11 novembre 2016

Une forme d'examen périmée et inéquitable

Dire que le ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur (MEES) éprouve beaucoup de difficultés à s'adapter aux technologies de l'information et des communications (TIC) est un euphémisme.

La saga de l'examen ministériel d'histoire de quatrième secondaire en juin 2016 en est une preuve éclatante. On ne sait toujours pas ce qui s'est réellement passé. Y a-t-il vraiment eu une fuite, un bris de confidentialité sur Internet? Des élèves auraient-ils fortuitement profité des conseils prémonitoires d'un enseignant avisé? Mais le MEES, convaincu que certains jeunes étaient indûment avantagés par rapport à d'autres, avait décidé d'annuler une partie de l'épreuve. Ce geste avait eu des allures hautement improvisées, on s'en rappellera.

On se demande maintenant ce qui constituera la prochaine étape dans ce type d'action. En effet, pour qui connait quelque peu le monde l'éducation, il est clair que, chaque année, deux autres épreuves font aussi l'objet de bien des échanges entre les élèves dans le cadre de groupes Facebook ou de forums de discussion sur Internet: il s'agit de celles de lecture et d'écriture de cinquième secondaire. En lecture, le MEES ne fournit plus d'épreuve annuelle unique depuis des lustres. Aussi, parfois, au lieu d'en concevoir elles-mêmes, les écoles et les commissions scolaires réutilisent ad nuseam d'anciens examens ministériels parfois connus des élèves et sur lesquels on peut quelquefois trouver des informations intéressantes sur Internet. En écriture, par contre, l'examen, fourni chaque année par le MEES, est nouveau et obligatoire.

Dans les deux cas, les élèves reçoivent quelques jours avant la tenue de l'examen un cahier de textes qu'ils doivent lire et annoter pour affronter l'épreuve. En écriture, ce cahier, il leur est permis de l'apporter à la maison sans aucun problème. Pas besoin d'être Sherlock Holmes pour deviner que nos finissants peuvent de la sorte demander l'aide d'un parent, d'un ami... et même se tourner vers la Toile! Que mesure-t-on alors véritablement: la capacité d'un élève à préparer sérieusement un examen ou sa capacité à avoir un solide réseau pour l'aider?

À titre d'enseignant de cinquième secondaire, j'ai toujours évité d'aider indûment mes élèves comme le prescrivent les directives du MEES. Même avec des jeunes qui n'étaient pas de mes classes - les enfants de mes amis, par exemple, je me suis bien gardé de trop leur en donner, à leurs grands regrets. Mais voilà: Internet est là et ils peuvent allègrement aller chercher, pour le meilleur et pour le pire, conseils et suggestions sur la Toile. Et qu'on ne se trompe pas: c'est également le cas lors de différents examens de français des autres niveaux du secondaire dont la forme est calquée sur ceux de la cinquième et qui sont parfois utilisés à plus d'une reprise au cours des années, les rendant ainsi encore plus connus et périmés.

Devant tous ces faits, on peut donc légitimement se demander: le MEES va-t-il annuler encore un examen où des élèves seraient trop avantagés ou enfin revoir complètement ceux-ci? C'est sous la gouverne de Jean Garon que cette forme d'examens a vu le jour... il y a plus de vingt ans. La réaction du ministre avait alors été truculente. En mai 1995, ayant appris que les élèves de troisième secondaire avaient reçu un cahier de préparation en écriture quelques jours avant la date prévue de l’épreuve officielle, il était entré dans une sainte colère: «Assez, c’est assez ! Je vais faire le ménage dans ces  mautadites  affaires-là! Je ne peux quand même pas passer mon temps à tchéquer mes 800 fonctionnaires  Mais son opinion importa peu puisqu'on confia quelques mois plus tard le ministère de l'Éducation à une certaine Pauline Marois.

Cette semaine, sur le Système électronique d'appel d'offres du gouvernement du Québec (SEAO), on retrouve un avis d'intérêt pour des services consistant «à assurer, en temps réel, une veille des médias sociaux au moment de la passation des épreuves ministérielles afin de signaler si des informations sur le contenu de ces épreuves sont échangées.» Il est très révélateur que le MEES ne commence à se réveiller que maintenant quant à tout ce phénomène. Ce réveil tardif traduit bien la lenteur et la déconnexion de la réalité des décideurs au ministère. Depuis des années, les enseignants sur le terrain savent bien que ces épreuves - sous leur forme actuelle - sont dépassées et inéquitables.


7 commentaires:

paola a dit…

Très intéressant, prof masqué. Comme toujours.
Paola :)
Ps j'ai failli ajouter des Xxx :p

Jonathan Livingston a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Jonathan Livingston a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Jonathan Livingston a dit…

Aujourd'hui, c'est le règne de la feuille de notes à préparer avant l'examen. Je vais en faire beugler, mais, dans mon temps (!), on apprenait nos formules et on s'en servait pour résoudre les problèmes dans nos évaluations de sciences et de maths. On se mesurait à un texte, lu le jour même de l'examen et auquel on répondait directement sans avoir une semaine pour les comprendre. La compréhension d'un texte se mesure si on se donne la peine de produire des examens en ce sens. Quand comprendre un texte est devenu une capacité à y réagir et à porter sur lui un jugement critique ou à observer quelques phénomènes d'intertextualité évidents, on entre dans un flou artistique qui détourne l'instrument de mesure. La plupart des jeunes peinent à mettre en relation des informations contenues dans un même paragraphe. Les phrases complexes leur font faire des interprétations tout à fait délirantes. De nos jours, c'est un combat épique de leur faire ouvrir un dictionnaire et une expérience impensable ou surréaliste de leur faire ouvrir une grammaire. Car, il est bien là le problème en lecture, on ne sait pas comment fonctionne la langue.

On se fout que les jeunes aient quelque chose dans la tête. On les met constamment dans des processus où ils doivent apprendre à suivre des instructions temporaires qu'on peut oublier la semaine suivante. Il n'y avait pas de meilleurs moyens de détruire l'idéal libéral en éducation au sens que lui donne Baillargeon (celui qui libère). Toute la structure de la progression des apprentissages est viciée par ce choix fort discutable. Je pense simplement, par exemple, à cette façon d'enseigner par temps de verbe la conjugaison et l'abandon de l'apprentissage des tableaux de conjugaison. Je m’époumone à faire comprendre ce qu'est un participe passé ou un auxiliaire. La plupart de mes jeunes au premier cycle ne reconnaissent même pas certains verbes banaux dans un temps aussi étrange, et franchement dépassé, le passé simple. Oublions le passé antérieur. Ils ne connaissent pas les terminaisons, ne savent même pas ce qu'est un infinitif, un participe présent ou un verbe à l'impératif. Ils n'ont aucune espèce d'idées des régularités dans les verbes. Quand je les leur montre, ils restent bloqués par des années d'une méthode niaiseuse où ils connaissaient un succès factice et dont ils ont oublié d'ailleurs l'essentiel. Ils n'écoutent d'abord même pas. Le défi auquel je les confronte est un montagne infranchissable. Pour eux, je suis ce prof complètement malade qui doit avoir un problème sérieux... Je ne blague même pas.

Saviez-vous que les jeunes n'apprennent plus des listes de pronoms ou de déterminants au primaire? Dépassés, les un-une-des-du, les mon-ton-son-notre-votre-leur, les je-me-moi-tu-te-toi, les à-dans-par-pour-en-vers-avec-sans-sous-sur. Comment voulez-vous faire distinguer certains homophones sans ce quelque chose dans la tête, sans cette connaissance qui permet la reconnaissance. Non, on pense qu'en leur apprenant mille stratégies et trucs fonctionnels et manipulations, ils vont y arriver. Ils n'y arrivent souvent pas et quand ils y arrivent, ils sont rares à comprendre et à pouvoir expliquer vraiment comment fonctionne la langue.

Jonathan Livingston a dit…

(suite)
Bref, on n'enseigne plus vraiment les bases de la grammaire, comme on ne s'assure plus vraiment que les jeunes connaissent leurs tables, on leur laisse le choix d'écrire toute leur vie en écriture scripte avec une lenteur consternante un mauvais français et on leur fait vivre des succès factices à grand renfort d'instructions temporaires et d'indulgences. On les gave d'outils technologiques qui leur épargnent d'avoir une tête bien faites et aussi les peines de l'apprentissage. On les conditionne à une paresse intellectuelle qu'ils affichent sans honte. Ils la revendiquent même. Et on demande aux enseignants de se justifier quand ils tentent un tant soit peu de leur faire apprendre quelque chose de vraiment utile pour construire un bagage de connaissance réel. Et, en plus, on donne un pouvoir aux parents d'entériner ou non les choix des professionnels de l'enseignement. Je les attends bientôt pour les voir me faire la liste de leurs doléances et me jeter au visage leurs jugements de valeur fondés sur l'appréciation déformée de leur charmante progéniture que j'ai le front de ne pas traiter comme de véritables génies. C'est déjà commencé depuis un mois. Dur moment de l'année, le temps que tous s'habituent au fait que je n'ai pas trop de complaisance pour la bêtise et la fainéantise. De nos jours, saviez-vous qu'un parent peut refuser un redoublement? Que des jeunes en échecs, année après année, sont ainsi menés dans un cul-de-sac dont la faute va au final incomber aux enseignants.

La connaissance de la grammaire est pourtant assez aisément mesurable. Quand on arrêtera de pelleter des nuages, on remettra au menu cette connaissance. Toute rébarbative qu'elle soit, son apprentissage n'en demeure pas moins une discipline qui forge l'intellect avec rigueur. Non, on se met la tête dans le sable et on produit toujours plus d'alphabètes fonctionnels à la merci des démagogues qui vont élire un Trump, cet apparent contresens historique qui n'est que le fruit d'une population maintenue dans l'ignorance depuis le plus jeune âge.
Il n'y a pas juste les évaluations à revoir. C'est toute l'école et sa tradition qu'on a sabordées dans les quarante dernières années qui sont à retrouver pour reprendre au point où on l'a abandonnée pour des mirages de génies qui n'en étaient pas.

Pendant ce temps, la boite éducative tourne...trois petits tours et puis s'en vont. Ainsi font...

Le professeur masqué a dit…

Ouf. La vie semble amère chez toi. Moi, je pratique le lâcher-prise au quotidien depuis un an. C'est ça ou la dépression.

Tu écris:

1- «Car, il est bien là le problème en lecture, on ne sait pas comment fonctionne la langue.» Mes élèves qui ne savent pas trouver un sujet dans une phrase sont souvent mes pires lecteurs. Je me demande bien pourquoi. Et imagine en écriture....

2- «Comment voulez-vous faire distinguer certains homophones sans ce quelque chose dans la tête, sans cette connaissance qui permet la reconnaissance. » Moi, je les torture encore. Les plus forts deviennent encore plus forts, les moyens s'améliorent et certains faibles s"écrasent complètement.



Jonathan Livingston a dit…

On est assez sur la même longueur d'onde. Voilà aussi ce que je fais aussi, apparemment, les torturer. Les miens vivent dans un village au bord de l'assimilation anglophone, ce qui explique une bonne partie des déconvenues dont je suis l'objet. Enfin, ici, paradoxalement, au pays du vent, il ne faut pas faire un vent de travers, car le téléphone chauffe le lendemain chez la directrice. Bon, je suis très certainement dans une dernière année dans un milieu que je ne vais pas davantage stresser en pure perte. Le temps de faire mes valises sera venus quand je conclurai cette année. Oui, je sais, nous ne sommes que le 12 novembre, l'année va être longue. Mais je me disais autour d'un repas arrosé que j'allais peut-être me payer la traite d'être un prof cool, juste pour vivre l'expérience. Bon, on s'entend, il y a cool et cool!