Dans une lettre aux lecteurs, Yanick Labrie, senior fellow de l'Institut Fraser, tente
d’expliquer que le «Bulletin des écoles secondaires» produit par cet
organisme est une mesure fiable basée sur des données objectives et favorise
une saine concurrence en éducation. Or, rien n’est plus faux.
À cet égard, il est particulier que M. Labrie réponde dans cette lettre
aux affirmations du président de la Fédération
du personnel de l'enseignement privé, Stéphane Lapointe, qui conteste la
validité de ce palmarès, quand on sait que l’école privée en sort généralement
grande gagnante.
Un calcul bien discutable
Ce palmarès des écoles secondaires québécoises
n’est basé que sur un seul type de données : les résultats des élèves aux
examens ministériels de quatrième et cinquième secondaire. Il faut savoir cependant
qu’un seul de tous ces examens est corrigé de façon véritablement indépendante :
celui d’écriture de cinquième secondaire.
Les copies des élèves sont ainsi acheminées à deux équipes de
correcteurs (une à Québec, une à Montréal) spécialement formées à cet effet. La
correction de tous les autres examens revient aux enseignants eux-mêmes. Et
elle est parfois plutôt discutable quand elle n’est carrément pas victime de
dérives douteuses.
Pour Michel Laforgue, un enseignant d’expérience
ayant procédé pendant six ans à la révision des examens en sciences du MEES dans
le cas de contestations de notes, dans la
partie à développement de l’épreuve, «l'objectivité
du correcteur est totalement aléatoire».
Dans le même ordre d’idée, j’ai déjà
participé à des comités de correction collective (comités où des enseignants de
différentes écoles révisaient ensemble les copies de leurs élèves) et j’ai
parfois entendu des collègues affirmer qu’ils ne tiendraient pas compte des
guides de correction du MEES tant certaines réponses suggérées leur semblaient
mauvaises. Et tant pis pour les élèves des enseignants «fidèles» au corrigé du ministère
qui étaient par conséquent pénalisés!
On retrouve aussi des cas comme le chanteur
Alexandre Poulin qui, alors enseignant, avait falsifié – pour des raisons
morales - la note d’un élève. Ou encore, cet établissement privé où le
directeur «modifiait» les notes à la hausse afin que le collège qu’il dirigeait
reste en tête des palmarès. À l’époque, Alain
Dugré, directeur du collège Regina Assumpta, n’hésitait pas à affirmer que
bien des écoles étaient conscientes de l’importance du palmarès comme outil de
promotion. «C’est sûr que la tentation
existe. Et il y a des directions qui ont une conscience plus élastique que
d’autres.»
Ne parlons pas des conditions de préparation et
de passation de ces examens qui varient souvent d’un établissement à l’autre.
L’annulation encore nébuleuse de l’examen d’histoire de quatrième secondaire
l’année dernière est bien la preuve théorique qu’il est possible que certains
élèves peuvent, dans les faits, bénéficier d’un coup de pouce fort bienvenu de
la part de leurs enseignants.
Pis encore, en français, tant en lecture qu’en
écriture, le fait que l’élève ait souvent un cahier de textes à préparer à la
maison avant l’examen proprement dit est devenu une véritable plaie :
mesure-t-on les compétences du jeune ou de celles de son entourage à l’aider?
De plus en plus, cette forme d’évaluation est remise en question parce qu’elle
favorise celui provenant d’un milieu déjà privilégié.
Enfin, un dernier élément à considérer aussi
est que certaines écoles procèdent – encore aujourd’hui – à l’expulsion des
élèves faibles avant la tenue des examens ministériels. Il leur est alors
facile de présenter d’excellents résultats en agissant de la sorte.
Tous
ces facteurs sont encore plus importants quand une école accueille un petit
nombre d’élèves. Ainsi, dans un groupe de trente élèves de cinquième secondaire,
il suffit que deux élèves connaissent un coup de pouce «providentiel» pour que
le pourcentage de réussite grimpe de 7% dans une matière.
Comparer
des incomparables
Toujours dans sa
lettre, M. Labrie affirme que ce classement effectué par l’Institut Fraser utilise
«les seules données objectives colligées
de manière centralisée par le ministère de l'Éducation». Or, encore une
fois, on est dans la fausseté. Il en existe d’autres fort bien reconnues qui
pourraient venir pondérer ce «palmarès»:
- le statut socioéconomique des parents (les élèves ayant des parents favorisés réussissent généralement davantage;
- le pourcentage des élèves éprouvant des difficultés (ces élèves, quand ils sont identifiés – et ce n’est pas toujours le cas dans les milieux défavorisés - réussissent moins bien.
Pour ma part, il est à la
limite de l’honnêteté intellectuelle de produire un tel palmarès avec comme
seule variable la réussite des élèves aux examens ministériels. N’importe quel
parent peut aller consulter le taux de réussite des écoles de sa région
(disponible sur le site MEES) et en apprendre tout autant. Le fait que l’institut Fraser ne tente pas de
«pondérer» ces résultats en tenant compte des deux variables précédemment
nommées est navrant et très révélateur.
M. Labrie tente de justifier
ce choix en écrivant : «Même si des défis particuliers se posent dans certains
milieux, les écoles devraient être en mesure d'assurer le succès de tous les
élèves, pas seulement celui des enfants issus de familles bien nanties.» Or, n’aurait-il pas été plus honnête de regrouper les écoles
présentant des caractéristiques similaires au sein de diverses catégories? Il y a quelque chose de manifestement
odieux de comparer dans un même palmarès fondé sur la réussite un établissement
scolaire comme l’école secondaire Marie-Anne à Montréal avec un score de 3,7
sur 10 , qui est une école de la dernière chance pour des raccrocheurs
et des élèves en trouble d'apprentissage et de comportement âgés entre 16 et 22
ans, et le collège Jean-de-Brébeuf avec un score
de 9,7 sur 10 qui accueille une clientèle fort différente.
Et si M. Labrie estime – à juste titre - que
les écoles devraient assurer le succès de tous les élèves qui leur sont
confiés, pas seulement ceux des «familles bien nanties», qu’attend l’institut
Fraser pour encourager l’ajout de ressources plus importantes dans les écoles
où l’on retrouve davantage d’élèves en difficulté ou issus de familles
défavorisées?
Une saine concurrence?
Dans les faits, pour assurer la réussite des
élèves québécois, l’institut Fraser s’en remet au sacro-saint principe de la
concurrence tout en oubliant de mentionner que les écoles qui réussissent le
plus dans ce palmarès sont généralement celles qui effectuent une sélection à
l’entrée ou qui exigent des frais de scolarité importants, ce qui revient
généralement à sélectionner des enfants issus d’un milieu socioéconomique
favorisé.
M. Labrie explique que la concurrence est saine
en rapportant les propos d’enseignants qui estiment que « la compétition sportive et la participation à divers concours sont
bénéfiques pour les élèves, en leur montrant la valeur de l'effort et de la
pratique et en les aidant à offrir le meilleur d'eux-mêmes.»
En ce qui concerne les compétitions
sportives, j’invite le senior fellow de l'Institut
Fraser et ces enseignants à aller voir ce qui se fait de plus en plus du
côté sportif chez les jeunes. Ainsi, la Fédération finlandaise de hockey, un
leader mondial dans le développement des hockeyeurs, a complètement éliminé les
classements et les statistiques chez ses jeunes joueurs pour se concentrer sur
les réels apprentissages. Au soccer, tant au
Québec qu’à travers le monde, de nombreux joueurs de soccer de moins de
12 ans évoluent sans classement.
Cette analogie
avec le monde sportif montre bien que le regard que l’Institut Fraser jette
sur le monde scolaire québécois est fondamentalement biaisé quand on ne tient
pas compte du fait que certains «joueurs» sont parfois si différents. Mais
faut-il en être surpris quand on sait que cet organisme se fait généralement le
défenseur d’une école dite «privée» et pourtant subventionnée à 75% par l’État
québécois selon un comité présidé par
Pauline Champoux-Lesage, qui a été sous-ministre à l'Éducation et protectrice
du citoyen?
4 commentaires:
Magnifique billet. Un de tes meilleurs, bravo! Une référence!
Super billet!
Effectivement, pour avoir travaillé dans de petits milieux qui s'apparentent aux conditions que doit avoir une école privée, je peux très bien comprendre qu'on puisse tripoter les notes à la hausse. Habituellement, une personne est désignée pour s'occuper de la sanction des études. Cette personne peut entrer directement les résultats dans le système du MÉES. Qui ira surveiller les erreurs de transcriptions ou les tripotages?
Par ailleurs, je ne sais pas ce qui se passe ailleurs. Mais, là où je suis, certaines conditions budgétaires et une politique assez permissive en ce qui a trait aux facilitateurs permis pour les élèves en risque d'échecs (qui n'exige même plus de diagnostic fait par un professionnel compétent) font que de plus en plus de jeunes en difficulté ont des portables avec Word, Word Q et même le correcteur Antidote pour faire l'examen de français (épreuve unique). Il suffit de leur avoir mis cette mesure dans un plan d'intervention au moins un an à l'avance et de les inscrire au MEES.
Pour ces jeunes, la connaissance de l'orthographe d'usage et d'accord n'est pas vraiment évaluée. Ensuite, Antidote souligne toutes les ruptures syntaxiques de leur texte, ce qui leur permet de localiser des virgules oubliées, des erreurs d'homophonie et de trouver, par essais et erreurs, des phrases valides sur le plan syntaxique. Avec les filtres d'Antidote, on peut leur montrer à régler la cohérence des temps de verbe, leur faire voir les phrases trop longues et celles sans verbe. On peut les amener à s'assurer qu'il y a une jonction adéquate entre les phrases en utilisant un filtre qui souligne tous les verbes du texte.
En général, je n'ai aucune difficulté à faire augmenter la performance de la plupart de ces facilités. Un jeune avec une bonne dysorthographie, avec de telles mesures, peut facilement aller se chercher une note au-dessus de 75% avec un peu d'entrainement supervisé. En quelques textes, la note dans les 40% (sans facilitateur) devient une note dans les 75%. Seuls quelques cas, très hypothéqués à mon sens au plan des aptitudes, peinent malgré ces aides à obtenir la note de passage. Et même ceux-là ont passé leur cours de français.
(suite)
Voilà des années que je m'arrange pour avoir une copie des examens des jeunes que je préparais à l'épreuve pour pouvoir comparer ma correction à celle du MEES. Dans un petit milieu, ce n'est pas trop compliqué de les avoir. J'observe donc ce que mes jeunes ont produit. Franchement, il est évident que les critères 1 et 2 qui concernent l'adaptation à la tâche et la cohérence du texte sont corrigés dans l'esprit de cet examen jusqu'au moment où les difficultés de langue sont suffisamment importantes pour faire échouer l'élève. Dans ces cas, un autre standard s'applique très certainement ou les correcteurs deviennent carrément aveugles. Évidemment, l'appréciation de ces aspects des textes est plus subjective. J'ai vu des textes avec de gros contresens ou à peine intelligible obtenir une note qui a permis à certains de réussir leur cours de français et ce n'est pas parce que je donne des notes fortes durant l'année. Je suis réputé avoir une correction assez sévère des copies, ce qui m'attire tous les ans bien des problèmes avec des parents qui ne comprennent pas pourquoi leurs jeunes sont souvent en échecs dans mes cours.
Dans les milieux privés, où on a les moyens, on ne doit pas se priver de telles mesures facilitantes.
Avec le temps, j'en suis venu à penser que l'élève défavorisé à l'examen, de nos jours, est celui qui a beaucoup de mal à gérer les critères de langue et qui n'a pas eu un entourage bien informé, ou avec les moyens, pour lui mettre un portable dans les mains avant la fin de sa 4e année du secondaire.
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