09 avril 2012

Frais de scolarité: carton rouge pour le gouvernement Charest

Les dix prochains jours seront décisifs pour le mouvement contre la hausse des frais de scolarité. Déjà, stratégiquement, la CLASSE a mis de l'eau dans son vin en indiquant que la gratuité scolaire constituait pour elle un objectif à moyen ou long terme. «Ce qu'il faut comprendre, c'est que nous avons une position de gratuité scolaire, mais il n'a jamais été dit que c'est ce que nous revendiquions cette année. Oui, on peut aborder la gratuité scolaire comme projet de société, mais en ce moment, ce n'est pas la revendication principale de la CLASSE», a affirmé Jeanne Reynolds, porte-parole de la coalition.  Il faudra voir comment cette déclaration s'accordera avec les mandats de grève illimitée adoptés par certaines associations étudiantes.

Pour ma part, si je suis d'accord avec l'esprit de cette lutte, j'éprouve des réserves quant à certains aspects de celle-ci. Allons-y tout de même avec quelques réflexions masquées.

La mauvaise gestion gouvernementale 

Un premier point qui me surprend est comment le gouvernement Charest a mal géré jusqu'à présent toute cette crise. Adepte de la pensée magique, il a cru, à tort, que le mouvement étudiant s'essoufflerait à force de le nier. Pourtant, 200 000 personnes dans la rue pour appuyer une cause, on n'a pas vu cela depuis longtemps au Québec.

Juste avant Pâques, le gouvernement a lancé l'idée d'un remboursement des prêts étudiants de façon proportionnelle au revenu et d'une augmentation du revenu parental de base n'empêchant pas d'être admissible à une aide financière. Une mesure estimée à 21 millions qu'il fait d'ailleurs porter aux universités alors que lui-même affirme qu'elles sont sous-subventionnées. Une mesure illogique et improvisée qui entre en contradiction flagrante avec le sort que cette même formation politique a réservé à une idée similaire émise par le ministre de l'Éducation Pierre Reid des années plus tôt.

Le gouvernement n'a pas su également diviser le mouvement étudiant comme il l'a fait en 2005, à moins que ce soit la CLASSE, la FECQ et FEUQ qui aient compris qu'elles ont tout à gagner à demeurer unies.

M. Charest et compagnie auraient tout intérêt à réaliser qu'ils ont été trop gourmands dans leur action. Ils auraient suscité moins de controverse en augmentant les frais de scolarité de façon annuelle à la hauteur du coût de la vie plus un rattrapage cette année de 3%, par exemple. Tout cela, quitte à instaurer un autre rattrapage par la suite si le climat politique le permet. Je ne suis pas convaincu qu'on serait au coeur d'une telle lutte si la hausse avait été moindre et mieux étalée. Trop gourmand. Mauvais jugement politique. Avec les résultats que l'on connait. Comment créer un psychodrame alors que la voie de la retenue et de l'habileté aurait été garante de succès.

La fameuse «juste part»

Cet argument du gouvernement Charest, répété ad nauseam par les ministres Bachand et Beauchamp,  est, n'ayons pas peur des mots, mensonger. Au Québec, notre société s'était toujours dotée de services en fonction des taxes et des impots que payaient les citoyens. Or, on assiste depuis quelque temps à une lente dérive: celle de l'utilisateur-payeur.

Il faut savoir que cette dérive va totalement à l'encontre du principe précédemment mentionné. Peut-on parler de «juste part» quand il est plus facile pour un individu riche de payer un service que pour un autre qui serait démuni? La fameuse taxe santé de 200$ par adulte, contenue d'ailleurs dans le budget 2012-2013 du ministre Bachand, en est un bon exemple et montre bien les contradictions qui habitent la pensée gouvernementale. Une juste part tiendrait compte des revenus des individus. La hausse des frais de scolarité également ne le fait pas et il est faux de penser qu'un régime de prêts plus généreux vient contrebalancer celle-ci: un prêt demeure un prêt.

Ce slogan creux et vide est, quant à moi, politiquement dangereux. Au lieu de présenter un Québec habité par des projets collectifs, il le réduit à une somme d'individus désireux de payer «juste leur part». Suivant cette logique pernicieuse, viendra peut-être le jour où j'exigerai de payer ma «juste part» en matière de CPE, de procréation assistée, de lutte au cancer du poumon, de bien-être social, de subvention au transport en commun, de tarifs préférentiels hydro-électriques à des alumineries, c'est-à-dire RIEN.

Une lutte passionnée, échevelée... et instrumentalisée

Tout d'abord, il faut souligner avec quelle originalité les organisations étudiantes ont su renouveler leur lutte sur le plan médiatique. La variété des activités pour contester la hausse des frais de scolarité n'a d'égal que leur originalité. Politiquement, le coup de génie a été d'associer les parents québécois à leurs revendications. Et l'extension d'une participation des élèves des écoles secondaires à cette lutte est aussi très habile.

Cependant, le combat mené actuellement par les diverses associations étudiantes me semble être mené sur un front très large. Il va de s'opposer à la hausse des frais de scolarité jusqu'à la gratuité scolaire. Dans le cas de la CLASSE, on parle même de «printemps érable».  Ainsi, Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de ce regroupement, affirme à propos d'une manifestation prévue la semaine prochaine: «Cela va être l'occasion pour l'ensemble de la population de venir dire : "non seulement on est en appui aux étudiants et étudiantes, mais il est temps de contester de manière plus générale la direction que prend le Québec depuis les dernières années".»

On a parfois également l'impression que certaines organisations ont sous-traité aux étudiants la lutte qu'elles n'ont pas réussi à gagner contre le gouvernement Charest.  Et si le front étudiant tient encore, c'est à la fois peut-être à cause d'une volonté de demeurer unies chez les associations étudiantes, mais aussi de la faiblesse politique des dirigeants libéraux.

Par ailleurs, autant la lutte ratisse parfois large, autant elle exclut néanmoins une majeure partie du monde scolaire quand elle parle de gratuité. A-t-on entendu parler des frais exigés aux parents au primaire et au secondaire? Même au cégep ces frais peuvent soulever des questions légitimes si on adopte la logique de la contestation actuelle.

Dans la même veine, je remarque qu'on est prêt à prendre la rue pour dénoncer le cout de l'éducation que l'on reçoit mais rarement la qualité de celle-ci. Et si le gouvernement cédait, tout ce beau monde rentrerait bien sagement en classe sans se questionner davantage. Tristement, le fric avant les idées.

Une lutte redéfinie

La lutte qu'ont entreprise certains étudiants est aussi remise en question dans son essence même. Jamais on a autant questionné l'utilisation des termes «grève étudiante». Au-delà de la terminologie, on comprend bien qu'on parle de la définition même de cette lutte. Devrait-on parler davantage d'un «boycottage des cours»?

On a aussi assisté à certains recours judiciaires pour établir ce qui est acceptable de ce qui ne l'est pas comme actions militantes. Les associations étudiantes sont en quelque sorte coincées par leur propre discours où il leur est impossible d'utiliser des techniques propres à l'intimidation tout en dénonçant l'attitude gouvernementale ou celle des forces policières. À cet égard, le fait que certains leaders n'aient pas dénoncé certains gestes posés par des sympathisants a entaché leur lutte. Traiter les étudiants des HEC de «putes babyloniennes» n'est sûrement pas une façon de susciter une adhésion de ces étudiants à leurs idées.

De même, il ne serait pas surprenant de voir certains établissements d'enseignement coincés par des poursuites intentées par des étudiants non grévistes qui n'auraient reçu la formation reliée à leur inscription. Il leur serait facile de démontrer que ces établissements n'ont pas tout fait en leur pouvoir pour leur assurer celle-ci. (Tiens, ce texte à ce sujet ce matin.)

Une conclusion

Depuis la Révolution tranquille, le Québec a eu des airs de social-démocratie. Il s'est doté d'un ministère de l'Éducation, d'un réseau d'écoles primaires et secondaires. Il a procédé à la création d'un réseau collégial.  Enfin, il a voulu s'assurer d'une meilleure accessibilité à des études supérieures par la création d'un réseau universitaire gouvernemental et d'un système de prêts et bourses.

La crise que nous vivons actuellement est le symptôme d'un changement quant à l'esprit politique qui anime ce territoire et, dans une plus vaste mesure, l'ensemble canadien. L'éducation doit-elle être gratuite au Québec? La question mérite d'être posée puisqu'elle ne l'est même plus aux niveaux primaire, secondaire et collégial.

Pour ma part, je ne crois pas que ce soit dans la rue et dans la confrontation que nous trouverons cette réponse. Aussi, le gouvernement Charest devrait surseoir à la hausse des frais de scolarité et entamer un véritable débat sur cet enjeu avec tous les acteurs de la société québécoise. Devrait-on aller jusqu'à des États généraux sur l'éducation au Québec? Chose certaine, les sujets ne manqueraient pas si on y ajoutait l'abolition des commissions scolaires ainsi que la gestion des réseaux collégial et universitaire...

6 commentaires:

Siocnarf a dit…

Bon commentaire.

Personnellement, je crois que tant que les étudiants se tiendrons suffisamment ensemble, ils ne peuvent pas perdre. Le gouvernement ne peut simplement pas se permettre d'annuler la session de dizaine de millier d'étudiants. Les impacts sont trop grand.

Nous parlons ici, si ma compréhension est correcte, d'environ 125 M$. C'est tout de même peu. Surtout si nous comparons ce montant aux avantages que la société reçoit avec la formation post-secondaire. Ce n'est pas que je dénigre la formation des métiers aux secondaire mais je reconnais également les avantages des CEGEP et universités.

Je ne comprend pas l'utilité d'augmenter ces frais alors que tant de gens et d'organisations nous privent de G$. Cela m'échappe. Pour tous les parents qui déboursdent pour leurs enfants, il s'agit carrément d'une hausse de taxe déguisé que l'on tente de faire passer sur le dos des étudiants. Tous les prétextes sont bon! C'est pitoyable.

Je me souviens:
- Lorsque le gouvernement se ventait d'équilibre budgétaire alors que le VG montrait une dette croissante.
- Lorsque le gouvernement parlait de dette faible par rapport au PIB et utilisait ce prétexte pour dépenser plus
- Lorsque le gouvernement promettait de faire sa part en terme de réduction du déficit mais que tous les médias mettait à jour un échec annoncé. À ce sujet, avez-vous remarqué que les médias n'en parle plus?
- Lorsque le gouvernement avait annoncé que sa fonction publique devait diminuer et qu'il couperait un poste sur 2. Mais encore récemment, il a dû avouer que celle-ci avait grossit.
- Lorsque le gouvernement avait pris le surplus de stabilisation de la SAAQ pour 1G$. Avons-nous vu une diminution de notre dette?

Avec la tendance à dépenser des universités en béton, en prime de séparation et en hausse salariale, on peut sérieusement se demander si ce réseau s'en porterait mieux avec ses hausses.

J'ai presque 46 ans et vous ne serez pas surpris d'apprendre que je ne suis plus un étudiant. Mais expliquez-moi pourquoi devrais-je faire un chèque en blanc à quelqu'un qui n'a pas de toute façon les mains sur le volant...

L'engagé a dit…

Je vous en prie, diffusez SVP

http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=zkbBeQ21d1c#!

Ça va vraiment vous émouvoir...

«Speak Red »

imaginezautrechose a dit…

La rue, ce n'est qu'un début. S'il n'y avait pas la rue, il y aurait quoi? Que proposez-vous, PM? Je la trouve belle, moi, cette mobilisation dans la rue qui nous montre des êtres humains qui se tiennent ensemble et qui manifestent un esprit de collectivité et de solidarité. J'admire beaucoup ces personnes qui, jour après jour, descendent dans la rue, j'aimerais avoir le courage (et le temps...) de le faire.

Et la confrontation, elle a été rendue inévitable par ce gouvernement à la con qui n'en finit plus de faire la sourde oreille. On ne peut pas faire autrement maintenant, jusqu'à ce que la cause étudiante soit réellement écoutée, jusqu'à ce que s'ouvre enfin la discussion.

Le professeur masqué a dit…

Siocnarf: on est d'accord. Ce gouvernement est usé et n'a plus de crédibilité.

L'engagé: j'ai lu avant d'écouter.

Imaginez: relisez la conclusion de mon billet. Simplement.

Pops a dit…

Je suis porté à droite économiquement parlant. Cependant, ma position est toute autre concernant la scolarisation. Celle-ci se doit d'être accessible à toutes les classes sociales afin que justement la provenance de l'étudiant ne le condamne pas d'avance.

Cependant, la condition d'accessibilité n'a rien à voir avoir les tentacules du MELS. Il serait réduit à une peau de chagrin demain qu'on s'en porterait mieux. Laissez-lui les grandes lignes des programmes et les examens de fin d'année. Privatisez tout le reste et instaurez le système des voucher, qui existe déjà dans la Suède chérie de nos partisans étatique.

L'engagé a dit…

Pour en arriver à votre solution (proposée par des profs et des étudiants d'ailleurs [il y a une pétition à cet effet] https://www.assnat.qc.ca/fr/exprimez-votre-opinion/petition/Petition-2801/index.html) il faut une pression populaire.

Que nous n'avons pas. Le gouvernement n'est pas intéressé par une délibération rationnelle. Comment pouvez-vous la provoquer autrement?

Pour obtenir cette pression, il faut de la mobilisation, d'où la pertinence à mon avis de cette vidéo et de ce poème.