05 avril 2020

Trousse pédagogique: un produit perfectible

Le ministère de l'Éducation vient d'envoyer aux enseignants du Québec les fameuses trousses pédagogiques pour chaque niveau. Ceux-ci, si je comprends bien, peuvent les bonifier en équipe-école mais pas les modifier de façon à en retirer certains éléments. Une fois les bonifications apportées, elles seront envoyées aux parents qui pourront ainsi superviser des activités d'apprentissage pour leurs enfants. Dans ce texte, je me livrerai à une critique sommaire de ces trousses mais auparavant, quelques mots sur la continuité pédagogique qui est un concept sous-jacent relié à celles-ci.

Mettre sur les épaules des autres

La continuité pédagogique est la volonté de s'assurer, en ces temps troublés, de poursuivre des apprentissages scolaires hors des murs de l'école. Elle s'exerce actuellement de façons différentes selon les pays. Cette continuité présuppose que les enseignants, les parents et les élèves soient habiletés à la mettre en oeuvre, ce qui n'est pas le cas. Il faut des ressources, des infrastructures et des compétences numériques que tous ces intervenants ne possèdent pas nécessairement. Mais qu'importe! La bureaucratie gouvernementale se dédouane ainsi de ses responsabilités et de ses manquements passés en ce qui a trait à ce manque d'éducation numérique en en faisant porter le poids sur d'autres épaules que les siennes.

En France et en Belgique, bien des parents commencent à se rebeller contre ce concept. Ils n'ont ni l'expertise, ni le temps, ni l'équipement pour y répondre. On relève également, avec raison, que la continuité pédagogique accentue les inégalités sociales. Or, avec le matériel que vient de produire le ministère de l'Éducation, on va exactement dans la même direction.

Une analyse de la trousse pédagogique 

Si l'on est généreux, l'on peut dire que le MEES fait ce qu'il peut en ces temps de crise. Soulignons-le.  Par contre, ce qu'il produit est très révélateur de son niveau de compétence et de connaissances de la réalité du terrain.

Une chose importante est que, dans certains programmes, le ministère semble prendre pour acquis que tous les enseignants du Québec ont vu la même matière dans le même ordre et que tous les élèves sont rendus au même point. Par exemple, en éducation financière, il propose de faire un budget. Or, certains enseignants gardaient ce contenu de cours pour la troisième étape parce qu'il était plus intéressant.

a) la langue utilisée

Tout d'abord, le document est rédigé en français. On prend pour acquis donc que tous les parents maitrisent bien cette langue, ce qui n'est pas le cas. De plus, le français utilisé n'est pas toujours accessible et reprend un jargon rébarbatif qui montera bien aux parents avec quelle réalité les enseignants doivent parfois composer.

Exemple concernant des élèves de deuxième secondaire:
Consigne à l’élève
Cherche dans le dictionnaire les mots suivants, qui sont abondamment utilisés actuellement, souvent à mauvais escient. 

Le mot «escient» ne correspond pas au vocabulaire de la majorité des élèves de ce niveau. Quand il faut chercher au dictionnaire des mots de la question qui porte sur des définitions...

Exemple concernant les parents:
Information aux parents
À propos de l’activité
Les élèves ont généralement une certaine représentation du sens d’un concept étudié en histoire. Le travail de conceptualisation réalisé en classe vise à permettre le passage d’une idée préalable, parfois incomplète, parfois fausse, à un concept formel, adéquatement 

Faut-il commenter davantage?

b) un sujet à éviter?

Le MEES a décidé d'avoir comme thème la pandémie actuelle dans certaines activités. Ce choix est discutable. Je ne l'aurais pas fait. Oui, on peut penser qu'il est important de faire réfléchir les jeunes sur la situation exceptionnelle que nous vivons. D'un autre côté, on ne leur change pas vraiment les idées et on risque de renforcer l'anxiété de certains jeunes. Surtout si ces jeunes ont des parents qui travaillent actuellement dans des services essentiels.

c) des consignes floues

Certains diront qu'on y est habitué depuis quelque temps en éducation... mais certaines consignes manquent de précision ou de clarté. Après plus de vingt dans une classe, je peux déjà anticiper les questions des élèves quand je lis certaines d'entre elles.

- «Cherche dans le dictionnaire les mots suivants, qui sont abondamment utilisés actuellement, souvent à mauvais escient.»    ---» Escient, ça veut dire quoi?


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- « Transcris la définition et le ou les contextes dans lesquels chacun d’eux devrait être utilisé.» Contexte, je ne comprends pas!
- «Tu peux dresser un champ lexical lié à la situation actuelle.» Pour le plus faibles: ---» C'est quoi un champ lexical?  Pour les plus forts: ---» Oui, mais quel est le nom de ce champ lexical? Situation actuelle?
- «Dresse la liste des raisons pour lesquelles ce quotidien, à l’instar de plusieurs médias, a décidé de rendre accessibles gratuitement toutes les informations en lien avec la situation actuelle.» ---» Combien de raisons? Deux, c'est assez?
· « Réfléchis et rédige un court texte sur l’importance d’être bien informé en temps de crise. Utilise au moins cinq mots de ton champ lexical.» --» Court, c'est combien de mots?
Et qu'on ne me dise pas que je suis de mauvaise foi: ces observations viennent toutes de la même activité que j'ai choisi au hasard. Activité qui ne comprend aucun corrigé, en passant.

d) le matériel nécessaire

Pour effectuer ces activités, un appareil électronique et une connexion internet semblent incontournables. On nous dit qu'un format papier sera envoyé aux parents. Belle idée, mais que fera-t-on avec les activités qui demandent d'écouter des extraits sonores ou visuels?  Que fera-t-on aussi en anglais avec le matériel suivant : «Various information-based texts available online.»

En fait, on comprend que les gens qui ont produit ces activités ne sont pas toujours conscients de la réalité du terrain quand ils écrivent pour une activité qu'il ne faut aucun matériel en particulier alors qu'elle nécessite de consulter le site Allo Prof et ceux du gouvernement canadien.

L'effort est louable, rappelons-le. Mais révélateur. Souhaitons que, si la crise actuelle s'étire, ce contenu et les moyens de «l'enseigner» s'amélioreront. Parce que, pour l'instant, pour reprendre les mots d'un universitaire qui a regardé ce matériel à ma demande, on est dans l'«occupationnel». Et la réponse des élèves à nos appels et courriels est plus que faible au secondaire.







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2 commentaires:

Nady a dit…

Je fais partie des privilégiés: mes enfants n'ont pas de difficultés scolaires, mon emploi n'est pas en danger, je connais bien l'informatique et nous avons le matériel nécessaire. Mais en télétravail, je n'ai pas toujours le temps d'accompagner mes enfants, et même quand je peux... les réseaux informatiques sont surchargés. Cette semaine, j'ai passé 30 minutes avec mon plus vieux à essayer d'obtenir le matériel, pour recevoir le message que la connexion était mauvaise. Je n'ose imager la situation de ceux qui sont moins privilégiés que moi.

Anonyme a dit…

Et voilà. Tout le monde fait son possible. Actuellement, moi qui aime la rigueur et qui suis un peu tortionnaire, il me semble qu'un jeune peut apprendre l'autonomie, la cuisine, à aider ses parents. Une mère a appris à son jeune à nettoyer une salle de bain au complet. :). Le prof masqué