03 avril 2020

Écoles québécoises : une crise révélatrice

Chaque crise agit toujours comme un puissant révélateur. Les moments inquiétants que le Québec traverse actuellement sont porteurs de plusieurs leçons quant à notre système d’éducation.

Un système clairement inégalitaire

Dès les premiers jours de la pandémie, on a tout de suite pu constater que le système scolaire québécois est à trois vitesses : l’école ordinaire, les programmes particuliers et l’école privée.

En effet, il a fallu moins de deux semaines pour que bien des écoles privées mettent en branle un enseignement à distance. Les parents, payant chaque mois des frais pour les services de ces institutions, ont clairement signifié qu’ils s’attendaient à rien de moins. On verra plus loin que cette forme de télé-enseignement est plus facile à implanter en éducation privée que publique.

On s’est également aperçu que l’école québécoise, malgré ses beaux discours et ses efforts, n’arrive pas à assurer l’égalité des chances pour tous. Un élève venant d’un milieu défavorisé a et aura, à moins de changements profonds, moins de probabilités de bénéficier d’une instruction que le mènera à sortir du cycle de la pauvreté.  

Un improbable enseignement à distance

Les efforts des écoles privées pour mettre en œuvre un télé-enseignement ont montré les lacunes profondes du secteur public en la matière. Ce ne sont pas tous les élèves des écoles primaires et secondaires du Québec qui ont un appareil électronique en leur possession et qui sont habiletés à s’en servir à des fins académiques. Soit que leurs parents n’ont pas les moyens de leur acheter un, soit que leur école ne leur en fournit pas.

Pour avoir enseigné à des élèves bénéficiant chacun d’un portable personnel, pour être efficace, le télé-enseignement doit tout d’abord être effectué en classe, sous la supervision d’un enseignant. C’est par la suite que le jeune pourra faire preuve d’autonomie à la maison. À part les élèves d’une commission scolaire à Sherbrooke, peu d’élèves québécois ont eu cette possibilité. On aura beau mettre en ligne une foule de sites et de contenu comme l’a fait le ministère de l’Éducation avec École Ouverte, les études montrent bien que cette façon de fonctionner est souvent inefficace. L’école publique a un retard abyssale en matière de culture technologique et ce, à tous les niveaux.

L’école garderie versus l‘école de la performance

Un autre constat facile à effectuer également relève de la vision qu’ont les gens de l’école québécoise. Alors que nous traversons une crise sanitaire majeure, les jeunes doivent demeurer à la maison au grand désarroi de certains parents. Je ne peux oublier cette phrase d’une mère désespérée : «Mais qu’est-ce que je vais faire pognéeavec mes deux enfants?» 

Pour plusieurs, l’école n’est pas tant un lieu d’apprentissage qu’un endroit où l’on envoie nos enfants alors qu’on ne sait pas quoi faire avec eux. La situation peut être difficile pour quelqu’un qui travaille actuellement hors de la maison ou qui doit faire du télétravail. À force d’organiser l’horaire de bien des enfants et de subvenir à tous leurs besoins, on en est aussi venu à négliger l’essentiel : développer leur autonomie et leur soif d’apprendre.

Pour d’autres, par contre, l’école est un lieu indispensable à la réussite de leurs enfants. Le moindre jour, le moindre cours manqué met en péril rien de moins que l’avenir de leur progéniture. Pour eux, une mauvaise note en première secondaire empêchera leurs enfants de devenir médecins.  En pleine pandémie, ils insistent pour recevoir des leçons, des travaux.  Ils veulent même des examens à distance. On est alors dans une autre dynamique, celle qui crée des jeunes anxieux,  souvent incapables de se définir et de se développer hors du cadre scolaire.

Le rôle des enseignants du secteur public

On pourra reprocher aux enseignants leur manque d'engagement dans la présente crise. Quant à moi, cette attitude est le résultat d'années et d'années d'une gestion où l'on a court-circuité les initiatives personnelles et l'esprit critique. 

Je pense à cette gestion du Renouveau pédagogique fondé sur des données improbables et où certains enseignants ont été castrés à force de se faire dire de respecter leur devoir de réserve. Je pense à ces enseignants qui ont démissionné ou perdu leur emploi à cause de leurs critiques quant à la gestion du réseau scolaire. Je pense à ces enseignants qui doivent se tourner vers leur convention collective parfois tellement ils ne comprennent pas la gestion de certains administrateurs.

Alors, en pleine crise, que font-ils? La majorité attendent, le pied résolument sur le frein, qu’on leur dise quoi faire et comment. Ils ont reçu tellement d’ordre et de contre-ordres au cours des dernières semaines. Ils ont compris aussi au cours de leur carrière  à en faire moins avec moins.  Et s’ils prennent des initiatives, c’est dans la peur d’être jugé à la fois par leurs patrons mais aussi par leurs collègues. Vaut mieux alors pour eux de ne rien faire et attendre. Ils seront évidemment blâmés parce qu’au fond, ils sont des boucs émissaires tout désignés, ceux qu’on sacrifiera comme d’habitude au lieu de procéder à une véritable réflexion sur ce que cette crise nous aura fait vivre et nous aura montré.

2 commentaires:

Lucie a dit…

Dans votre analyse, un facteur a été oublié pour expliquer le manque d'engagement des enseignants:
c'est difficile de s'engager/d'offrir des activités pédagogiques lorsque la majorité de notre matériel pédagogique se trouve... à l'école!


Je suis très heureuse de vous lire plus régulièrement!

Anonyme a dit…

Oh que oui... Pour ma part, tout mon matériel est dans mon ordi. Et je suis parti avec tout ce que j'ai pu jeudi parce que je me doutais bien qu'on partirait pour longtemps. - prof masqué