28 avril 2020

Prudent et graduel, vraiment?

On pourrait penser que ce blogue ne défend que les enseignants. Or, les questions d'éducation concernent bien souvent tous les citoyens de notre société. Dans le cas du plan de déconfinement du gouvernement du Québec, le volet scolaire touche tous les secteurs de cette société. C'est dans cette optique que ce billet sera surtout rédigé.

Il faut tout d'abord comprendre qu'actuellement, le Québec a le plus triste bilan de décès et d'individus atteints par ce virus au Canada. Quand il présente celui-ci, M. Legault s'abstient de mentionner à quel pourcentage d'augmentation correspond tous les chiffres qu'il récite. À quoi correspond une augmentation de 875 cas confirmés de plus qu'hier? Une hausse de 3,5% en une seule journée. On a beau indiquer que le phénomène est surtout concentre dans la grande région métropolitaine et les CHSLD, il est difficile de faire abstraction de cette réalité. Et de faire abstraction qu'un CHSLD est administré par le gouvernement du Québec.

La province voisine ontarienne, pourtant moins touchée, ne s'estime pas encore prête à se lancer dans cette grande et nécessaire opération déconfinement. Oui, on ne pourra demeurer terrés comme des bêtes dans nos maisons. Oui, il va falloir découvrir des façons de vivre une nouvelle réalité. Par contre, il est important d'y parvenir en minimisant les couts humains et sociaux.

L'Ontario, quant à elle, a fixé des balises claires à atteindre avant d'effectuer un déconfinement, dont une baisse du nombre de cas de deux à quatre semaines avant d'assouplir les restrictions mises en vigueur en mars dernier. Au Québec, on nous demande de faire confiance aux autorités en place et de nous fier à la santé publique. Pour ma part, quand je regarde notre performance en ce qui a trait aux CHSLD, ma confiance n'est pas aveugle. On a manqué de gants, de blouses, de masques, de tests... Pour des soldats qu'on veut envoyer au front, l'impression qu'on pourrait manquer de munition est un sentiment terrible.

Comparé à l'Ontario donc, le processus québécois manque de transparence. Quand on veut inspirer la confiance et susciter une mobilisation, c'est un mauvais premier pas. À tort ou à raison, tout cela donne aussi une impression d'improvisation qui est malsaine dans une pareille situation. Un déconfinement mal réussi signifiera un nombre plus élevé d'individus contaminés et de morts. Il signifiera aussi un recul quant aux six semaines où les Québécois ont dû «se mettre sur pause».

En conférence de presse, le premier ministre du Québec a affirmé qu'on procédera à la réouverture des écoles «si et seulement si la situation reste comme actuellement». Pas de baisse nécessaire. L'école ne sera pas obligatoire et du «travail sera fait auprès des enfants qui restent à la maison.»

Selon M. Legault, les deux mots-clé de cette opération seront «graduel» et «prudence». Pourtant, si je comprends bien, on permettra théoriquement le déconfinement de près de la moitié des 600 000 élèves du réseau public, des 300 000 enfants en garderie ainsi qu'une partie importante de 100 000 membres du personnel des écoles et des garderies sur une période d'à peine deux semaines à la grandeur du Québec. On repassera pour le caractère «graduel» de la chose. Et c'est alors qu'on en vient immédiatement à s'interroger sur le mot «prudent».

Certaines études indiquent que les plus jeunes seraient peu transmetteurs du covid-19 comparativement aux adolescents, ce qui est rassurant en soi. Par contre, de restreindre la durée de cette opération sur une période aussi courte quand on connait le temps d'incubation (présumé) de ce virus me semble hasardeux. Aura-t-on vraiment le temps de réagir efficacement en cas de dérapage? N'aura-t-il pas été plus sage de s'inspirer des expériences d'autres pays qui débutent leur période de déconfinement? Ne vient-on pas alimenter les craintes en se déconfinant en même temps que des régions éloignées qui ont connu l'arrivée de ce virus bien avant nous?

M. Legault indique que les écoles secondaires, les cégeps et les universités seront ouverts seulement en septembre 2020 pour assurer un aspect «graduel» (on peut questionner ce terme, on l'a vu) au déconfinement, mais aussi parce que les jeunes qui y étudient utilisent davantage le transport en commun, ce qui constitue une difficulté additionnelle pour conserver une distance de deux mètres (i.e. comparativement à des enfants du primaire qui demeurent souvent à proximité de leur école - ce qui est assez logique). Selon lui, il sera également plus facile pour les plus vieux de vivre l'éducation à distance, ce qui est également fondé. Mais en même temps, comment penser que des plus jeunes sauront respecter adéquatement les règles de distanciation physique?

De plus, je comprends mal pourquoi M. Legault annonce que les éducatrices porteront un masque en garderie. À moins d'être un N-95, ce dernier n'empêche aucunement la contamination d'un adulte. Il sert à éviter de contaminer les autres autour de lui. Logiquement,  les enfants devraient aussi porter un masque si on tient à s'assurer de réduire des risques de transmission. Également, pourquoi un masque pour une éducatrice mais pas une enseignante? Quelle est la différence entre une éducatrice et une enseignante en maternelle quatre ans? Il faudrait qu'on nous l'explique, si on en est capable.

Par la suite, M. Legault y va avec les cinq raison qui ont guidé son choix de rouvrir les écoles. Passons en revue certaines d'entre elles.

1- Le bien des enfants

Je ne doute pas de la sincérité de M. Legault. Simplement, après une semaine où il nous a longuement entretenu de l'immunité collective, l'argument tombe à plat. Quand il indique que c'est surtout «pour les enfants qui ont des difficultés d'apprentissage» qu'on ouvre les écoles, on peut comprendre la réaction de nombreux enseignants qui se battent depuis des années pour que ceux-ci aient de meilleurs conditions d'apprentissage. On n'y croit pas. De plus, rien n'indique que ces journées supplémentaires d'école, vécues dans un climat si particulier, sauront faire une différence. De nombreux experts ont déjà indiqué que ce gain serait nul. Je doute qu'un élève autiste (un exemple indiqué par M. Legault) tirera profit d'une telle expérience actuellement.

Également, comment peut-on invoquer le bien des enfants et laisser à la maison tous ces élèves plus âgés qui ont aussi des besoins? On voit ici les limites de cet argument qui parait bien, mais qui crée une certaine dissonance cognitive.

M. Legault indique qu'il va «demander» aux enseignants de porter une attention spéciale aux élèves du primaire en difficulté, qu'ils soit à l'école ou non.  La question soulevée par de nombreux collègues: comment feront-ils pour enseigner de jour en classe tout en  accompagnant certains élèves à la maison? On n'osera jamais le dire, mais on vient de voter une augmentation de la tâche de ces enseignantes sur le terrain. Où sera le soutien, où sera l'aide pour ces dernières? Aucune réponse de la part de M. Legault. Et ce sont ces points qui donnent que l'idée que le gouvernement actuel manque d'empathie à l'égard de ceux qu'ils lancent dans la mêlée.

2- Le risque est limité

Ici, M. Legault indique que les enfants et les personnes de moins de 60 ans sans problème de santé ont des risque «minimes» de subir les conséquences d'une éventuelle contamination par le covid-19. On en conclut donc que certains enseignants âgés et certains enfants resteront à la maison.

Il se garde cependant une porte de sortie en indiquant que la situation sera réévaluée. Le problème est que cette opération «graduelle» se déroule en moins de deux semaines. Le discours aurait été plus rassurant si on avait tout d'abord procédé avec de plus petites régions où le virus est moins présent et facile à contrôler. Le tout donne l'impression qu'on veut procéder rapidement sans trop expliquer vraiment pourquoi.

3- La situation est «sous contrôle» dans les hôpitaux

Il conviendrait que les journalistes demandent au Premier ministre ce que signifie cette expression. Dans l'ensemble, on a l'impression que oui. On notera néanmoins que des pénuries de matériel de protection et une contamination importante à l'hôpital Sacré-Coeur à Montréal peuvent soulever certaines craintes.

4- On a le OK de la santé publique

Ici, encore une fois, le Premier ministre nous demande un acte de foi: «On écoute la science.» Fort bien. Peut-on savoir quels sont les paramètres sur lesquels se base le Dr Arruda pour en venir à un tel constat? On est loin des indicateurs clairs de l'Ontario.

5- La vie doit continuer

Pour M. Legault, il est «bon que les enfants revoient leurs amis». On est dans un argument de type émotif. Si cela est vrai, pourquoi seulement à l'école alors? Pourquoi recevraient-ils une amende de plus de $1500 s'ils le font dans un parc? Que se passera-t-il en été alors que les écoles seront fermées? La vie devra s'arrêter à nouveau? En invoquant cet argument, le Premier ministre ouvre une sacré boite de Pandore.

Les questions des journalistes  

M. Legault ne s'attend pas à ce que ce soit tous les enfants qui retournent en classe. Il vise des groupes de 15 élèves aux maximum.  On comprend ici qu'il y aura un sacré problème de gestion pour les directions d'école. Où iront les amis en trop? Avec quel enseignant qu'ils ne connaissent pas? Le Premier ministre croit que les écoles secondaires pourraient toujours servir si trop d'enfants se présentent à l'école primaire. Un jeune qu'on retire de sa classe sera ainsi totalement dépaysé. Manifestement, on a affaire ici à une réponse de gestionnaire qui va à l'encontre des principes de «La vie continue cet «Le bien des enfants». Je n'aimerais pas être la direction d'école qui va annoncer à un parent que, comme son enfant est le seizième du groupe, il ira à l'école secondaire voisine avec d'autres jeunes qu'il ne connait pas.

À la lumière des explications du Dr Arruda, on comprend mal cependant qu'il soit prévu de déconfiner Montréal aussi rapidement en parlant d'un geste «progressif, modéré, mesuré»?  Comment peut-on penser faire des actions ciblées de traçabilité dans un milieu aussi vaste et aussi touché? On a aussi peu d'informations sur ce qui constitue un enseignant «en bonne santé», ce qui alimente les craintes du personnel scolaire ayant une maladie chronique.

Par ailleurs, le Premier ministre affirme qu'il prendra toutes les mesures possibles pour que personne n'attrape la covid-19. Comment cela se traduira-t-il concrètement dans une école? On a bien hâte de le savoir.  Si jamais la pénurie des enseignants s'aggrave, M. Legault assure que des étudiants pourraient venir apporter leur aide. Après tout, on a déjà l'armée dans nos CHSLD, diront les plus cyniques.

Le problème avec celle annonce de M. Legault, ce sont ses incohérences. La plus grande est qu'on élude complètement la notion d'immunité collective qui était pourtant l'argument majeur d'une réouverture des écoles pas plus tard que vendredi dernier. Cela donne l'impression qu'on cherche des raisons pour procéder à cette opération de déconfinement et que n'importe quelle fera l'affaire.

Un autre irritant est cet acte de foi que demande M. Legault à certains de ses employés tout en ne donnant pas l'impression que des moyens supplémentaires pourraient être apportés pour les soutenir dans le défi qui les attend. Cela donne encore l'impression qu'ils devront faire plus avec rien. De plus, on le sent peu faire preuve d'empathie quand on parle des difficultés qu'ils pourraient rencontrer. Toute la question des équipements de protection semble escamotée alors qu'elle est au cours même des craintes des enseignantes. Comment peut-on penser que le tout se règlera en une réponse de trente secondes à un journaliste? Comment les amener à penser qu'elles n'auront pas besoin de masque alors qu'à la pharmacie où je vais, on me questionne et prend ma température pour que je puisse me rendre devant un comptoir protégé d'un plexiglass où une employée gantée et masquée me demande de respecter une distance de deux mètres?

De plus, comment ne pas assimiler ce retour à l'école comme une opération «garderie» alors que les enfants passeront une journée complète en classe? Pourquoi ne pas avoir retenu des journées raccourcies ou alternées pour débuter? A-t-on idée des efforts et de l'énergie qu'il faudra pour gérer la seule période du diner? C'est alors que le non retour des plus grands à l'école prend tout son sens pour les plus cyniques: ils arriveront à se «garder tout seuls.

Il est là, le problème de l'annonce  de M. Legault, celui d'une profonde dissonance cognitive. On a demandé aux Québécois de se confiner pendant des semaines et on ordonne soudainement à près de 100 000 employés de retourner à leur travail, dans certains cas sans aucune protection. On comprend alors que les mots «prudent» et «graduel» ne sont guère crédibles dans le présent cas. Et comme on est devant un fléau inconnu, davantage de pédagogie, de charisme et de rigueur auraient été de rigueur.

Auprès de ses employés, M. Legault a manqué son «pitch» de vente.


NB: dans un prochain billet, je reviendrai sur la conférence de presse de M. Roberge.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ajouterais que si ma mémoire ne me trompe pas quelqu'un est parti un vendredi en disant on va rouvrir les écoles pour assurer une contamination collective GRADUELLE. Il revient le lundi en disant finalement nous allons rouvrir les écoles mais pas pour cette raison là...




Et il reste 27 jours d'école si on commence le 11, 27 jours seulement, qu'allez-vous faire après?


Les autres masqués a dit…

Justement il ne vous reste que 27 jours de travail calmez vous ca va passer ...: une à qui travail depuis le 13 mars sans jamais avoir arrêter en redoublant d’ardeur pour y arriver ...

Le professeur masqué a dit…

les autres masqués: je vous souligne l'intro de ce billet:

«On pourrait penser que ce blogue ne défend que les enseignants. Or, les questions d'éducation concernent bien souvent tous les citoyens de notre société. Dans le cas du plan de déconfinement du gouvernement du Québec, le volet scolaire touche tous les secteurs de cette société. C'est dans cette optique que ce billet sera surtout rédigé.»