On apprend aujourd'hui que les directeurs d'école seraient étouffés par la paperasse et n'auraient pas le temps de lutter contre le décrochage scolaire. Des collègues sont partis à rigoler en lisant cette nouvelle. Pour ma part, j'ai tout de suite versé une larme. Oui, quand je ris, il m'arrive parfois d'avoir les yeux larmoyants.
Une études partiale et peut-être invalide
Ainsi, sur LCN, on nous apprend: Une enquête de la Fédération québécoise des directeurs et directrices d'établissement d'enseignement révèle qu'ils passent trois mois et demi par année à remplir des formulaires et à assister à des réunions. Les données de l'enquête indiquent que les patrons d'écoles rempliraient 3,7 millions de pages de formulaires chaque année. Les directeurs passent annuellement environ 2,7 millions d'heures à s'occuper d'autre chose que de l'éducation des élèves.
On semble présenter cette «étude» comme une vérité alors que les directeurs d'école ont tout intérêt à ce que les chiffres soient le plus spectaculaires possible. De plus, on remarquera qu'on est parvenu en ces chiffres en extrapolant. En effet, on a projeté pour un an les données compilées par une centaine de directeurs pendant une période de deux semaines alors que le Québec compte près de 3 700 directeurs d'établissement scolaire. Est-ce assez pour être méthodologiquement acceptable? J'ai des doutes.
L'art de s'occuper soi-même
Je sourcille aussi quand on parle de la paperasse que doit remplir un directeur. Une partie de cette paperasse est créée et administrée par les directions d'école elles-mêmes. Ou encore, celle-ci est créée par des responsables de commission scolaire qui sont généralement d'anciens directeurs!
Voici des exemples de formulaire que doit signer un enseignant et que contresigne ensuite une direction:
- un formulaire de réquisition pour une boite de craies;
- un formulaire pour organiser un voyage à Montréal;
- un formulaire pour envoyer un élève au local de retrait;
- un formulaire pour faire acheter trois romans manquants en classe;
- un formulaire pour participer à un congrès;
- un formulaire pour...
Je ne dis pas que ceux-ci soient inutiles mais, parfois, on ne simplifie vraiment pas la procédure administrative. Un seul exemple:
- il manquait trois romans dans ma classe. J'ai proposé d'aller les acheter rapidement et de ramener une facture prouvant le montant que j'aurais dépensé. Trop simple! J'ai dû remplir un formulaire de réquisition. Celui-ci a été signé par le directeur responsable du français qui a officialisé ma demande et qui l'a ensuite transmise à l'adjointe-administrative. La demande a été discutée en réunion de gestion de la direction une semaine plus tard. L'adjointe-administrative a ensuite effectué une demande d'achat à une librairie. Les livres sont arrivés une semaine plus tard. Il a fallu signer des papiers de réception des livres et m'envoyer un avis m'expliquant que les livres étaient enfin arrivés... Ouf!
Et la paperasserie imposée aux profs, bordel!
Vous seriez étonné de la paperasserie qui est imposée aux profs. Les exemples ci-dessus le montrent bien, mais il y en a quelques-uns encore tout aussi intéressants.
J'expulse un élève de ma classe: un formulaire bleu. Je dois aussi appeler les parents et indiquer dans le dossier de l'élève que j'ai fait cet appel et résumer celui-ci.
Je donne une retenue à un élève: un formulaire jaune. Je dois aussi appeler les parents et indiquer dans le dossier de l'élève que j'ai fait cet appel et résumer celui-ci. Ensuite, je dois vérifier que l'élève a bien effectué sa retenue.
Si on élève oublie son matériel, qu'il parle trop en classe, qu'il est lent à se mettre au travail, etc., je dois le noter dans son dossier parce que ma direction veut conserver des traces de son comportement au cas ou un parent contesterait une éventuelle sanction attribuée à son enfant. «On veut des traces», nous répète-t-on. Traces, paperasse...
Résultat: certains collègues ont cessé d'intervenir disciplinairement en suivant la voie officilelle. Trop lourd, trop long. Ils avaient l'impression de se pénaliser eux-mêmes.
Un raisonnement fallacieux
«Pendant qu'on complète des formulaires, on n'est pas dans l'école à élaborer des stratégies pour faire en sorte qu'on puisse contrer le décrochage», affirme Chantal Longpré, de Fédération québécois des directions d'établissement d'enseignement (FQDE).
Faut-il comprendre que, si les directions d'école ne consacraient pas autant de temps à remplir des formulaires, elles se consacreraient davantage au décrochage scolaire? Mais est-ce que les choses iraient mieux?
À ce que je me rappelle, le décrochage se portait tout aussi bien il y a 15 ans et on ne parlait pas de directeurs étouffés par la paperasse. Cette façon de lier ces deux éléments est purement raccoleur et exploite un thème à la mode. Rien ne prouve que les choses iraient mieux en matière de persistance scolaire.
Tiens, si les directions d'école avaient moins de paperasse, peut-être qu'il y aurait moins de dépressions et de stress chez les enseignants parce qu'elles auraient le temps de mieux les accompagner. Qui sait?
Et cette expression «on n'est pas dans l'école à élaborer des stratégies» m'effraie. Veut-on que les directeurs élaborent des stratégies? Ne devraient-ils pas le faire avec les enseignants? Et «élaborer des stratégies»? En est-on encore rendu à l'étape d'élaborer? On dirait qu'on ne fait rien que ça, élaborer?
Depuis quelque temps, on remarque que les directions d'école veulent avoir leur mot à dire en matière d'éducation. Cette attitude est plus que louable. Je connais d'excellents directeurs dont les propos apporteraient beaucoup de choses intéressantes dans certains débats. Il est simplement regrettable qu'elles utilisent des stratégies aussi syndicales et qu'elles oublient de se remettre en question dans certains cas.
Je veux bien écouter un directeur d'école jouer à la victime, bien assis dans son bureau climatisé avec sa nouvelle chaise en cuir (oui, oui: vous remarquerez: le bureau d'un directeur est souvent cent fois mieux que celui d'un prof), mais il ne devrait pas oublier qu'il n'aura aucune crédibilité auprès de son personnel s'il joue à Aurore l'enfant martyr d'un côté et qu'il continue à jouer un ti-boss de l'autre. Et des ti-boss, nos écoles en ont plusieurs.
7 commentaires:
Que les directeurs disent leur mot en éducation est louable, en effet, mais quand mon directeur, prof d'enseignement religieux de formation, me demande à moi, ortho, si j'ai évaluer les micro-processus en lecture de mon élève, je trouve qu'il se prend pas mal pour ce qu'il n'est pas.
Il est là le danger.
Comme toi, je n'ai pas vraiment de compassion pour sa paperasse. On est aussi enseveli par ça, dans nos classes mal chauffées, avec nos élèves devant nous et nos piles de correction!
(je me défâche très lentement de* la direction de mon école... et je prévois garder un peu de colère envers son incompétence)
*se défâcher de? envers? M. Masqué, aidez-moi!
PM, toi qui est à l'affût de ce qui se passe au privé: leurs directions croulent-elles sous le poids de la même paperasserie que les directions du publique? Je me trompe ou le privé est plutôt discret là-dessus comme sur d'autres sujets?
Finalement, il n'y a pas juste les profs, les directions et tout et tout qui croulent sous la paperasse... la DPJ aussi!
Donc, pas le temps de s'occuper des enfants...
Unautreprof, moi j'ai eu ce genre d'interventions de direction, ancien prof d'éducation physique qui voulait voir mon examen si je changeais quelque questions à mon examen d'étape parce que je jugeais que l'examen contrôlé par une enseignante de français et que j'avais bien sûr eu copie à la dernière minute évaluait des éléments que je n'avais pas eu le temps d'enseigner... Tout ce qu'on peut faire pour mettre en doute notre compétence est parfois sidérant.
Enfin, ce monde bien décrit par PM de paperasses inutiles, lourdes et inefficaces qui nous empêchent d'avoir le gros bout du bâton pour faire notre discipline est l'invention de cette confrérie de directeurs... Pour moi, mon job devrait se border à faire un rapport verbal à qui de droit sur les événements, je n'ai pas que ça à faire. Quand tu entres dans un contrat de courte durée ou en suppléance pour une durée indéterminée, ce genre de paperasse devient ridicule quand un groupe d'ados se met en gang pour se payer la tête du pauvre adulte chargé de leur enseigner la matière. Donner un peu plus carte blanche à l'enseignant pour faire faire des retenus, en faisant confiance en son jugement, serait déjà un grand pas.
Les stratégies d'école pour l'encadrement disciplinaires sont tellement inefficaces dans certaines d'entre elle qu'on ne s'étonne pas de l'absence totale de conscience de possibles représailles pour des conduites inacceptables chez beaucoup de nos jeunes.
Et pourtant, PM, je ferais ici un lien avec le décrochage, mais pas à la façon de nos directions. Quand tout est permis parce qu'on arrive pas à montrer un esprit de corps et de rigueur suffisamment crédible pour rendre la classe plus fonctionnelle, les éléments perturbateurs prolifères et de plus en plus d'élèves n'ont pas la possibilité de faire leurs apprentissages. Éventuellement, être dans ce bordel fait perdre tout sens à la démarche d'apprentissage. En montant sans apprendre dans le système, on devient tout à fait dysfonctionnel après un certain temps et décrocheur potentiel.
Ce que je m'attends d'une direction, c'est qu'elle organise et gère une structure efficace d'encadrement qui me demande un minimum d'énergie pour que je puisse faire mon boulot qui est d'enseigner: pas de jouer au psychothérapeute le soir avec ma liste de parents à appeler alors que j'ai ma journée dans le cassss!
Jonathan: je suis d'accord. La discipline donne un cadre qui permet parfois d'éviter le décrochage.
PM : J'attends toujours la réponse à ma question...
quoique je fais ma paresseuse, je pourrais facilement trouver la réponse par moi-même.
Enregistrer un commentaire