Tout et chacun a son opinion quant au monde de
l’éducation. Au Québec, les problèmes surviennent généralement quand la sphère
politique commence à y intervenir à la manière d’apprentis sorciers. Ce fut le
cas en fin de semaine lors du congrès des jeunes libéraux dont le thème était «développer la réussite
par l'éducation». À ce sujet, on
peut se demander où étaient ceux-ci au cours des dernières années alors que ce
même monde vivait des moments plus que sombres.
Certaines des mesures adoptées par
les jeunes libéraux montrent bien pourquoi, en paraphrasant Clémenceau,
l’éducation est une chose si importante qu’elle ne devrait pas être confiée parfois
à de jeunes politiciens et même à des politiciens tout court.
Revoir le curriculum au secondaire et même au primaire
La politique étant l’art de
l’impossible, il fallait voir comment le président des jeunes libéraux,
Jonathan Marleau, a proposé de revoir au complet les cours offerts au
secondaire tout en indiquant qu’il ne s’agissait pas d’un désaveu des actions du
parti libéral au pouvoir de façon presque ininterrompue depuis 14 ans ou de la
politique sur la réussite éducative du ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx,
déposée il y a à peine sept semaines. Non, selon ce dernier, le bilan du
gouvernement Couillard en matière d’éducation est rien de moins qu’«exceptionnel».
Les
jeunes libéraux suggèrent entre autres d'ajouter immédiatement des cours
d'éducation sexuelle au secondaire. Savent-ils que des notions concernant la
sexualité sont notamment vues dans les cours de sciences par certains profs depuis la réforme?
À l’époque où l’on a modifié le curriculum de la sorte, des enseignants ont
indiqué que cette façon de procéder serait inefficace, voire dangereuse pour la
santé publique, mais on ne les a pas écoutés avec comme résultats aujourd’hui que
les adolescents et les jeunes adultes sont moins informés en ce qui a trait à
ce domaine et que certains comportements à risques sont à la hausse. Savent-ils
également, ces mêmes jeunes libéraux, que le programme qu’ils réclament est en
expérimentation depuis déjà deux ans Le ministre M. Proulx a montré bien plus
de détermination quand est venu le temps d’imposer en quelques mois un cours de
finances personnelles, on s’en souviendra. Pourquoi une tel écart dans les
actions ? On peut se le demander.
Toujours
lors de ce congrès, les jeunes libéraux ont également réclamé des cours de
programmation informatique. Savent-ils seulement qu’avant de leur apprendre à
programmer, on devrait s’assurer que les élèves québécois connaissent leur
doigté sur un clavier ? Eh oui, quand on travaille dans une école comme
moi, on est à même de constater que la très grande majorité des élèves ne le
savent pas. C’est un peu comme si on voulait apprendre à danser à un enfant qui
sait à peine marcher.
On
comprend donc que les jeunes libéraux aiment lancer des idées sans y avoir
réfléchi longuement. Et pourquoi s’arrêteraient-ils en si bon chemin? C’est ainsi que M. Marleau a
affirmé que la réforme du curriculum «pourrait être au primaire aussi». Mais sur quelles bases solides lance-t-il
une telle idée ? Mystère et boule de gomme.
Le système scolaire au Québec vit donc
d’improvisation en improvisation depuis des années. On fait des réformes, des
ajouts, des modifications, très souvent sans même consulter les enseignants
pour ensuite constater que ce que ces derniers prévoyaient n’étaient pas
toujours très loin de la réalité.
De l’illogisme d’imposer un ordre professionnel
C’est ce même manque de
considération et de respect qui guide aussi le dossier d’un ordre professionnel
pour les enseignants.
Les jeunes libéraux ont adopté de
façon majoritaire après seulement une vingtaine de minutes de débats une
proposition en faveur de la création d’un ordre professionnel des enseignants. Réalise-t-on
ici qu’il est contre la nature même d’un ordre professionnel d’être
imposé ? Normalement, ce sont les membres d’une profession qui décident de
se doter d’un tel instrument. De vouloir poursuivre dans un telle voie est
manifestement le signe qu’on ignore ce fait ou qu’on a d’autres intentions en
tête. Que pense M. Marleau véritablement quand il affirme :
«On
aurait besoin d'un organisme qui, au lieu de fustiger et faire des déclarations
de guerre, voudrait plutôt travailler à l'intérêt de la profession d'enseignant
(...) On a besoin de gens qui vont s'asseoir pour réfléchir avec maturité à
qu'est-ce qu'on a besoin pour développer, pour valoriser la formation
d'enseignant et protéger les étudiants, les élèves.»
Pour ma part, je suis toujours
inquiet quand les gens veulent mon bien et valoriser ma profession sans me
consulter. Cette incompréhension, on la sent encore quand l’ancien candidat
libéral dans le comté de Gouin dit : [Or], ça prend aussi un organisme
qui va réfléchir l’enseignement, mais pour le bien-être des élèves et des
étudiants. Sait-il seulement
qu’il existe déjà divers organismes dont c’est précisément le rôle et que le
ministre Proulx songe même à en créer un nouveau avec un Institut national d'excellence en
éducation ?
Dans toute cette question, la
perception qu’a M. Marleau de la compétence des enseignants me semble
anecdotique, réductrice, pour ne pas dire teintée de mépris. Ainsi, lors de ce
congrès, celui-ci demandé à ses membres : «Par
applaudissements, à qui c’est déjà arrivé d’avoir un professeur qui avait des
problèmes avec un ordinateur ? » S’il connaissait un peu la réalité scolaire, M. Marleau
découvrirait que bien des enseignants doivent travailler dans des
environnements numériques déficients. Dans certaines écoles, les réseaux
informatiques et les ordinateurs présents dans les classes sont parfois désuets
ou défectueux. Remettre en cause la compétence des enseignants qui doivent
parfois devenir des techniciens informatiques et qui n’ont pas reçu de
formation adéquate de la part de leur employeur est tout simplement un
raccourci odieux.
On peut se questionner pour cet
engouement à propos d’un ordre professionnel de la part de gens qui ne sont pas
les principaux concernés par ce débat. Dans les faits, on comprend bien que ceux-ci
le voient davantage comme une façon de limiter l’influence des syndicats en
éducation. Or, s’il existe des problèmes entourant l’évaluation et la formation
continue des enseignants, nos décideurs semblent davantage vouloir faire porter
aux enseignants le poids de certaines solutions au lieu de voir comment on
pourrait améliorer le système actuel. Ainsi, que fait-on actuellement pour les
directions qui n’ont soit ni le temps, ni les connaissances, ni les ressources
pour superviser pédagogiquement les enseignants ? Rien. Que fait-on pour les
enseignants motivés mais à qui on donne peu le temps de se perfectionner et
dont les efforts ne seront rarement reconnus ? Rien. Et comment espère-t-on véritablement attirer
de nouveaux candidats dans cette profession si on y ajoute des contraintes et
des obligations ?
Resserrer l’accès à la
profession enseignante
Toujours
dans le but de revaloriser la profession enseignante, les jeunes libéraux
demandent à ce que l’on resserre les critères d’admission des programmes
universitaires menant à cette profession. Encore une fois, ces derniers ont une
méconnaissance consternante de la réalité scolaire actuelle.
En
effet, bien des contingents de certains facultés d’éducation ne sont pas
atteints, faute de candidats. Dans certaines régions et dans certaines matières,
il est arrivé qu’on manque de candidats alors que dans d’autres, on assistait à la situation
inverse. S’ils connaissaient vraiment ce dont ils parlaient, ces jeunes
libéraux se seraient tout d’abord intéressés aux universités qui forment des
enseignants sans tenir compte de la réalité des emplois disponibles. Et il en
va de même dans certaines professions reliées également à l’éducation.
Il est
anormal qu’on forme actuellement des enseignants dans des disciplines où les
listes d’ancienneté sont interminables Quand on parle de précarité d’emploi et
de jeunes enseignants qui quittent après cinq ans après leur entrée dans le
monde de l’éducation, il s’agit d’une réalité que M. Marleau et ses membres auraient
dû aborder.
Dans
les faits, bien peu des recommandations votées lors de congrès des jeunes
libéraux deviendront réalité. Ceux-ci gonflent de beaux ballons politiques que les
membres du gouvernement récupèrent ou pas, selon les circonstances. Il est cependant
regrettable que des débats en éducation soient l’occasion d’un brassage d’idées
aussi peu approndies et posent les problèmes de façon aussi malhabiles auprès du grand public pas toujours familier avec ces enjeux.