08 septembre 2015

Pour en finir avec le dopage des enfants: un ouvrage qui passe mal (ajout)

La Presse+ publiait récemment un texte relié à l'ouvrage  Pour en finir avec le dopage des enfants de Jean-Claude St-Onge. Comme je ne compte pas lire celui-ci, il me sera difficile de le critiquer dans son entièreté. Par contre, j'ai relevé deux propos qui me font douter de la validité de cette analyse mais aussi du travail du journaliste Alexandre Vigneault qui a peu, pas ou mal vérifié les faits avancés par l'auteur.

Le premier propos : «Les écoles reçoivent deux trois fois plus de financement pour les enfants TDAH ou autistes que pour les enfants normaux. Alors, dans un contexte où on coupe, il est très tentant pour les directions d'école d'obtenir des diagnostics pour ces enfants-là et recevoir un plus grand financement.» En aucun temps, les écoles publiques québécoises ne reçoivent quelque financement supplémentaire que ce soit pour des enfants atteints d'un TDAH. De suggérer que des directions font de la course au financement sur le dos de certains enfants «fragiles» est purement indécent. Il serait bon de voir où cet auteur a trouvé de telles informations.

Soulignons également que ce genre d'affirmation est fort dommageable pour l'école publique puisqu'elle implique tout d'abord qu'on y favorise la médication à outrance alors que, contrairement au portrait dépeint par Jean-Claude St-Onge, bien d'autres façons sont mises de l'avant afin de travailler efficacement avec un jeune ayant un TDAH: «L'école veut que ça marche rondement. Quand quelque chose accroche, ça ne marche pas. Quand un enfant est turbulent ou cause des problème, qu'il perturbe les classes, ils vont parfois - très souvent, même - essayer de convaincre les parents que leur enfant a un TDAH et qu'il faut l'emmener chez le médecin pour qu'un diagnostic soit posé.» Cela revient à nier tous les efforts d'adaptation mis de l'avant pour ces élèves particuliers: balle de stress, coussin avec bulles, ballon-chaise, vélo-chaise, pâte de sel, période de motricité entre les tâches, segmentation des tâches, jumelage avec un pair, local particulier pour passer une épreuve, durée des examens plus longue, etc.

En fait, la seule raison que j'ai connue pour qu'une direction insiste pour qu'un enfant soit évalué est pour qu'il ait droit, si le diagnostic de TDAH était fondé, à des mesures d'appui afin de l'aider car il ne faut pas oublier que notre bon système scolaire semble parfois avoir pour maxime: «Hors de tout diagnostic médical, point d'appui!» Et encore: parfois, les mesures ne suivent pas autant qu'on le souhaiterait, faute de budget.

Un autre impact de ce genre de propos erroné est que certains parents en viennent à exiger que leur enfant reçoive des services en lien avec le «pseudo» financement qu'il est supposé générer et accusent parfois les directions d'école de se servir de ces «sommes» à d'autres fins. Dans les faits, on l'a vu, ce financement supplémentaire n'existe pas et l'école doit travailler avec les ressources qu'on lui octroie, ressources qui varient généralement selon le milieu socio-économique des élèves et qui n'a surtout rien à voir avec des diagnostics de TDAH.

Deuxième propos douteux: les diagnostics concernant les enfants ayant un TDAH sont généralement bâclés. L'auteur affirme: «Très souvent, c'est fait sur le coin du bureau, lors d'une rencontre de 15 minutes avec le médecin ou le pédiatre.» Pour avoir complété à plusieurs reprises des questionnaires d'évaluation et discuté avec des parents en quête d'un diagnostic pour leur enfant, je me demande sur quelles études ou informations sérieuses il s'est une fois de plus basé pour avancer cette idée puisqu'elle me semble très loin de la réalité que je connais depuis plus de 20 ans et dont m'ont également fait part des dizaines de personnes. Si je suis d'accord avec l'idée que les diagnostics quant à d'éventuelles difficultés d'apprentissages chez les enfants devraient être mieux encadrés, j'ai peine à croire que les professionnels de la santé soient tous aussi peu soucieux des jeunes qu'ils reçoivent en consultation.

Dans ma carrière, comme enseignant, j'ai rarement suggéré qu'un enfant soit évalué quant à des difficultés d'apprentissage et, dans un cas précis, après une longue période de déni des parents, le verdict médical a été bien plus grave encore que ce que je suspectais. Au secondaire, règle générale, les enfants atteints d'un TDAH sont déjà diagnostiqués et je n'ai vu qu'un seul cas où une évaluation médicale me semblait - à mon humble avis - erronée. Par contre, combien de fois ai-je vu des jeunes oublier leur médication et être complètement incapable d'effectuer une tâche simple ou purement hors contrôle!

S'il est sain de questionner la médication qu'on administre à nos enfants, il vaudrait mieux le faire en s'intéressant à un nombre important de variables probantes concernant ceux-ci (pauvreté, situation familiale, anxiété, mode de vie, antécédents médicaux, etc.) et ne pas s'en tenir qu'aux comparaisons entre provinces ou pays comme le fait l'actuel ministre de la Santé (ici et ici). Mais surtout, il faut éviter de se baser sur certaines informations fausses ou douteuses comme c'est le cas ici. Sous des apparences très rigoureuses, certains ouvrages se livrent parfois à des analyses fort paresseuses pour reprendre les mots du Dr Jean-François Chicoine dans le cadre de cette excellente entrevue à ce sujet.

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Tiens, un petit erratum minuscule... :



6 commentaires:

Prof Solitaire a dit…

Très intéressant et pertinent, comme toujours... merci!

Anonyme a dit…

Bonjour prof masqué,
Vous ne pouvez pas non plus nier que des parents ont été victimes d'intimidations pour médicamenter leurs enfants. Je vous invite à consulter Facebook Pédagogie ritalin. J'ai aussi le témoignage d'autres parents qui ont subi ces intimidations : médication pour un enfant dyslexique ou dyspraxique. Ca, vous ne pouvez pas le nier. Je suis certaine que vous n'êtes pas de ces professeurs qui donnent des diagnostics sur un coin de table et certainement beaucoup de vos collègues sont comme cela. Maintenant, vous avez des collègues qui se permettent d'outrepasser leurs droits et conseiller la médication. Je suis l'auteure du blog Histoire de Grégoire et je peux vous dire que nous aussi nous avons été les victimes de vos collègues. Soit j'acceptais le diagnostic d'autisme, soit mon fils n'était plus accepté à l'école. Le seul problème (et heureusement), c'est qu'il n'est pas autiste. Ca s'est passé en 4 jours à la rentrée, mon fils venait d'entrer en maternelle. La conséquence a été qu'en plus de dépenser des dizaines de milliers de dollars, la prise en charge correcte de la vision a été retardée de deux ans. Les enfants n'ont aucun problème de vision dans les écoles... l'amblyopie personne ne connaît... Un enfant qui doit changer de lunettes en fonction des exercices, non plus, grossir les supports non plus... Ca c'est la situation actuelle. Ah oui! Le trouble du comportement, c'est tellement facile! Mais ça vient d'où? L'environnement peut-être ou tout simplement un problème médical non détecté. Pour nous en plus, il voyait soit-disant un excellent ophtalmo à Montréal, sauf que quand un ophtalmo voit un enfant 5 minutes tous les 6 mois, alors c'est évident qu'il ne détecte rien. Sans médecin de famille, c'est encore pire... Le manque de médecin de famille est sûrement la cause, voire la racine du problème. Malheureusement, vous autres, enseignants, vous ne pouvez rien faire ou du moins, vous devez faire avec... J'ai mis du temps à le comprendre. découverte... Mon fils a été victime de l'incompétence. Nous avons rencontré des personnes extraordinaires, malheureusement, pas dans le cadre de l'école. Je ne blâme pas les professeurs, ils ne peuvent pas soigner les enfants, mais de grâce, incitez les parents à faire un examen de la vision ou de l'ouïe (ou médical) avant de les inciter à pointer sur une liste d'attente... Je pense aujourd'hui au petit garçon ou à la petite fille qui a pu obtenir des services utiles parce que nous n'avons pas cédé au chantage. Mon fils aurait pris la place d'un autre enfant et grâce à nous, cela n'a pas été le cas. Les droits de mon fils ont été bafoués...

Le professeur masqué a dit…

Puis-je souligner que vous dites le mot «enseignants» souvent, mais jamais «direction»? Or, elle a un rôle crucial à jouer dans certains cas.

Anonyme a dit…

La direction outrepasse ses droits, c'est cela que vous voulez dire? J'ai toujours deviné que les enseignants devaient se soumettre aux ordres de la direction. Vous avez raison, nous avons été menacés par la directrice. Récemment, il y a eu un article http://www.enbeauce.com/actualites/societe/279612/cet-enfant-tdah-qui-nen-etait-pas-un. Regardez les commentaires et vous verrez si des parents ne sont pas victimes de pressions. Je ne peux pas vous dire si c'est la direction qui fait pression, pourquoi et comment, qui prend les initiatives... Il s'ensuit des pressions sur les parents.
Pour nous, cela reste un cauchemar.
Sinon, continuez votre blog, il y a des articles intéressants!

Anonyme a dit…

Bonjour prof masqué,
Je vois que mon commentaire n'a pas été publié. Je cherchais seulement à comprendre pourquoi devrais-je mentionner la direction plus que les enseignants? J'avoue ne pas avoir vraiment compris. Quel rôle la direction joue-t-elle? A vous de me le dire? Avez-vous des pressions? Si vous ne souhaitez pas répondre, alors je ne vois pas l'intérêt d'avoir amorcé la discussion.
Cordialement

Le professeur masqué a dit…

Il arrive qu'une direction appuie les enseignants dans certains choix. D'autres fois, elle a ses propres idées sur la situation.

Mais l'enseignant n'est pas le seul à agir dans certains cas.