfère encourager les maisons d’édition ou la réussite scolaire. Pour ma part, j’en suis à me demander si je n’allais pas créer une grammaire à faible cout et la publier à titre d’auteur pour ensuite la distribuer gratuitement à tous mes élèves. Ce procédé serait parfaitement conforme avec les règles actuellement en vigueur et montrerait toute l’absurdité de la situation que nous vivons depuis des décennies. Si jamais le trio Ricardo, Thibault et Lavoie veulent m'appuyer dans cette idée, ils sont les bienvenus!

14 novembre 2017

Le ministre Proulx et le Lab école: dire une chose et en faire une autre

La récente émission de TLMEP a ramené à l’avant-scène le dynamique trio de la révolution en éducation au Québec, MM Thibault, Lavoie et Larrivée. Ce choix du ministre de l’Éducation de confier à ces trois vedettes la possibilité d’imaginer, à nos frais, l’école du futur a suscité bien des débats. Un aspect de ce choix qui a été peu abordé cependant est qu’il montre à quel point M. Proulx manque de cohérence entre ce qu’il dit et ce qu’il fait.

Un premier élément à l’appui de cette affirmation est qu’on ne retrouve aucun enseignant dans cette équipe de choc. Pour un ministre qui affirme vouloir revaloriser cette profession auprès de la population, le message est contradictoire. En affirmant vouloir «penser en dehors de la boite», M. Proulx ne désavoue pas seulement tous les employés de son ministère, mais aussi tous ceux qui oeuvrent sur le terrain et ont une connaissance fine des difficultés qu’on y rencontre. Oui, mais le trio formé d’un architecte, d’un athlète et d’un chef cuisinier a proposé ses services bénévolement, affirme-t-on.  Combien d’enseignants, d’éducateurs et de professionnels de l’éducation font de même chaque année, croyez-vous? Pourquoi les offres de ceux-ci n’ont-elles pas été retenues? Sont-elles moins valables aux yeux du ministre que celles de ces trois vedettes?

Un deuxième élément qui montre bien une forme d’incohérence dans le discours du ministre de l’Éducation est le parti-pris qu’il semble manifester à l’effet que la réussite de l’école québécoise passe une meilleure alimentation, de beaux espaces et plus d’activités physiques. Or, c’est le même ministre qui souhaite la création d’un Institut national d’excellence en éducation afin de déterminer les pratiques gagnantes en matière de réussite scolaire. Pourquoi créer un tel institut s’il croit déjà avoir toutes les réponses? Qui dit que cette réussite ne pourrait pas plutôt passer par les arts, comme le démontrent de nombreuses études? Dans les faits, comment peut-on justifier d’investir dans une telle école du futur alors que les recherches actuelles démontrent que certaines actions existantes et documentées ont, à coût égal, un impact beaucoup plus important sur la réussite, notamment celles reliées à une meilleure maitrise de la lecture chez les jeunes issus de milieu défavorisé?  Qu’attend le ministre, nommé à ce poste depuis presque deux ans maintenant, pour investir massivement dans ce domaine? Est-on dans une fuite vers l'avant?


Pour ma part, MM Thibault, Lavoie et Larrivée devraient réaliser que leurs actions, aussi vertueuses soient-elles, ne constituent qu’un autre chapitre dans cette grande mascarade qu’est la réussite scolaire au Québec. Peut-être trouvent-ils eux aussi - qui sait - leur compte dans cette pédagogie de la distraction? Pourtant, s'ils veulent la réussite d'un plus grand nombre d'élèves, la solution est ailleurs que dans ce qu'ils préconisent, soit dans l'adoption de moyens pédagogiques efficaces. Mais au royaume de la pédagogie spectacle, l'éclat des fausses évidences fait de meilleurs reportages et a l'avantage de distraire les citoyens des véritables problèmes.

05 novembre 2017

À propos de la ségrégation scolaire

Depuis des mois que je pense à ce sujet, peut-être des années en fait. Mais voilà qu'il est de plus en plus d'actualité. On a fini par lui trouver une appellation: la ségrégation scolaire. Ce qui rejoint assez bien ma vision puisque, pour ma part, j'ai souvent utilisé l'expression «ghettoïsation de l'éducation».

De quoi parle-t-on ici? D'une école à trois vitesses où l'on retrouve l'école privée. l'école publique avec ses programmes d'étude particuliers et l'école publique avec ses classes ordinaires. Vous noterez qu'on parle rarement d'école à quatre vitesses avec l'école publique et ses programmes d'adaptation scolaire ou même à cinq, à six, à sept vitesses...

Avant d'aller plus loin dans mes pensées, soulignons qu'on dépeint parfois cette réalité de façon apocalyptique. Ainsi, on mentionne le nombre incroyable d'examens que doivent passer les élèves de nos jours pour accéder à certaines écoles ou certains programmes, du stress écrasant qu'ils subissent. Je ne peux parler que de ce que je connais mais, dans ma commission scolaire, il n'y a plus de test de sélection. De mémoire, celle-ci est plutôt effectuée sur la base des critères suivants:
- les résultats scolaires de la cinquième année du primaire;
- une lettre d'intention rédigée par l'élève;
- des lettres de recommandation de la part de ses enseignants.

Aussi bien le dire, la lettre d'intention de l'élève peut s'avérer une belle blague. Qui la rédige vraiment? Aucun contrôle sur ce point. Quant aux lettres de recommandation des enseignants, elles peuvent être consultées par les parents de l'élève. Par conséquent, dans les faits, peu d'enseignants enverront une appréciation négative d'un enfant à cause de la pression des parents. Dans certains cas, ils ne peuvent même pas s'abstenir de le recommander tant la pression peut être forte. Restent alors les résultats scolaires...

Et voilà le noeud du problème: pourquoi fait-on une sélection et pourquoi cette sélection est-elle basée sur les résultats scolaires? 

À l'école privée, certaines école sélectionnent les élèves pour carrément ne retenir que les meilleurs candidats. Faire un écrémage. C'est leur droit. Dans certains cas, elles se mettent même en commun pour réduire le nombre d'examens passés par un même enfant. Ce qui est indécent est qu'elles soient subventionnées entre 60 et 74% par les deniers publics. Elles diront que c'est moins. Bien évidemment. On oublie souvent une autre sélection effectuée par l'école privée: celle du statut socio-économique des parents avec les frais qu'on exige d'eux. Statistiquement, la réussite scolaire va souvent de pair avec ce critère. C'est triste, mais c'est une incontournable réalité. On me parlera de bourses et de parents qui se serrent la ceinture. Mais encore une fois, rien n'y fait: on choisit des parents intéressés par l'éducation de leurs enfants. Et ça, c'est un gros plus.

Maintenant, à l'école publique, qui devrait être celle de l'égalité des chances, pourquoi une sélection?Certains n'aimeront sûrement pas ma réponse. Parce que ce ne sont pas tous les élèves qui seront capables de suivre le rythme des programmes particuliers.

Prenons par exemple le très populaire programme d'étude international. Dans certains cours, la matière est compressée; dans d'autres, une forme d'enrichissement est obligatoire. De plus, certaines exigences supplémentaires sont présentes et ajouteront au nombre d'heures que devra consacrer l'élève à l'école: engagement communautaire avec l'Action par le service (résumons ça par du bénévolat), projet personnel de fin de cinquième secondaire, etc. La situation est similaire dans certains programmes Sport-Étude où l'on coupe dans le temps de classe pour augmenter celui consacré à la pratique d'un sport.

Est-ce à dire qu'un élève présentant un TDA/H ou un trouble du langage n'est pas admis dans ces programmes particuliers? Faux. S'il réussit bien, il sera admis et recevra les services auxquels il a droit quand cela est reconnu par un plan d'intervention comme pour tout autre élève. J'ai enseigné à des élèves dyslexiques, dysphasiques et autres D, comme je dis parfois. La principale différence avec un même élève du secteur ordinaire:  l'encadrement parental. Tiens, tiens...

Rendrait-on véritablement service aux élèves qui ne présentent pas de facilité scolaire en les acceptant dans différents programmes particuliers. J'en doute. Il serait davantage motivé pour un temps, assurément. Mais arriveraient-ils à suivre le rythme? Déjà, après deux mois, et même avec une sélection, j'ai deux ou trois élèves complètement «largués» dans mes classes.

Dans les faits, quand on parle de ségrégation scolaire, le problème est beaucoup plus complexe que ce que je viens d'évoquer. Bien des notions y sont rattachées. A mon avis, il est illusoire de vouloir abolir les programmes particuliers des écoles publiques sans remettre en question le statut et le financement des écoles privées. De même, quand on parle d'intégration ou d'inclusion, on oublie très souvent la réalité du secondaire (on l'a d'ailleurs fait avec le Renouveau pédagogique). Ainsi, un enseignant d'Éthique et culture religieuse peut avoir jusqu'à 360 élèves avec chacun ses différences; un enseignant de français de cinquième peut en avoir 120. On parle aussi du respect des besoins des enfants mais quelle importance accorde-t-on dans ce débats aux besoins des élèves performants ou doués? Et enfin, on oublie un point essentiel: les parents. Plusieurs d'entre eux demandent des programmes particuliers pour leurs enfants.

Bref.







18 octobre 2017

«Moi aussi» et l'éducation

Salvail... Rozon... Les récents événements dans l'actualité évoquent en moi deux douloureux souvenirs.

Le premier a eu lieu il y a une vingtaine d'années. Au début de ma carrière. J'enseigne en cinquième secondaire. Deux élèves demandent à me voir confidentiellement. À l'heure du diner, on se rencontre dans mon local de classe. Les jeunes filles commencent à me parler d'un collègue aux regards insistants sur leur poitrine et aux commentaires douteux. Arrive une autre élève qui, par hasard, n'entend que le nom murmuré du collègue concerné. Immédiatement, elle comprend ce dont il s'agit et commence, elle aussi, à me raconter certains événements troublants. Dans la petite ville où je travaille, tout finit par se savoir. Le collègue fréquente un bar où sortent aussi des jeunes - mineurs et majeures - de l'école. Il danse de façon inappropriée avec certaines et a les mains baladeuses. La cloche du début des cours de l'après-midi sonne. Sans rien promettre à mes trois étudiantes, je leur indique que je vais leur revenir sur ce sujet le plus tôt possible et, qu'entretemps, s'il y a quoi que ce soit, elles peuvent venir me voir.

Armé de mon courage de jeune novice, je décide alors de rencontrer la direction. Je fais part à mon supérieur de ce que j'ai appris tout en lui indiquant que je n'ai aucune raison de douter de la bonne foi de celles qui sont venues me voir tout en sentant que je dois être prudent avec de telles allégations. Simplement, j'estime de mon devoir de rapporter ce dont on m'a fait part. Deux jours plus tard, le collègue démissionne. Quelques mois après, j'ai compris comment s'était déroulée la suite des choses. La direction a fait sa petite enquête et a convoqué le prof en question. Mis devant les faits, elle lui a laissé le choix: une démission rapide sans lettre de recommandation ou une enquête policière. Il a démissionné. Ce n'est que des années plus tard que j'ai appris qu'il avait retrouvé, après quelques semaines, un emploi dans un collège privé de la région. Aujourd'hui, avec l'actualité qui se bouscule, je ne sais pas si j'ai fait la bonne chose. Sur le moment, peut-être. Peut-être aussi a-t-il recommencé ses comportements plus que douteux? C'était l'époque, me dira-t-on. Mais une façon de faire inacceptable.

Mon autre souvenir est rattaché à un cadre de ma commission scolaire. Il a été «démissionné» en pleine nuit au beau milieu d'un année scolaire La CS s'est assurée de reprendre possession de tous les appareils électroniques qu'elle lui fournissait. Une procédure habituelle, m'a-t-on dit. Mais les rumeurs les plus folles ont couru. Par la suite, on a appris que ce cadre avait trouvé un emploi ailleurs comme enseignant parce qu'il «voulait relever de nouveaux défis auprès des jeunes». Finalement, il a oeuvré dans un poste important dans un établissement scolaire loin de ma région. Cet événement a laissé un gout amer dans la bouche de tous ceux qui ont pris connaissance de cette histoire.

Les comportements inappropriés ou abusifs, les blagues de «mononcles», le harcèlement et l'intimidation, sexuelle ou non, on en retrouve aussi dans nos écoles.  Et c'est d'autant choquant qu'elles sont supposément être des lieux d'éducation.

07 octobre 2017

École à la maison et projet de loi 144

Il existe actuellement un important débat en éducation qui se tient dans l'indifférence publique la plus totale: celui entourant l'adoption du projet de loi 144 portant sur la scolarisation des enfants à la maison. Ce débat soulève bien des questions en ce qui a trait à la notion de vie en société, à la liberté des choix que peuvent effectuer les parents mais aussi au droit des jeunes à une éducation pleine et entière.

Tout d'abord, reconnaissons qu'il existe des parents, véritablement soucieux de l'éducation et du bien-être de leurs enfants, qui choisissent cette option. On les entend sur les tribunes, on les voit dans les médias. Ils sont convaincants et ils sauront raisonnablement déployer tous les efforts nécessaires pour assurer l'éducation de leur progéniture jusqu'à la fin du primaire.  Par contre, il est illusoire de croire qu'ils pourront couvrir tous les contenus des cours dispensés à l'école secondaire. Les programmes sont trop chargés, trop complexes.

Si j'avais une première critique à formuler par rapport à la scolarisation à la maison, c'est qu'elle n'assure pas toujours la socialisation de l'enfant, qui est pourtant un des objectifs du programme scolaire québécois. La deuxième serait que j'éprouve des doutes parfois quant au contrôle des apprentissages que les jeunes réalisent.

Là où je décroche cependant, c'est lorsque entrent en jeu des considérations religieuses ou linguistiques. Si l'on analyse l'origine de ce projet de loi, on comprend qu'il vise principalement à assurer la scolarisation d'enfants qui fréquentaient des écoles religieuses ne respectant pas la Loi sur l'instruction publique. Plutôt que d'obliger certains parents à respecter la LIP, on en est venu à encadrer juridiquement une situation illégale en espérant qu'ils respectent un minimum d'obligations face à leurs enfants et les ramener, si possible, dans le système scolaire. On se souviendra de ces écoles ne respectant pas les prescriptions du programme de formation, de ces écoles qui perduraient d'un gouvernement à l'autre en comptant sur l'usure du temps et dont l'attitude frisait la mauvaise foi. On se souviendra aussi de Yonanan Lowen qui poursuit la Direction de la protection de la jeunesse, la Commission scolaire La Seigneurie des Mille-Iles ainsi qu'une école et un collège hassidiques, estimant avoir été privé de l'éducation séculière de base dont il était en droit de s'attendre en vertu des lois québécoises. On pourrait aussi citer le cas de l'institut Laflèche de Joliette.

Sachant cela, l'encadrement que prévoit le projet de loi 144 sera-t-il suffisant devant certains individus qui ont manifesté un mépris évident de la loi sur une aussi longue période de temps? S'ils ont réussi à vivre en marge du système scolaire aussi longtemps, sauront-ils s'y conformer maintenant? Est-ce que le ministre de l'Éducation est conscient qu'il peut s'agir ici, encore une fois, d'une stratégie pour acheter du temps? Choisit-il lui-même cette voie consciemment pour ne pas régler ce dossier qui est une «patate chaude» politiquement à cause des dimensions religieuses qui y sont reliées? Je ne le sais pas. Le défi du législateur est ici de trouver un point d'équilibre entre le citoyen bienvaillant et et celui qui l'est moins. En adoptant une approche qui se veut constructive, M. Proulx fait publiquement le pari qu'il saura réussir là où tant d'autres ont échoué ou refusé d'intervenir. Qu'on pense entre autres à cette communauté religieuse de Joliette - bénéficiant d'une entente similaire - dont les enfants étaient suivis pat une commission scolaire et dont les résultats scolaires des jeunes étaient désastreux.

De nombreux éléments problématiques existent aussi quant à ce que propose le gouvernement. Ainsi, si chaque enfant sera soumis à une évaluation annuelle, les conditions de celle-ci restent à déterminer. S'agira-t-il d'examens similaires à ceux d'une commission scolaire ou du ministère? S'agira-t-il d'un porte-folio? Et les commissions scolaires bénéficieront-elles des ressources suffisantes pour effectuer le suivi de tous ces enfants? Et dans quelle langue s'effectueront ces apprentissages? Le projet de loi 144 ne prévoit aucune obligation à ce sujet. Si le ministre Proulx indique - à juste titre - que rien n'obligeait précédemment que les apprentissages à la maison se fassent en français, pourquoi ne saisit-il pas cette opportunité de réaffirmer l'esprit de la loi 101 en matière d'éducation?



27 septembre 2017

Un autre mythe en éducation: l'innovation synonyme d'efficacité

Dans un éditorial publié dans La Presse, Alexandre Sirois montre à quel point l'opinion de certains chroniqueurs traduit parfois leur profond manque de compréhension du monde de l'éducation et de son histoire des vingt dernières années, pour ne pas dire plus. Ceux-ci reprennent, comme dans ce texte, des mythes qui sont nuisibles quant aux apprentissages de nos jeunes.

M. Sirois explique que le ministre de l'Éducation, M. Proulx, ne pourra pas se défiler quand viendra le temps de «moderniser» l'école québécoise. Il cite à cet effet de nombreux exemples de pratiques innovantes. Mais voilà: manifestement, M. Sirois ne semble pas savoir que l'école québécoise a justement eu son lot de d'idées innovantes mais peu ou pas efficaces au cours des années. Qu'on souligne la dernière réforme qui n'a pas réussi à motiver davantage les élèves, ne les a pas amené à réussir davantage ou à mieux écrire. Pour tenter de redresser le tout, on a d'ailleurs connu des tentatives de rapiéçage ici et là, entre autres concernant le programme d'histoire, d'éducation financière et j'en passe tellement la liste serait longue.

Parmi les pratiques innovantes que suggère cet éditorialiste, on retrouve celle d'une école danoise avec une multitude d'espaces de travail et de détente. Très bien, mais quels ont été résultats de cette initiative? Sur combien de temps? Avec quelles ressources? Où sont les données probantes, pour reprendre une expression à la mode? Bref, il serait grand temps qu'on cesse de demeurer en surface et qu'on soit plus critique quand il s'agit de commenter ce qui concerne l'éducation de nos enfants.

Pour M. Sirois, il semble que seules les pratiques nouvelles sauront «donner le gout d'apprendre» aux jeunes. Moi qui ne suis qu'un modeste enseignant, je me permets de lui dire une chose : les jeunes aiment apprendre quand ils comprennent ce qu'ils font, quand on les rend capables et autonomes. Or, trop souvent, notre école québécoise se contente de faire réussir des élèves qui maitrisent peu ce qu'ils font. Comment peut-on aimer les mathématiques, par exemple, quand on est rendu en troisième secondaire, comme certains élèves, et qu'on n'a pas réussi ce cours depuis la cinquième année du primaire? Où trouver la soif d'apprendre et la motivation quand l'élève sait qu'il ne doit sa réussite qu'à des tours de passe-passe administrative?

Au lieu d'être rigoureuse dans ses pratiques, honnête avec les jeunes et de leur donner les ressources additionnelles quand elles sont nécessaires, notre école se glorifie de statistiques ronflantes en promouvant des élèves qui n'ont pas toujours les acquis nécessaires à leur véritable réussite. Et les beaux murs de M. Lavoie, les bons repas de M. Ricardo, les amusantes activités de M. Lavoie, les pratiques innovantes de M. Sirois n'y changeront rien. Le mal est bien plus profond. Et certains textes - adressés au ministre de l'Éducation - contribuent à maintenir une pensée magique dangereuse. Il ne reste qu'à espérer que celui-ci saura y résister.

* Ce texte a été modifié depuis sa première publication le 27 septembre 2017


24 septembre 2017

La réalité d'une école secondaire surpeuplée

On a pu lire, lors de la rentrée scolaire 2017-2018, quelques textes s'intéressant à ce que vivent des écoles primaires surpeuplées au Québec. Or, la réalité d'une école surpeuplée est multiple et parfois bien différente quand on s’intéresse au secondaire.

Ce qui frappe tout d'abord l'esprit dans une école secondaire surpeuplée, c'est cette impression d'étouffement et de bruit. On retrouve ainsi des élèves partout, dans les moindres recoins. Et c'est bien normal, car certains d’entre eux ont besoin de calme et de silence. Alors, ils cherchent à s’approprier un endroit tranquille où se poser. D’autres, au contraire, ont besoin de se retrouver entre amis, entre semblables. On renforce ainsi certains groupes qui chassent les solitaires et crée des luttes pour l’espace entre «bandes» rivales. Quand il s’agit d’élèves de première secondaire, leur situation est encore plus difficile parce qu’ils ne font pas le poids devant les plus grands, solidement établis. Conquérants souvent lamentables, ils se promènent, ils cherchent, ils errent d'un endroit à un autre. Lorsqu'il fait beau, il est toujours possible pour tous les élèves de fuir à l'extérieur, mais l'hiver ramène inexorablement tous les itinérants à l'intérieur avec les conséquences qui s’ensuivent.

Ces déplacements sont parfois toute une aventure tant les corridors deviennent embouteillés. Il faut dire qu'ils n'ont pas été nécessairement conçus pour une population aussi importante. Les bousculades entre jeunes surviennent et peuvent attiser certains conflits. Pour l'élève nouveau ou gêné, il s'agit alors d'une expérience intimidante. Toute cette cohue augmente les risques de retard en classe, bien que certains élèves le seraient de toute façon. Imaginez tous ces déplacements maintenant quand une école vit selon un horaire quotidien de six périodes d'enseignement de 50 minutes chacune. Gare aussi à l'enseignant qui, comme un saumon en migration, tente de remonter le courant opposé des élèves se dirigeant vers leur classe!

Lorsqu'on dit que les jeunes sont partout dans une école, c'est aussi parce qu'il faut bien leur fournir un casier. Alors, on en installe ailleurs que dans les endroits originalement prévus à cet effet: dans les corridors, devant les classes, devant les bureaux. Cela réduit d'autant l'espace pour circuler lors des déplacements avec les conséquences que l'on peut imaginer. Parfois, l’une des solutions mises de l’avant  consiste à placer deux jeunes par casier. Il leur faut résolument des trésors d'imagination pour ranger dans cet espace exigu tout leur matériel scolaire et leurs vêtements. L'hiver, avec ses bottes et ses manteaux, devient un véritable casse-tête. Naissent d'inévitables conflits quant à l'espace occupé et il n'est pas rare que certains jeunes gardent des effets scolaires à la maison et les transportent quotidiennement.

Il est inévitable qu’une école surpeuplée soit victime d'usure prématurée. Par exemple, certains équipements, comme les toilettes, sont davantage sollicités et davantage victimes de bris ou de vandalisme.  Malgré les efforts des concierges, les lieux deviennent rapidement plus sales et les élèves leur font moins attention, d'autant plus qu'ils ne sont déjà pas très propres. 

Si, durant les heures de cours, les jeunes sont tous en classe, le diner présente de nombreuses difficultés.  Ainsi, la cafétéria n'est souvent pas assez grande pour accueillir tous les élèves en même temps. Ceux-ci mangent là où ils le peuvent: dans les corridors, dans des classes ouvertes spécialement pour eux...  En agissant de la sorte, on crée des situations où l'on risque de salir davantage des lieux qui ne sont pas prévus pour prendre un repas.

Rien ne peut chasser cette impression d'étouffement, cette impression d'être de trop dans sa propre école pour un jeune. Souvent, les élèves «squattent» la bibliothèque, mais ils y vont pour de mauvaises raisons et dérangent ceux qui veulent y travailler. Si on ne prévoit pas un nombre important de surveillants ou d'activités-midi pour occuper les élèves, ils s’occuperont eux-mêmes et le climat d'une école pourra facilement déraper. Pour éviter le tout, il arrive qu’on coupe dans la récupération pédagogique et qu’on utilise des enseignants à d'autres fins : ils deviennent des gardes de sécurité, des animateurs de jeux, des techniciens en loisirs.

Afin de permettre à tous les élèves d'avoir une place assise à la cafétéria, on a quelquefois recours au système des deux diners séparés où cohabitent des élèves en classe et ceux qui n'ont pas de cours. Enseigner dans de telles conditions peut s'avérer difficile. La porte de la classe doit impérativement demeurée fermée parce qu'il y a une importante circulation dans les corridors. Parfois, devant cette même porte, on retrouve des casiers où les jeunes s'attroupent et discutent, ce qui dérange les jeunes en apprentissage.

Une école surpeuplée signifie aussi qu'il faut maximaliser l'utilisation des locaux d'enseignement. Une façon d'y parvenir est bien sûr d'augmenter la taille des groupes. En première et deuxième secondaire, le nombre d'élèves par groupe est prescrit à un maximum de 28. Mais par la suite, seul le nombre de pupitres entrant dans une classe semble être la limite de jusqu'où l'on peut aller. Dans le cas de classes d'élèves réguliers, cela augmente d'autant les possibilités d'enseigner à un nombre plus important d'élèves en difficulté ou présentant des problématiques particulières, ce qui est tout à fait nuisible à leur réussite.

Rentabiliser l'utilisation des locaux est un véritable cauchemar pour la technicienne en organisation scolaire responsable des horaires des élèves et des enseignants. Par exemple, dans une école avec un cycle de neuf jours comprenant quatre périodes quotidiennes de 75 minutes chacune, comment utiliser au maximum, durant les 36 périodes du cycle, l'espace avec des cours ayant deux, trois, quatre, cinq, six, sept ou même huit périodes par cycle? Le résultat fait qu’un même enseignant peut avoir plusieurs locaux de classe situés loin les uns des autres, parfois même sur différents étages. On revient à cette image du professeur «saumon» remontant le courant le plus rapidement possible plusieurs fois par jour. Mais le salmonidé stressé tire en plus une valise à roulettes ou un charriot où il place tout le matériel dont il a besoin, perpétuel migrant errant d'une classe à l'autre. Avoir en sa possession une clé donnant accès à l'ascenseur devient un atout incroyable. L'enseignant devant constamment se déplacer, il lui est difficile d'accueillir ses élèves sereinement ou d'être présent après le cours pour recueillir des confidences de ceux qui vivent des moments difficiles. L'enseignant est pressé. De toutes parts.

Impossible également pour l’enseignant la possibilité d'aménager plusieurs locaux pour qu'ils reflètent sa personnalité ou sa matière. Contrairement au primaire, les salles de classe au secondaire sont anonymes, impersonnelles, souvent déprimantes. Parfois, plusieurs enseignants de différentes matières y cohabitent difficilement et manquent d'espace pour ranger le matériel propre à leur matière. 

Pour l'élève, on comprend qu’il est difficile de se sentir accueilli dans une telle classe. Le sourire chaleureux d'un enseignant a ses limites. Et puis, il lui est parfois difficile de trouver son prof quand il en a besoin. Dans quelle classe donnera-t-il sa récupération aujourd'hui?  On comprend alors que le lien élève/enseignant, si précieux parait-il quant à la réussite scolaire, en prend tout un coup.

Dans des situations extrêmes mais qui sont extrêmement fréquentes, on finit par aménager des classes dans des locaux qui ne sont pas prévus à cette fin. On agrandit de l'intérieur et, cyniquement, on se surprend à penser que la moindre garde-robe présente un potentiel intéressant... 

En éducation physique, on se retrouve souvent (toujours) devant un manque de plateaux où donner des cours. On se résout alors à aller à l'extérieur, été comme hiver, au soleil comme sous la pluie. Tout pour faire aimer l'activité physique, quoi!

En plus de ses impacts pédagogiques, la course à la rentabilisation des locaux génère des coûts qui ne sont pas toujours négligeables. Il faut prévoir une nouvelle série de dictionnaires ou des manuels pour une classe qui n'accueillera qu'un groupe de français. Il faut acheter davantage d'armoires pour y ranger le matériel qu’on a dû démultiplié et ainsi de suite.

Pour les enseignants, enfin, c'est aussi leur espace de travail qui en subit les contrecoups. Oubliez les bureaux de travail individuel pour corriger comme au cégep: bienvenue dans les locaux à aire ouverte où on les entasse parfois jusqu'à 28 et où il leur est impossible de travailler décemment. À cette ère où on leur demande d'être plus présents à l'école, on devrait au moins leur assurer des lieux où ils peuvent oeuvrer efficacement, où la moindre prise de courant ne devient pas un enjeu énergétique vital parce qu'il n'y en a que trois au total dans tout le local. Et surtout, impossible d'aller «squatter» une classe vide pour corriger en silence: il n'y en a pas. 


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À la lecture de ce texte, on peut se demander pourquoi on tolère des écoles surpeuplées, surtout dans des régions où il est évident que le nombre d'élèves et de futurs élèves ne connaitra pas de baisse prévisible. Incompétence? Mauvaise organisation? Économie de bout de chandelle? Chose certaine, je demeure convaincu que si nos décideurs devaient vivre dans les conditions dans lesquelles sont plongés nos élèves et leurs enseignants, ils seraient les premiers à se plaindre, à juste titre, et à vouloir changer les choses. On ne parle pas que de décoration ou d'architecture: on parle aussi de la réussite des jeunes.

12 septembre 2017

À propos de trouver un sujet...

Cette année, je rigole assez jaune. J'enseigne officiellement à des élèves appartenant à l'élite, selon Lise Ravary. Mais voilà: après six années au primaire, ceux-ci peinent à trouver un sujet dans une phrase. Imaginez quand on leur demande de comprendre un texte! Je ne crache pas sur les profs du primaire, je ne me moque pas de mes élèves, je ne blâme personne. Je constate. Point à la ligne.

Sur 84 élèves, j'en ai un seul qui a réussi à identifier correctement les sujets, les prédicats et les compléments de phrase dans les lignes ci-dessous.

1-    Mes amis racontent des souvenirs de voyage amusants.
2-    Dans cette petite maison vivait un sorcier terrifiant.
3-    Hier soir, Paul a été frappé par cette voiture.

La phase 2 a été une hécatombe puisque la maison vivait visiblement dans un sorcier...

Avec la nouvelle grammaire, on ne trouve plus les sujets comme dans le bon vieux temps où la nostalgie était plus belle qu'aujourd'hui.

Contrairement à ce que l’on fait traditionnellement, les questions Qui? ou Qu’est-ce qui? devant le verbe pour trouver le sujet de la phrase ne sont pas employées. Le sujet n’est pas non plus défini comme l’élément qui fait ou qui subit l’action évoquée par le verbe, ni comme ce dont on parle dans la phrase. Ces définitions ne sont pas retenues en nouvelle grammaire puisqu’elles sont trop liées au sens du verbe et de la phrase et qu’elles sont parfois inopérantes.

Puisque la nouvelle grammaire privilégie une approche syntaxique, et non sémantique, on y définit le sujet comme la fonction d’un des deux groupes obligatoires de la phrase, groupe qui présente les caractéristiques syntaxiques suivantes : le groupe en fonction sujet est habituellement placé à gauche du verbe; on ne peut pas supprimer ni déplacer le sujet; on peut le remplacer par les pronoms personnels il(s) ou elle(s); et enfin, on peut l’encadrer par c’est…qui. Pour trouver le sujet de la phrase, on aura donc recours à différentes manipulations syntaxiques qui mettent en évidence ces caractéristiques. 1


Exemples :

Les feuilles de cette tige
sont toutes sèches.

Elles
sont toutes sèches.
Groupe sujet
Groupe prédicat

La pianiste
a reçu un accueil chaleureux.

C’est
la pianiste
qui
a reçu un accueil chaleureux.

Groupe sujet

Groupe prédicat


Au départ, trois de ces énoncés posent problème.
1- le groupe en fonction sujet est habituellement placé à gauche du verbe. Habituellement. Mais pas toujours comme dans les cas des phrases interrogatives, par exemple, ou de celle du sorcier...
2- on ne peut pas supprimer ni déplacer le sujet;  Oui, si on transforme la phrase en interrogative...
Il mange un steak. ----> Mange-t-il un steak?
3-on y définit le sujet comme la fonction d’un des deux groupes obligatoires de la phrase,   Un sujet n'est pas nécessaire dans une phrase impérative.

Ensuite, regardons les deux stratégies suggérées.

1- La pronominalisation (remplacement par un pronom). Je donne la phrase suivante à mes élèves:
  «Nous sommes perdus dans la forêt.»  Ils pronominalisent et me disent: «''Ils sommes perdus dans la forêt? '' Mais ça ne se dit pas, Monsieur Masqué!» Je souris.
2- L'encadrement. Cette technique a ceci de particulier qu'on doit anticiper quel est le sujet à encadrer et, ensuite, on valide notre hypothèse. Bref, après la pédagogie de la découverte, la pédagogie de la devinette... Quand je leur donne la phrase «Il mange des fruits», les élèves parfois me répondent: «Mais ça ne se dit pas ''C'est il qui mange des fruits.''» Je souris.

Bref, souvent, j'ai l'impression qu'on n'est pas plus avancés qu'à l'époque de la nostalgie.  Et je me demande pourquoi tous ces changements quand, sur le terrain, on en est visiblement au même point.