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Quand
Jean-François Roberge a écrit «Et si on réinventait l’école?», il était déjà prévisible
qu’il serait ministre de l’Éducation, un poste qu’il espérait de toutes ses
forces. Il ne peut avoir l’excuse d’avoir été surpris de sa nomination par
François Legault ou de ne pas avoir pensé qu’un jour, ses écrits seraient lus
ou relus par différents analystes.
Je
me suis donc attelé à cet exercice de lire cet ouvrage qu’il a publié en
octobre 2016, ouvrage que mentionnent parfois certains chroniqueurs pour asseoir
la crédibilité de cet homme à la tête de l’éducation au Québec mais dont on
peut douter qu’ils l’aient vraiment lu.
Avant-propos
«Pourquoi
réinventer l’école?», se demande JF Roberge. Ses réponses sont simples :
-
Le
Québec peut faire mieux. Il faut avoir de l’ambition.
-
Le
Québec est une société vieillissante où chaque jeune est important.
-
L’éducation
est la meilleure solution contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
-
Il
faut un réseau scolaire performant pour relancer l’économie.
-
Une
situation alarmante en ce qui a trait aux faibles taux de littératie, de
diplomation scolaire et de rétention des jeunes enseignants
Le ministre conclut son avant-propos en
affirmant : «[…] comme l’a si bien dit Albert Einstein «La folie consiste
à refaire sans cesse la même chose, mais en espérant un résultat différent». 11
Seul petit problème si on se base sur un
article de Normand Baillargeon : le mot n’est pas d’Einstein mais de la
scénariste et romancière états-unienne Rita Mae Brown, dans Sudden Death
(1983).
Et ce
premier petit impair illustre bien le défaut général de cet ouvrage : il
s’agit d’un condensé de lieux communs, de clichés et d’anecdotes personnelles
sans toujours de cohérence et de références crédibles pour appuyer un propos
qu’auraient pu tenir bien des enseignant ayant le même nombre d’années
d’expérience du réseau scolaire québécois. Si M. Roberge soulève parfois les
dérives de notre système d’éducation, les solutions qu’il préconise demeurent
floues, évasives, naïves, approximatives tellement elles versent dans la
candeur. Pis encore, comme si ce livre éparpillé avait subi un travail
d’éditeur douteux, on se demande quels liens ont certains chapitres avec le
titre de celui-ci. Qu’ont à voir avec l’école québécoise, par exemple, les
propos du ministre sur la pertinence de nommer des jeunes à des conseils
d’administration de sociétés d’État?
Il m’a
fallu m’y prendre à deux reprises pour terminer la lecture de l’épitre de notre
actuel ministre. Deux reprises pour constater que je perdrais mon temps à en
analyser le contenu. Est demeuré un premier jet recensant quatre chapitres. J’ai
préféré m’arrêter là.
Chapitre 1 – Le pouvoir
d’inspirer
La réalité de la scolarisation de
M. Roberge semble très différente du Québécois ordinaire. Il décrit ainsi des enseignants
qui l’ont marqué, entre autres un prof qui restait après la classe et dont la
porte de son bureau individuel – une rareté dans une école publique - n’était
jamais fermée ou un autre qui invitait ses élèves à son chalet la fin de
semaine.
Il s’intéresse ensuite aux
qualités que devrait posséder un bon enseignant. Pour lui, il existe un trop
grand nombre de candidats qui choisissent cette profession pour de mauvaises
raisons, soit parce qu’ils ont été refusés dans d’autres programmes soit qu’ils
veulent profiter de deux mois de vacances l’été.
Mais sur quoi se base le ministre
pour appuyer une telle affirmation? Qu’est-ce qu’«un grand nombre»? Et ce
propos n’entre-t-il pas en contradiction avec tout l’intérêt qu’il accorde aux
pages 11 et 19 aux jeunes enseignants qui quittent après cinq ans, décrivant
ces départs comme une «véritable hémorragie»? S’ils sont là pour de mauvaises
raisons, ne n’est-il pas mieux qu’ils quittent la profession, non?
Chapitre 2 – Pour en
finir avec la médiocrité
Pour
Jean-François Roberge, le nivellement par le bas encourage la médiocrité.
Ainsi, pour éviter de décourager les élèves plus faibles, des enseignants ont
«pris l’habitude de remonter artificiellement les notes de toute la classe», ce
qui démotive également les élèves plus doués. 23 Certains parents, qui
reprochent aux enseignants d’être trop sévères et de donner trop de devoirs,
sont aussi complices de cette médiocrité.
Pour M. Roberge, les enseignants et les directeurs d’école ont le
«devoir de résistance». Il cite le professionnalisme d’une enseignante qu’il a
connue lors de son dernier stage universitaire et dont l’approche était fondée
sur une base scientifique. Sa rigueur exemplaire faisait que «Si un élève
méritait 59%, elle ne lui donnait pas 60%.» 23
Et
pour montrer à quel point le nivellement par le bas est remis en question, le
député de Chambly cite… Grégory Charles. Je n’ai rien contre cet artiste
émérite dont l’expérience de vie est fort éclairante (élève doué, il a arrêté
ses études après la cinquième secondaire), mais n’y aurait-il pas eu un expert
plus pertinent sur cette question?
Encore
une fois, nous sommes devant une analyse réductrice et incomplète. Le ministre
semble oublier que ce sont souvent – pour ne pas dire presque toujours - des
enseignants qui luttent contre le nivellement par le bas devant les demandes
des directions d’école, des commissions scolaires et du ministère qui veulent
de plus beaux pourcentages de réussite à inscrire dans leurs rapports
annuels.
Et
que dire de sa solution à ce problème : des examens ministériels uniques à
chaque cycle du primaire et à chaque année du secondaire en ce qui a trait aux
matières de base (anglais, français, mathématiques, sciences et histoire). Passons
sur le fait que le ministre – qui a été enseignant pendant 17 ans - ne sache
pas que le cours d’histoire est devenu celui d’univers social. Ces examens
seraient conçus uniquement par des enseignants en exercice (les mêmes qui
encouragent le nivellement par la bas?) et corrigés par des enseignants d’une
autre école de celle où sont inscrits les élèves pour éviter toute «tentation
de tricher» car, on l’a compris, le problème, ce sont les profs. 27
Le
ministre fait ici encore une fois la preuve de sa méconnaissance de la réalité
scolaire en écrivant : «Il n’y aurait aucune surcharge pour les
enseignants, puisque le travail de correction serait de même nature qu’à
l’accoutumée.» 27 Or, il est facile d’estimer qu’il y aura surcharge pour
l’enseignant qui recevra plus de copies à corriger qu’il a d’élèves dans ses
classes. Et surtout, comment ce système complexe va-t-il fonctionner? Va-t-on
mettre sur pied un gros «Tinder scolaire» pour arrimer enseignants et copies à
corriger? M. Roberge a-t-il idée de la
complexité de la logistique à mettre en place pour ces cinq examens
ministériels chaque année quand on sait qu’il y a près de 900 000 élèves
du primaire et du secondaire au Québec?
Chapitre 3 – Un
capitaine à la barre
M.
Roberge a compris, dès sa première année en enseignement, que les écoles du
Québec n’étaient que de «simples succursales des commissions scolaires qui leur
imposent un pouvoir bureaucratique étouffant.» 29 On peut sourire quand on sait
qu’il s’agit de la même personne qui a récemment décidé d’imposer deux
récréations à toutes les écoles primaires sans même consulter les enseignants,
les commissions scolaires et… les directions d’école. Surtout quand il écrit: «Nous avons conçu un
système qui privilégie la norme au détriment de la singularité.» 33
Le
ministre actuel entend donc donner davantage de pouvoir aux directions d’école qu’il
compare maladroitement à un «président d’entreprise qui n’aurait pas de voix au
conseil d’administration de son entreprise.» À ce que je sache, une école n’est pas la
propriété d’un directeur. Celle-ci lui est confiée. 32
De
plus, le député de Chambly, appartenant à la CAQ, transformerait les
commissions scolaires en centres régionaux de services à la disposition des
écoles. Encore ici, M. Roberge montre une certaine méconnaissance du
fonctionnement scolaire à quelques occasions. Tout d’abord, quand il écrit :
«Les écoles ont besoin d’être épaulées sur le plan administratif tandis que la
répartition des élèves doit se faire dans une perspective régionale.» 35 Mais
comment un centre de services peut-il avoir le pouvoir décisionnel de
déterminer la répartition des élèves? Je vois déjà la foire d’empoigne entre
écoles concurrentes, à moins que ce soit le ministère lui-même qui procéderait
à cette répartition. Combien d’autres arbitrages inter-écoles finiront ainsi dans
les bureaux des sous-ministres? Ensuite,
M. Roberge croit que la transformation des commissions scolaires entrainerait
d’«importantes économies». 35 Très bien, mais sur quelles études se base-t-il
pour arriver à une telle conclusion? L’expérience nous montre tout le contraire
si on pense à la fusion des municipalités, à la fusion des commissions scolaires
et à l’abolition des directions régionales du ministère de l’Éducation.
Par
ailleurs, le ministre Roberge affirme «sans crainte de se tromper» 35 qu’après
avoir discuté avec de nombreux directeurs d’école, la majorité d’entre eux sont
d’accord avec son idée de transformer les commissions scolaires en centres de
services. Ah bon. C’est particulier car, dans mon cas, c’est tout à fait
l’inverse! De nombreux directeurs doivent me mentir car, après tout, ils vivent
sous le règne de l’«omerta», comme prend la peine de l’indiquer le député de
Chambly.
Pour
M. Roberge, les commissions scolaires sont de mauvais gestionnaires. C’est un
peu ironique quand on pense que les membres des directions générales de
celles-ci sont presque toujours composées eux-mêmes d’anciens directeurs
d’écoles, ces fameux «capitaines à la barre». Il cite plutôt en exemple les
écoles privées qui, elles, sont évidemment administrées, et je le cite, par des
«gens responsables», la preuve étant que leurs bâtiments ne manquent pas
d’équipement, n’ont pas de toits qui coulent et ne sont pas gangrénés par la
moisissure. Comme si les habiletés de gestion de leurs dirigeants étaient la raison
de ce fait…
Chapitre 4 – Pour un
ordre professionnel pour les enseignants
Dès
le début de sa carrière, notre ministre était d’avis que les enseignants
devraient être régis par un ordre professionnel. Il explique qu’un ordre
professionnel détermine la formation initiale permettant d’accéder à la
profession (ce qui est déjà prescrit par la Loi sur l’instruction publique),
s’assurer que ses membres suivent une formation continue de qualité et traite
les plaintes provenant du public (ce qui est déjà fait par les directions
d’école et les commissions scolaires).
Il
cite ensuite une anecdote personnelle pour traiter du manque de
professionnalisme des enseignants. Alors qu’il était un élève de troisième
secondaire, il a été confronté à un enseignant ayant manifestement des
problèmes reliés à la consommation d’alcool. Malgré une plainte formelle des
parents du futur ministre, le prof «éméché a continué de sévir sans que la
directeur prenne les mesures nécessaires.» Mais que peut savoir réellement de
cette situation un adolescent de 14 ans à l’époque? N’y a-t-il eu vraiment
aucune mesure de prise? Et si c’est le cas, cela ne montre-t-il pas également
une certaine incompétence ou un désintéressement de la direction, ces fameux
«capitaines»? À la page 41, il estime que les directions, à qui il confierait
davantage de pouvoirs, manquent de formation, de leadership, de temps et de
latitude pour gérer adéquatement leur personnel. Alors, à quand un ordre
professionnel des directions scolaires, on se le demande?
M.
Roberge voit un ordre pour les enseignants comme un chien de garde, un gendarme,
un protecteur de l’élève. Nulle part, il ne semble comprendre la logique première
de ce qui doit guider la création d’un tel organisme : la volonté claire
des membres d’une profession de se doter d’une telle structure. Il ne cite
aucun exemple des ratés entourant l’imposition d’un ordre professionnel à des
enseignants au Canada. En guise d’argument,
il énumère les vertus qu’apporte l’Ordre des infirmières et infirmiers du
Québec : ratio infirmières-patients protégeant les malades, bonne qualité
des soins offerts, heures de travail limitées. Décidément, le ministre n’aurait
pas pu choisir pire exemple, n’est-ce pas, quand on connait la situation des hôpitaux
québécois? Il aurait pu aussi citer les bienfaits du corporatiste Collège des
médecins, de l’incorruptible Ordre des ingénieurs… et j’en passe.
Voilà.
J’ai arrêté ici mon analyse. J’ose espérer que cet exercice incomplet saura
vous indiquer la pertinence du propos de M. Roberge. Pour ma part, relire un tel livre m’a
suffi.
3 commentaires:
Moi aussi, j'ai trouvé étrange que peu aient parlé de la qualité de cet ouvrage.
Enfin, on en a une idée!
Je pourrais faire un florilège de certaines perles, crois-moi.
No comment ... merci pour le débrief
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