18 décembre 2010

J'aurais aimé écrire ce texte

(paru dans La Presse le 18 décembre 2010)

La récréation est finie

Stéphane Paradis

L'auteur est intervenant scolaire en estime de soi et conférencier.
Aveu: je souhaite qu'on relise ce texte dans 25 ans et qu'on me traite d'illuminé ayant eu tort de s'inquiéter.

Une fillette de 10 ans doit tenir un rôle de mère pour les plus jeunes puisque maman travaille et que papa est menotté à sa console de jeux. Deux élèves d'une même classe déclarent être un «accident» et une «erreur».

Une mère annonce par téléphone à sa petite de maternelle qu'elle l'abandonne pour suivre un amour outre-mer rencontré sur le web. Un garçon de 12 ans se lève et crie en pleine classe qu'il n'en peut plus de se faire traiter de «gros» dans la cour d'école. La maman d'une jeune analphabète de 11 ans avoue avoir consommé des drogues dures pendant sa grossesse.

Des sujets qui ne feront jamais la une. Des situations qui, si elles étaient imaginées par les meilleurs scénaristes d'Hollywood, n'auraient probablement aucune crédibilité et seraient reléguées au rang de simple science-fiction. Ce sont pourtant là des faits bien réels, puisés à même mon vécu d'intervenant scolaire pour qui la cause première est l'estime de soi.

Où sont les balises? À quels héros nos enfants peuvent-ils s'identifier? À l'ère où avoir des amis se limite à un décompte sur Facebook, où certains métiers en vogue sont «devenir riche» et «faire Occupation double», où nos médias placent la corruption, les crêpages de chignon chez nos élus et la survie des couleuvres brunes en gros titres, il est plus que temps de sonner l'alarme.

«Une vie n'a pas d'importance, sauf dans l'impact qu'elle a sur la vie des autres», affirmait Jackie Robinson. Je crois toujours qu'une majorité de parents et d'enseignants ont cette influence marquée et positive chez nos enfants, par choix, amour et principe. Mais avec tout ce brouillard qui ne cesse de s'épaissir, ne doit-on pas réaffirmer la responsabilité que nous avons tous à l'égard de l'avenir de nos jeunes? Ne sommes-nous pas à la fois parents et beaux-parents, ayant à guider à la fois nos enfants et ceux des autres?

Triste réalité

Il n'est pas normal de voir autant d'enfants la tristesse dans l'âme, se traîner les pieds jusqu'à l'école et souvent le ventre creux, puis retourner à la maison dans l'indifférence la plus totale - après qu'on ait exigé d'eux une concentration à toute épreuve pendant plus de six heures. Au nom de la liberté, voilà que s'épaississent les traits du plus grand des pièges?: l'individualisme et ses dommages collatéraux. Une révolution dangereusement tranquille dont les bruits ne se font entendre qu'entre quatre murs.

Cessons de maquiller la réalité et d'éluder la vérité. La récréation est terminée. Parlons d'accrocher à l'école et non de décrochage. Trahissons l'instantané et enseignons à nos enfants toutes les beautés du fait de désirer. Ne voit-on pas toutes les retombées qu'il y a de s'occuper de nos enfants au lieu de simplement les occuper, eux pour qui le mot «amour» s'épelle souvent t-e-m-p-s?

Notre système de santé - et le budget qu'on y affecte - ne pourrait-il pas inclure tous ces regards éteints d'enfants, de parents et d'enseignants, autant de carencés affectifs? Justement, l'arène politique me donne la nausée, telle une mauvaise cour d'école où l'intimidation règne en maître, telle une classe où l'on demande aux jeunes de faire silence en leur criant après, telle une maison froide et infestée d'arrogance.

Pour l'instant, et je souhaite que ce soit ma vue qui s'embrouille, je n'ai pour spectacle qu'une paire de mains sur un volant et une indifférence totale pour ceux qui font de l'auto-stop, en marge de la route. Et je suis terriblement inquiet, car ils sont de plus en plus nombreux. Et jeunes.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Encore de belles paroles.
Quand ces "bellesparoleux" passeront-il à l'action?

C'est trop facile de s'apitoyer sur le sort des enfants qui n'ont rien ....

Cessez de parler et agissez!

L'engagé a dit…

Texte épeurant et touchant.

Par contre, j'écris souvent que l'école doit être un «milieu de vie», je n'ai pas rencontré souvent votre adhésion.

Pourquoi pensez-vous que je veuille que les enfant fassent de la musique tous les jours, de la danse, beaucoup de sport, du théâtre et de la photo?

On me dit manquer de réalisme quand j'en parle, mais pour ma part c'est manquer de réalisme que de croire que l'école puisse continuer à ne pas être ce milieu de vie, et qu'elle réussisse à remplir son mandat, dans une société si pleine d'écarts.

Vous écrivez souvent que c'est au parents d'être responsables d'éduquer leurs enfants et de leur apprendre à se nourrir correctement ou encore à faire du sport. Mais on fait quoi pour les «tout-croches» dans ce cas? Ne serait-il pas nécessaire de que l'école prenne plus de place dans la vie des jeunes justement pour limiter l'influence négatives de trop de milieux qui perdurent à créer des dynamiques malsaines pour les enfants qui y vivent?

N'est-ce pas par l'école justement que nous amélioreront ces milieux?

Enfin, je parle, je parle, mais j'oublie l'essentiel: merci de partager à ce point votre expérience.

J'ai imprimé quelques-uns de vos billets que j'ai accroché au mur de mon bureau...

Le professeur masqué a dit…

Anonyme: et vous, que faites-vous?

L'engagé: l'école est un milieu de vie. Ma classe aussi. Seulement, dans certains cas, je pense que c'est les parents qu'il faut éduquer, pas leurs enfants. On doit agir à la source auprès de ceux qui les élèvent. Cela appartient à la société, pas à l'école de le faire. Mais bon, je rêve.

Pour le reste, vous me gênez.