En effet, le rapport de l’équipe dirigée par le professeur-chercheur
à l'Université Laval, Simon Larose, montre qu’en français, au secondaire, malgré
l’ajout de 150 heures d’enseignement par le ministère de l’Éducation, du Loisir
et du Sport (MELS), ce qu’on a appelé la «réforme» n’a pas permis aux élèves
d’améliorer leurs compétences et leurs connaissances. De plus, toujours en
français, en orthographe, à l'examen d’écriture de cinquième
secondaire du ministère, ces derniers affichent désormais un taux de réussite
de 56% comparativement à 61,8% pour les enfants d'avant la réforme.
Ce que cette étude ne dit pas cependant, c’est que les
conditions de passation de cet examen ont été considérablement «allégées» au
fil du temps, donnant pourtant l’occasion aux élèves de faire moins de fautes,
ce qui n’a pas été le cas. Ce qu’elle ne dit pas aussi est que bien des écoles
ont ajouté - en vain - 50 heures de plus en français de cinquième secondaire
afin de combler les lacunes des années antérieures pour que plus d’élèves
réussissent cette épreuve.
On doit, à juste titre, s’interroger sur les raisons de
cet échec et ne pas balayer la poussière sous le tapis comme certains
intervenants semblent pressés de vouloir le faire. Des conceptions de
l’apprentissage ne s’appliquant pas à tous les élèves, des mesures imposées aux
enseignants laissés sans véritable formation, matériel et encadrement ;
toutes ces choses ont déjà été mentionnées.
Par contre, on aurait tort en français d’attribuer cet
échec fort prévisible de la maitrise de la grammaire par les élèves uniquement
à la réforme. Divers autres facteurs doivent être pris en compte et corrigés si
on veut que nos enfants maitrisent mieux cette langue.
Revoir la
progression des apprentissages
Tout d’abord, attardons-nous à ce que l’on appelle la Progression des apprentissages. Quelques
années après le début de la réforme, le MELS accouchait finalement, à la suite
des demandes répétées des enseignants, d’un document indiquant à quel moment
les apprentissages des élèves devaient être vus et maitrisés durant leur
parcours scolaire. Celui-ci était fondé sur différentes études et
s’intéressaient beaucoup à la maturité linguistique des jeunes, c’est-à-dire au
moment optimal où un jeune pouvait mieux maitriser certains concepts relatifs à
la langue.
Malheureusement, aujourd’hui, sur le terrain, différents
constats s’imposent. Le principal est à l’effet que beaucoup de notions sont
abordées ou évaluées trop tard dans le cheminement d’un élève. À la blague, des
collègues ont compris qu’en première secondaire, on ne corrige pas grand-chose
dans un texte d’un élève alors qu’en cinquième, on se retrouve avec des classes
composées de jeunes habitués à réussir sans faire d’efforts et à qui on doit
enseigner une foule de notions qu’ils devront maitriser dans un temps trop
court.
Ainsi, est-il normal, par exemple, que la maitrise des
participes passés avec avoir ne soit sanctionnée qu’à la fin de la deuxième
secondaire? Faut-il répartir autrement les notions de grammaire dans le
parcours d’un jeune ? Je crois que oui, quitte à le brusquer un peu. On y
parvenait autrefois et, manifestement, ce qu’on impose aujourd’hui aux
enseignants – parce que certains d’entre eux se sont fait rappeler à l’ordre
parce qu’ils étaient trop exigeants - ne fonctionne pas.
Revoir les grilles
d’évaluation
Un autre élément expliquant la faible maitrise du
français chez les jeunes élèves québécois, ce sont ces grilles de correction.
Il faut en avoir une sous les yeux pour bien comprendre pourquoi certains
élèves peuvent écrire un texte truffé d’erreurs et, malgré tout, s’en tirer
haut la main.
Une telle situation est tout d’abord possible parce que
la portion accordée à la maitrise de la grammaire ne représente généralement
que 20% de la note d’un texte. Ensuite, parce qu’une erreur n’entraine pas
automatiquement la perte d’un point. Par exemple, un élève effectuant 28
erreurs dans un texte de 276 mots (soit une erreur aux dix mots) aura malgré
tout 10 sur 20 en grammaire. Enfin, il ne faut pas oublier qu’on ne doit
pénaliser un élève qu’en tenant compte de la Progression des apprentissages et, au premier cycle du secondaire,
on ne peut pas dire que la barre soit très haute. Les jeunes élèves connaissant
très bien ce fait, faut-il s’étonner qu’ils maitrisent si mal leur grammaire
puisqu’au fond, ils ont compris qu’elle ne compte tout simplement pas.
Revoir la place
véritable de la grammaire dans la note de français
Tout en poursuivant cette réflexion sur les grilles de
correction, il faudrait aussi s’interroger sur la véritable place de la
grammaire dans une note de français. En première secondaire, celle-ci ne compte
au fond au maximum que pour 20% du volet écriture qui, lui, ne vaut que 40% de
la note au bulletin. Donc, au final, la grammaire ne vaut qu’un faible 8%. Le
volet oral en vaut plus du double, c’est tout dire!
Pis encore, il faut également réaliser que cette partie
grammaire dans une production écrite a peu de liens avec l’ensemble des notions
grammaticales enseignées à l’école. Dans un texte, un élève peut très bien
réussir en s’en tenant à une écriture rudimentaire ne faisant pas appel à des
règles plus complexes. Inutile pour lui alors de connaître certaines règles
moins fréquentes de la langue française puisqu’il s’assurera de ne pas les
employer dans son texte. À cela, ajoutons, même si on l’oublie trop souvent,
qu’un élève a droit à une grammaire et à un dictionnaire lors de toute
production écrite ! Dans la
réalité, en écriture, un élève «compétent» n’a pas besoin d’être très
«connaissant».
La «nouvelle»
grammaire
Un autre élément qui a changé en même temps que la
réforme, c’est la façon d’enseigner la grammaire et la terminologie qui y est rattachée.
Or, qu’en est-il de la maitrise de ces concepts par nos jeunes ?
Manifestement, ce changement n’a rien amélioré. En première secondaire, dans
mes classes d’un programme international, certains élèves confondent tout et
peinent à distinguer un nom d’un verbe. Ils accordent les mots au hasard, sans
tenir compte de leur groupe d’appartenance. «Vraiment» se termine ainsi parfois
avec un «s» quand il est au pluriel…
Progression des apprentissages. Évaluation. Nouvelle
grammaire. Beaucoup de changements en enseignement du français et pourtant les
choses sont loin de s’être améliorées. Pour un enseignant ayant plus de 20 ans
d’expérience, j’ai même l’impression qu’elles se dégradent. Quand le ministre de l’Éducation, Yves
Bolduc, affirme «« Plus ça va aller, mieux ça va aller», je crois
malheureusement qu’il n’écoute pas les enseignants d’expérience qui posent
un solide diagnostic sur la santé de l’école québécoise. Il est comme ce
médecin qui nie l’état de son patient et s’entête à poursuivre un traitement qui
ne fonctionne pas. Notre école est toujours malade, docteur. La pensée magique
et l’effet placebo ne suffiront pas.
7 commentaires:
(Énorme soupir...)
Merci pour le diagnostic succinct, que je corrobore entièrement pour la partie où nos enseignements se superposent. A l'écrit, je constate que mes étudiants en Mise à niveau non seulement ne maîtrisent pas les fonctions de mot (ne peuvent discriminer un verbe d'un adjectif, un adjectif d'un adverbe, etc.) mais ne maîtrisent pas du tout le vocabulaire de la nouvelle grammaire, si bien que je dois me promener constamment entre l'ancienne et la nouvelle.
La grande question : Comment en sommes-nous rendus à attendre la deuxième année du secondaire pour enseigner une notion aussi élémentaire et aussi simple, malgré ce qu'on en dit, que les participes passés ?
Je pense de plus en plus qu'on prend les jeunes pour des imbéciles. Serait-ce que nos pédagogounes chéris font de la projection ?
Merci. Ecrivez plus souvent, svp!
M. Baillargeon: Merci!
J'aimerais, mais...
1- le monde de l'éducation répète toujours les mêmes erreurs et je déteste radoter.
2- plus je pense à l'éducation, plus je suis découragé.
Prof qui fesse: en tout cas, on ne réalise pas les effets de cette progression sur le terrain.
«1- le monde de l'éducation répète toujours les mêmes erreurs et je déteste radoter.
2- plus je pense à l'éducation, plus je suis découragé.»
Même constat ici, mêmes raisons pour négliger de bloguer. C'est toujours l'éternel retour du même, alors à quoi bon répéter.
J'y reviens une fois de plus.
Organisons-nous collectivement pour que ce soient les enseignants eux-mêmes à travers un organisme représentatif dont ils seront co-responsables (je reste vague sur son appellation et son statut juridique) qui prépareront les programmes, conviendront de la progression des apprentissages, proposeront et non imposeront les méthodes pédagogiques les plus efficaces et reconnues. Bref, "déministèrialisons" ces chantiers quitte, en bout de course, à ce que le ministre les sanctionnent juridiquement.
Ce blogue lu par les enseignants engagés, pourrait, je le souhaite, être le "vecteur" de ce changement.
Jean-Pierre Proulx
de plus en plus retraité!
Bon texte! Moi aussi, je trouve que je radote sur mon blogue...
Ici, je reprends les rênes au premier cycle d'un programme monté par le précédant prof. L'enseignement de la grammaire y prend beaucoup de place et personne ne vient s'en mêler sinon que pour se réjouir de la force de ce programme. En plus de l'évaluation des productions, je fais 50% de ma note d'écriture avec des contrôles réguliers (chaque mois)de notions de grammaire, de vocabulaire et de conjugaison.
Je fais beaucoup écrire et corrige beaucoup de phrases de mes jeunes et les fais corriger. Le traitement a son effet, même s'ils arrivent du primaire avec une base souvent très faible, ce qui serait à questionner.
De nos jours, je trouve qu'on vient beaucoup se mêler de nos méthodes, notre travail est trop politique.
Le cours de français au secondaire devrait s'occuper prioritairement de l'enseignement de la grammaire avec une visée de maitrise. A mon sens, c'est au moins 60% de la note qu'on devrait y consacrer avec une bonne moitié de cette note consacrée aux connaissances des
notions, évaluées dans des contrôles fréquents. L'exercice aurait un impact sur la qualité des productions et, en plus, forgerait l'intellect à la rigueur, mettrait en marche la capacité dévalorisée de mémoriser des jeunes qui est devenue un banal handicap de toutes ces générations sacrifiées, pas seulement en français.
Je crois que le reste des profs de français du Québec seraient sidérés de voir la quantité de travail que je peux demander à ces jeunes. Je le peux parce que j'ai un mandat du milieu et, honnêtement, parce que mes classes sont petites. L'apprentissage de la langue requiert cette intensité et pour ce faire adéquatement, les charges des enseignants en correction (taille des groupes), devraient être soulagées. Pour faire corriger, il faut pouvoir être près du jeune. Ce n'est pas en faisant faire 3-4 productions par année qu'on y arrive...
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