06 mai 2020

La gestion de classe du ministre Roberge

Depuis la fermeture des classes, on est capable d'évaluer les capacités de gestion de certains de nos décideurs en éducation. Ainsi, lors des premiers jours, il était normal d’entendre le ministre Roberge expliquer qu’on ne pouvait rien exiger de nos élèves et que c’était comme s’il s’agissait de «vacances». Le ministre s’était aussi avancé à indiquer qu’il n’y aurait plus d’évaluation ministérielle et que la note finale de l’année serait basée sur le jugement professionnel des enseignants. Cette position se défendait puisque plusieurs provinces canadiennes avaient carrément annulé l’année scolaire en cours. Mais voilà qu’au fil du temps, son discours a changé.

Mais avant, soulignons la lenteur avec laquelle le ministère de l’Éducation a mis en place des alternatives éducatives. C’est comme s’il n’y avait pas que le Québec qui était «sur pause». Pendant que les écoles privées fonçaient avec l’enseignement en ligne, le ministre Roberge refusait, sans aucune explication, une offre de la CSBE de partager son expertise de plus de 20 ans d’enseignement à distance. Il aura fallu trois semaines au MEES, en collaboration avec Télé-Québec, pour mettre en ondes un certain contenu éducatif, soit une de plus que La Classe de Marie-Ève qui offrait en ligne chaque jour un contenu précis pour les six années du primaire. Le ministère a aussi mis en ligne un site Internet (l’École ouverte) qui était essentiellement un recensement de contenus Internet déjà existants. Est venue enfin la fameuse Trousse éducative.

Au fur et à mesure des semaines, le discours du ministre Roberge a aussi connu de nombreuses modifications. Des «vacances», on est passé aux «apprentissages facultatifs», aux «apprentissages fortement recommandés» pour arriver aux «savoirs essentiels». Le ministre a aussi ouvert la porte pour que des enseignants puissent demander à leurs élèves de compléter des évaluations qui pourraient modifier à la hausse leur note finale, ce qui est une bonne idée en soit.

Mais sait-on jamais: le ministre va-t-il encore changer d'avis? En effet, les directions d'école et les commissions scolaires sont dans le brouillard le plus complet quant aux notes de fin d'année et redoutent un autre changement de position du ministre. Actuellement, entre les branches, on comprend que M. Roberge va reculer sur ce qu'il a dit. On commence à entendre que le ministère va demander l'enseignement de nouvelles notions et que les enseignants se remettent même à évaluer formellement les élèves comme facteur contraignant pour susciter une certaine motivation chez eux. Devant le manque de motivation intrinsèque des jeunes, on revient à la pédagogie de la note. Et comme enseignant, je vais être gêné de défendre ce nouveau changement du ministre devant un élève ou ses parents. 

Actuellement, les écoles primaires devront ouvrir leurs portes selon les régions pour, entre autres, «consolider les apprentissages» des jeunes et toutes les écoles du réseau public ont pour consigne d’assurer un enseignement à distance d’ici peu (ce qui constituera une double tâche au primaire). Au secondaire, certaines écoles planchent déjà sur un horaire de classe en temps réel avec un contenu de «savoirs essentiels» qui n’est pas encore déterminé et qui ne peut être évalué si on se base sur les derniers propos du ministre.

Bien des questions demeurent en suspens. Les jeunes seront-ils obligés d’assister à ces cours en ligne? Si oui, qui fournira l’équipement à ces derniers d’ici la mi-mai? On sait qu’une recension du matériel électronique des familles ayant des enfants à l’école a eu lieu la semaine dernière. Mais les 15 000 appareils commandés par le MEES arriveront-ils à temps et surtout suffiront-ils à couvrir tous les besoins? Les enseignants devront-ils prendre les présences lors de ces fameux cours s’ils sont synchrones? Et surtout, que fera-t-on avec tous ces jeunes qui se sont trouvé un emploi ici et là? J’ai même une élève de 12 ans qui a déniché un emploi de «jeune gardienne» pour tout le mois de mai.

Le ministre ne semble pas réaliser tout ce qu’il demande au réseau de l’éducation. Au primaire, quoi qu’en disent certains de leurs représentants, les directions d’école sont exténuées et M. Roberge ne cesse de leur en ajouter sur les bras. Au secondaire, on navigue à vue avec des jeunes qui ont bien souvent décroché avec tous les signaux contradictoires qu’il leur a donnés. Tout cela pour cinq semaines de classe qui s'apparentent à du confinement scolaire au primaire et à de la perte de temps pour plusieurs  au secondaire.

Quand on discute autour de nous, qu'on soit membre du personnel, directeur, directeur-général, on voit bien qu'on nage dans l'incohérence et l'improvisation. La CAQ fait même des miracles: un employé à risque le mardi devient sans danger le mercredi. Mais tout cela n’est pas grave. Inconscient de toutes ces réalités, celui qui a été enseignant pendant des années peut compter sur un personnel «docile et obéissant» pour réparer ses erreurs aux yeux du grand public qui n'y voit que du feu.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Parlant des 15 000 iPads, voici ce que j'ai su par ma commission scolaire. Tout d'abord, ce sont les commissions scolaires qui doivent les payer à même leur budget. Ensuite, ils ont jusqu'au 15 mai pour les commander et il faut prévoir un délais de deux semaines pour la livraison. Finalement, notre service des TICS dit qu'ils ont besoin d'un autre deux semaines pour préparer ces iPads. Bilan de l'histoire, des iPads dans les maisons pour le 15 juin… Plus ridicule que ça…

Anonyme a dit…

Pour le refus du ministre Roberge pour l'aide à l'enseignement à distance, je n'y vois qu'une seule raison: il avait déjà prévu dans son plan de match que les élèves reviendraient à l'école et il fallait que les élèves retournent "physiquement", sinon il se retrouverait avec le fameux problème des travailleurs qui auraient besoin de "gardiennes" pour retourner au travail. Bref, l'enseignement à distance efficace aurait déraillé son retour forcé des enfants dans les écoles...

Anonyme a dit…

Anonyme 1: je cherche à valider votre information. Elle m'apparaît crédible pour qui connaît le réseau scolaire.

Anonyme: c'est tellement méchant... que ça pourrait être vrai.

Justin a dit…

Pis ça, c'est si, et seulement si, les services STIC de la commission scolaire "permettent" les iPad... par exemple, la csdgs a pris la décision, il y a déjà plusieurs années, de NE PAS permettre les apparails MAC sur son réseau pédagogique (tu peux les brancher "invité" mais tu es limité). Rendu là! 😅

Anonyme a dit…

Justin: effectivement, dans certaines CS, les produits Appel ne sont pas bienvenus.

PM

Anonyme a dit…

En fait, un budget spécial a été alloué aux commissions scolaires pour l'achat des iPad.
Mais je confirme qu'il n'y en aura pas suffisament.

Anonyme a dit…

Les budgets envoyés par le ministère peuvent être utilisés pour des Chromebook ou autre

Anonyme a dit…

Anonyme 1: ça, je m'en doutais. Dans un groupe, j'avais 4 élèves sur 29 sans appareils. Dans un milieu favorisé. Et dans la mesure où l'enseignement en ligne devait commencer le 11 mai...

Anonyme 2: Ok. Merci de la précision.

Anonyme a dit…

Devant cette fracture numérique et la demotivation des élèves je demande le minimum à mes eleves. 15 minutes de travail par "bonification", j'indique toujours que le travail est facultatif et je reste asynchrone.

Mon école est défavorisée, rien n'indique que mes élèves aient autre chose que leur téléphone, plusieurs ont un grand nombre de frères et soeurs pour parfois un seul appareil à la maison (ou zero, et parfois pas d'accès à Internet) et leur situation financière fait en sorte que plusieurs ont des emplois.

Par souci de justice, je ne vois pas comment je peux enseigner à ceux qui sont là et "tant pis pour les autres".

Trop d'improvisation...