09 novembre 2014

À propos des jeunes et de la novlangue de 1984

Je ne peux m'empêcher de réagir à ce texte paru dans Le Devoir...


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Monsieur Bergeron,

Dans votre texte publié le 6 novembre dernier, vous parlez du manque de culture générale de vos étudiants et de leur manque de vocabulaire. Vous l’associez entre autres à la culture du texto. Or, il n’existe aucune étude sérieuse sur les impacts négatifs du texto sur la langue et le vocabulaire. Si vous en avez une, il me fera plaisir de la consulter. Pour ma part, je me méfie des généralisations anecdotiques comme celles à laquelle vous vous livrez. De même, il serait intéressant de vérifier si les jeunes d’aujourd’hui s’expriment moins bien que leur parents ou leurs grand-parents. Il est de si bon ton, vous savez, de verser dans la nostalgie (qui n’est plus ce qu’elle était) et de dénigrer les technologies de la communication et de l’information.

Puisque nous parlons des médias, vous écrivez dans un de vos commentaires à la suite de votre texte: «C’est à se demander si l'image ne vient pas prendre sa revenge après avoir été tassée suite à l'invention de Gutenberg.» Euh… L’image tassée par l’imprimerie? Mais dans quel siècle vivez-vous? Moi qui croyais qu’on avait inventé la photo, le cinéma et la télévision depuis ce temps. Saviez-vous, sur ce point, que la venue des grands médias télévisés aux États-Unis dans les années 1950 a entrainé une augmentation des tirages des grands journaux? Méchante revanche de l’image sur l’écrit…

De façon plus précise quant à votre propos, le vocabulaire auquel vous faites référence est tout de même spécialisé et relié davantage à un cours d'ECR ou d'Univers social que de français. Cela ne vous empêche pourtant pas de décocher une flèche à certains (quelques? plusieurs? tous les?) enseignants du primaire et du secondaire: «Ils [les étudiants] ne comprennent pas l'importance des mots pour la construction de la pensée. Ce travail devrait être fait au primaire, au secondaire mais à condition d'avoir des professeurs qui ont cette même passion du langage…»

Je vous invite à m’accompagner, Monsieur Bergeron, une ou deux journées, à mon école secondaire pour voir le travail que nous y effectuons. Nos partons de très loin. Un récent sondage effectué par La Presse la semaine dernière montrait le niveau de culture générale des Québécois. Vous n’avez pu le manquer, j’imagine.

Oui, les jeunes devraient avoir un meilleur vocabulaire. Oui aussi, leurs parents n’en ont pas un meilleur. Oui, il manque de ressources dans nos écoles. Oui, notre ministre de l’Éducation et le gouvernement libéral actuel ne semblent pas très sensibles à l’importance de la langue française, mais vous éludez une bonne partie du problème en vous ne vous intéressant pas à la société dans laquelle nous évoluons et aux priorités de celle-ci. Les contribuables veulent payer moins d’impôts et de taxes. Socrate, Platon et les autres, ils s’en balancent. Voilà un beau défi pour un professeur de philosophie engagé comme vous.

Enfin, puis-je souligner que votre propos sur les jeunes détonne énormément de tout ce qu’on a dit d’eux lors du fameux «Printemps érable»? Aurait-ils tous soudainement si changés?

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Ouin, j'ajouterais que la plainte de tous les profs est de constater que les jeunes n'ont pas les préalables, mais il faudrait simplement se rendre compte que nos programmes ne tiennent pas assez compte du fait que l'apprentissage est un long processus. Ils sont écrits, et ça va faire une bonne dizaine d'années maintenant, par des gens qui n'enseignent pas ou qui ont oublié ce que c'était, qui croit que de transformer une habileté ou un savoir en une compétence va changer la nature de ce qu'est l'apprentissage. Malgré les modes, tout est toujours pareil du côté de l'acquisition du savoir. Du temps, des efforts et des stratégies d'apprentissage, de la mémorisation, de la pratique, des défis, de l'évaluation, des rétroactions constantes, des demandes d'informations, de la transmission, de la guidance, rien n'a changé, même si on le fait avec des machines de nos jours.

Nous devons tous souvent réenseigner ce qui «devrait» l'avoir été quand, en fait, il faut réapprendre plusieurs fois un concept ou le revoir dans plusieurs contextes avant de s'en faire un sens stable et durable. Je ne crois pas non plus avoir saisi le sens des mots propagande, démagogue, utopie, dogmatique ou sceptique avant d'avoir été plongé justement dans l'atmosphère du cégep et de ces cours de philosophie, il y a près de 20 ans de cela.

C'est même en proposant de faire lire à ces âges des œuvres comme 1984 qu'on peut faire apprécier davantage le sens du mot propagande. Car l'ambiance sociale, quand elle ne disjoncte pas trop, se présente la plupart du temps sous un air de normalité. Apprécier la dimension propagandiste de la réforme ou de le «gestion par les résultats» n'est même pas à la portée de tous. Le propre d'une bonne propagande est de faire dans la finesse, dans le slogan évident et de convaincre sans argument.

En conséquence, les méthodes efficaces en enseignement prévoient de questionner les élèves pour bien évaluer les connaissances antérieures et leur réenseigner au besoin ce qu'il faut pour favoriser les nouveaux apprentissages prévus au programme. Et souvent, on ne peut aller aussi loin qu'on le devrait, qu'on le voudrait, dans ce programme.

Et nos ministres sont plus occupés à faire des économies d'échelle et à restructurer les organisations que par la pédagogie sur le plancher. Je ne sais pas ce qu'ils peuvent faire pour nous d'ailleurs puisqu'ils n'y connaissent pas grand chose. Nous sommes donc contraints de prendre nos responsabilités et de faire de notre mieux comme pédagogue. On peut, par exemple, se tenir au courant des recherches en efficacité de l'enseignement pour connaitre les méthodes les plus efficace et accroitre notre impact comme enseignant en transformant nos pratiques.

Plus j'avance comme pédagogue, plus la frustration de mes collègues me surprend, car je ne me plains plus maintenant. Je crois qu'il vaut peut-être mieux adapter nos stratégies à la réalité de nos élèves au lieu de s'en plaindre.

Aussi, le processus d'enseignement n'est pas des plus reposant, car c'est un défi permanent! C'est heureusement pour cette raison qu'il est si intéressant.

Jonathan Livingston

Le professeur masqué a dit…

« Je crois qu'il vaut peut-être mieux adapter nos stratégies à la réalité de nos élèves au lieu de s'en plaindre.»

J'en suis venu au même constat de réalité. Et j'essaie de travailler des notions de fierté de réussir et de respect de soi que de parler de notes.

Jean-Pierre Proulx a dit…

Anonyme écrit:
Ils sont écrits, et ça va faire une bonne dizaine d'années maintenant, par des gens qui n'enseignent pas ou qui ont oublié ce que c'était, qui croit que de transformer une habileté ou un savoir en une compétence va changer la nature de ce qu'est l'apprentissage.

Erreur: les principaux artisans des programmes sont bel et bien des enseignants, mais ils travaillent dans l'ombre. Hélas.

Le professeur masqué a dit…

Monsieur Proulx:

Très poliment, ce sont des enseignants choisis pour leurs convictions pédagogiques qui vont très bien avec les visées du ministère. J'ai déjà participé à des consultations du MELS. Dans un cas, mes propos ont été largement «interprétés» et mes critiques ignorées.

Je ne nie pas le statut de ces gens. Simplement, rien n'empêche qu'ils soient dans le champ.

Jean-Pierre Proulx a dit…

Pourquoi partir avec cet a priori? Des dizaine d'enseignants participent à l'élaboration des programmes ou à leur mise à jour. Vous ne pouvez pas, à partir d'une expérience personnelle singulière, généraliser ainsi.

Ce matin, le professeur Luc Papineau, enseignant au secondaire, écrivait, dans Le Devoir à propos de la culture du texto: "Pour ma part, je me méfie des généralisations anecdotiques comme celle à laquelle vous [Réjean Bergeron] vous livrez". Vous devriez suivre le conseil de M. Papineau.

Le professeur masqué a dit…

Monsieur Proulx: j'aime bien votre esprit vif et parfois cinglant.

Puis-je alors faire référence à certains de mes collègues qui ont vécu des expériences semblables à la mienne?

Jean-Pierre Proulx a dit…

Merci pour votre commentaire appréciatif.

Oui, bien sûr, le témoignage de vos collègues serait un bon point de départ. Mais le plus utile serait d'avoir un portrait le plus complet possible au regard de la participation des enseignantes et enseignants à l'élaboration des programmes ministériels. Mais je n'ai pas les moyens de le faire moi-même. Pour l'heure, je souhaite que l'on sorte de l'ère du soupçon.

Le professeur masqué a dit…

Monsieur Proulx: le témoignage de certains de mes collègues est assez simple. Lorsqu'ils doivent valider des politiques sur des comités de la CS, ils sentent très bien que les dés sont pipés d'avance. On le leur fait souvent savoir, d'ailleurs.

Les conseillers pédagogiques nous expliquent ce que l'on doit faire, même si on s'évertue à leur indiquer la réalité de nos classes. Le tout se termine généralement par un grand sourire et on retourne dans nos classes pour y retrouver la réalité.