12 septembre 2020

La vision embuée du ministre Roberge

Il n'y a pas que les enseignants et le personnel scolaire qui ont de la difficulté à bien voir dans le cadre de leurs fonctions à cause de leur protection oculaire qui est souvent remplie de buée: le ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, qui a pourtant omis de porter une visière ou des lunettes lors de ses récentes visites d'élèves en classe, semble lui aussi manoeuvrer en plein brouillard.

En effet, conformément à la volonté du Premier ministre François Legault, volonté en réaction à des pressions populaires, les activités parascolaires pourront reprendre dès lundi dans les écoles primaires et secondaires des régions où tout se déroule bien. Pourtant, pour qui suit un tant soit peu la situation sanitaire, une telle déclaration n'a aucun sens. Soit le gouvernement québécois ne comprend rien de ce qui se passe actuellement dans plusieurs écoles de la pas si Belle Province, soit il prend des distances importantes avec la réalité pour des raisons politiques, faisant peu de cas de la santé des élèves et des gens qui travaillent dans nos écoles.

Tout d'abord, comment le ministre Roberge peut-il affirmer que la situation est «maitrisée» dans nos écoles alors que le gouvernement auquel il appartient ne dispose d'aucune donnée fiable sur les différents cas de contamination en milieu scolaire? Il faut être bien imbu de soi pour croire maitriser un virus comme celui qui nous afflige. Le ministère de la Santé, Christian Dubé, faisant preuve d'un peu plus d'humilité, a préféré suspendre la publication en ligne d'une liste concernant ces cas, jugeant que celle-ci n'était pas de «qualité». En Ontario, une telle liste est produite quotidiennement depuis la rentrée pour les écoles et les garderies.

Disposer d'informations dûment vérifiées est essentiel dans la prise de décisions dans le contexte dans lequel nous vivons. Soulignons que c'est une initiative citoyenne qui donne actuellement le meilleur portrait de la situation du covid dans les établissements d'enseignement au Québec. À lui seul, un individu disposant de peu de ressources fournit un résultat supérieur à deux ministères réunis. Pourquoi a-t-on encore une fois une impression de malaise et d'improvisation? Pourquoi a-t-on encore une fois cette impression que ce gouvernement, en éducation, est toujours deux semaines en retard sur la pandémie? À cet égard, il est consternant d'entendre le Premier ministre tenter de discréditer ce site en remettant en question la fiabilité de ses informations alors que ses propres fonctionnaires sont incapables de faire mieux. Mais on commence à comprendre que M. Legault a le commentaire aigre quand on le prend en défaut.

Dans ce texte, les propos du Dre Joanne Liu explique très bien en quoi les stratégies du gouvernement québécois soulèvent de nombreuses interrogations. Ainsi, il faut se servir des vagues creuses des épidémies pour se préparer pour les prochains coups. Force est de constater que le ministre de l'Éducation a proposé un plan bien en retard, comme s'il avait pris de longues vacances cet été, et a demandé au réseau scolaire de mettre les bouchées doubles par la suite. 

Ensuite, Mme Liu mentionne que la transparence et la cohérence sont des éléments importants pour établir un lien de confiance entre le gouvernement et la population. Tout comme au printemps 2020, ces deux éléments semblent encore absents en ce moment. En ce qui concerne la transparence, des représentant du ministère de l'Éducation ont songé, un moment, à ne plus tenir une liste officielle des écoles ayant des élèves atteints de la covid pour des raisons de confidentialité rattachée aux individus touchés. Après avoir annoncé leur fermeture devant des risques d'éclosions, les cégeps de Rivière-du-Loup et de Rimouski, tout comme le Centre matapédien d'études collégiales et l'Institut maritime du Québec se sont refusés à tout autre commentaire et ont avisé qu'ils n'accorderaient aucune entrevue aux médias. Quand le ministre Roberge nous parlait du «défi de la transparence», on ne croyait pas que ce serait aussi difficile. Quant à la cohérence, on revit en éducation un mode de gestion qu'on aurait souhaiter ne plus connaitre: une liste d'écoles bourrée d'erreurs, des directives changeantes, des bulles inexistantes... 

Enfin, Mme Liu, qui sera appelée à travailler à l'OMS, indique qu'«une réponse à une pandémie est un exercice d’humilité et la seule chose pour laquelle on a des certitudes, ce sont nos incertitudes. C’est pour cela qu’il faut être extrêmement modérés dans nos propos.» Quand on écoute M. Roberge, on comprend rapidement que l'humilité et lui sont deux réalités bien distinctes.

Mais faut-il se surprendre du ton de l'annonce du ministre de l'Éducation concernant les activités parascolaires quand on se rappelle à quel point il était confiant que la rentrée de septembre se déroulerait aussi bien que le retour en classe du 25 mai? Est-ce par incompétence ou par calcul politique, mais le ministre omettait que celle-ci s'était déroulée dans un contexte particulier: mesures sanitaires beaucoup plus strictes, nombre d'élèves réduit, ouverture dans des régions peu touchées par la pandémie. Bref, des éléments qu'on retrouve peu ou pas dans ce que nous vivons. Avec ses 239 écoles ayant au moins un cas positif et deux écoles connaissant une éclosion, le bilan du Québec est, à titre de comparaison, plus lourd que celui de la France. La crédibilité de M. Roberge, du moins ce qu'il en reste, en prend tout un coup dans le réseau scolaire.

Kim Lavoie, professeure de psychologie en médecine du comportement à l'UQAM, qui codirige l’étude internationale iCare sur l’impact des politiques de confinement et de mesures sanitaires,  a des mots très durs à l'égard de la stratégie du gouvernement Legaut en ce qui a trait aux mesures sanitaires concernant les écoles: «Ma seule insatisfaction, et elle est grande, concerne le plan de retour à l’école du Québec, qui est totalement inadéquat. Le Québec a le plus de cas au pays, et on a les mesures de prévention à l'école les plus faibles. Et ils n'ont pas le courage d'exiger que tous les enfants portent le masque.»

Dans les écoles, on comprend que la fameuse notion de «bulle-classe» est tellement étirée qu'il ne faudra pas se surprendre qu'elle explose sous peu. Avec les récentes annonces gouvernementales, au secondaire, un même élève pourra maintenant appartenir à un groupe d'apprentissage, mais aussi à deux autres bulles. À cela, il faut aussi ajouter la bulle «autobus scolaire» matin et soir. Dans le cas d'un programme sport-étude, un élève pourra aussi appartenir à une autre bulle «autobus scolaire» en journée pour se rendre à son lieu d'entrainement. C'est à se demander pourquoi on exige des enseignants qu'ils se déplacent de classe en classe pour éviter que les élèves multiplient les contacts alors que ces derniers, appartenant dorénavant jusqu'à cinq bulles, peuvent également côtoyer des jeunes autres que ceux de leur bulle d'apprentissage durant les battements et au diner.

Bref, plus que jamais, on comprend que la notion de bulle du ministre Roberge est de la «bulle-shit» politique. Sur le terrain, on a l'impression d'être les dindons d'une gigantesque farce: celle où un gouvernement se dédouane politiquement aux yeux de la population en imposant, sous le couvert de la science, aux différents acteurs scolaires des mesures improvisées qui n'ont aucun sens. Le ministre Roberge l'a d'ailleurs clairement signifié: tout dérapage relève de la responsabilité de ceux qui n'appliquent pas correctement les mesures qu'il a édictées.

Entre les lignes, on voit que certains directeurs-généraux des CSS peinent à contenir leur frustration, tout comme plusieurs directions d'école et enseignants. On revit exactement le même mode de gestion brouillon et approximatif qu'il y a six mois. Et les dindons de cette gigantesque farce ont l'impression qu'ils retourneront  en confinement - quel hasard - après l'Action de Grâces. 

Pour ma part, je crois que ce gouvernement ne pourra se résoudre à fermer les écoles. Il veut trop plaire aux parents, aux travailleurs et aux entreprises. On ira donc de fermeture temporaire de groupes en fermeture temporaire d'écoles. Une même classe pourra être fermée une, deux, trois fois au cours de l'année. On aura des élèves en isolement sans enseignement à distance qui finiront par décrocher faute de suivi adéquat avec tout ce rythme chaotique.  

Après les infirmières et les préposés aux bénéficiaires, les enseignants et tout le personnel scolaire seront assurément les prochains anges gardiens. Peut-être même davantage des gardiens. Après tout, c'est là leur principal rôle actuellement.




10 commentaires:

Anonyme a dit…

Et quel aveuglement de la part du bon peuple qui porte aux nues le premier ministre et ses illustres ministres

Le professeur masqué a dit…

Actuellement, le seul ministre qui m'intéresse est M. Dubé. Plus on va tester et assurer un suivi, plus ça va aider. Il est regrettable que JF Roberge saborde tous les efforts de son confrère. PM

Mathieu Mercier a dit…

Petite coquille à la fin : chaotique.

Excellent texte

Le professeur masqué a dit…

M. Mercier: corrigé. Merci de votre commentaire. J'hésite entre penser que je me défoule ou que je fais oeuvre utile. :)

Anonyme a dit…

Le principal problème avec la confusion du discours gouvernemental est l'incapacité à laquelle nous sommes tous réduits de poser calmement des questions essentielles. Par exemple, celle-ci: Qu'est-ce qui, pour les enfants, est le plus dommageable? Se retrouver dans un contexte où ils peuvent être exposés au virus ou manquer des semaines, voire quelques mois d'école?
Par ailleurs, je suis en désaccord sur la question de la transparence. Être transparent, c'est d'abord tenir un discours clair, cohérent et constant. Ce n'est pas fournir des chiffres, et encore des chiffres (qu'ils soient précis ou pas) et indiquer qu'il y a un cas de COVID dans l'école X ou Y. Être transparent, c'est fournir une analyse claire de la situation. Rendre publics une multitude de chiffres ne le permet pas nécessairement. Cette obsession du droit de savoir s'il y a un enfant malade dans l'école où vont mes enfants tient de la maladie collective. Elle entretient une peur qui empêche de penser correctement et qui prépare le terrain pour la désignation de boucs émissaires.
Personnellement, j'ai trois enfants dans trois écoles différentes et je préfère nettement qu'ils poursuivent les classes avec leurs collègues plutôt que de les entendre pester au sous-sol contre les "cours" à distance en critiquant les caractères absurdes et ennuyeux de ce que l'on exige d'eux - quand ils arrivent à le comprendre. Mon souci n'est pas la sauvegarde de l'économie (même si la question est légitime et doit être posée), mais celle de la qualité de l'éducation transmise à mes enfants: l'enseignement à distance ne convient pas à des jeunes du primaire et du début du secondaire. De nombreux apprentissages se font mal ou ne se font pas. Pour quelqu'un qui croit encore à l'école et à sa mission sociale (et c'est difficile avec le gouvernement actuel -ça l'était aussi avec le précédent...), qui croit que l'école est chose sérieuse, il s'agit d'une perte réelle, d'un manque difficilement récupérable pour toute une génération.

Le professeur masqué a dit…

Anonyme: merci de votre long commentaire.

Dans votre premier paragraphe, vous concentrez votre réflexion sur les enfants mais oublier que la rentrée scolaire s'inscrit dans un contexte plus grand: exposés au virus, les enfants peuvent contaminer des adultes, enseignants ou membres de leur entourage. Actuellement, on trouve des études contradictoires sur cette possible transmission. Au minimum, le masque aurait dû être imposer en classe au secondaire comme en Ontario. Pour des raisons politiques, on ne l'a pas fait. La notion de bulle, pour ma part, est pas mal de la fabulation si on regarde la réalité. De plus, au secondaire, la qualité de l'air dans les écoles est douteuse.

Je souris quand je remarque que bien des gens se soucient depuis peu de l'éducation des jeunes, le réseau national jamais été aussi déstructuré et en mauvais état. Quand cette crise sera finie, je doute que certains continueront à se soucier de ce que leurs jeunes font comme apprentissage. Ce qui ne semble pas être votre cas. À cet égard, la mère d'un jeune suspendu pour mauvais comportement à l'école ne s'inquiète pas de ses résultats scolaires mais de qui va s'occuper de lui à la maison... Elle a engueulé la secrétaire et l'adjointe au lieu de s'occuper de son jeune. Ça me décourage.

Si vous avez raison sur le fait que des chiffres ne valent pas un discours clair et cohérent, le problème, quant à moi, est que nous n, avons ni l'un ni l'autre... Ces chiffres doivent être compilés pour évaluer si la stratégie du gouvernement est efficace. Dans une pandémie, c'est essentiel. Actuellement, avec le nombre d'écoles présentant un cas mais aussi des éclosions, c'est embêtant. Je peux vous certifier que les chiffres du site covid écoles Québec sont incomplets. Mais moins que ce que le gouvernement disait... On n'est donc pas dans le contrôle. M. Roberge ne semble pas le réaliser. Et ce manque de rigueur ou de transparence (un défi que le gouvernement s'était donné) nuit à la confiance.

Je ne suis pas partisan de l'école à distance. Et je travaille fort à établir des liens significatifs avec le pus vite possible. Au cas.

Bonne soirée!

Anonyme a dit…

Je suis épuisée. Une enseignante d'expérience

Le professeur masqué a dit…

Anonyme: Honnêtement, je me maintiens parce que j'ai des bons groupes mais, autour de moi, certains collègues commencent à flancher ou à réduire leurs attentes envers les élèves. Bon courage!

bibconfidences a dit…

Œuvre :-)

Unknown a dit…

Les enseignants deviennent des gardiens au détriment de leur santé. Le risque est dit calculé de la part du gouvernement dans sa fonction paternaliste. Le stress se rajoute nécessairement comme un nouveau fardeau face au projet éducatif à remplir de la part de l'enseignant. Il doit continuer à répondre à des exigences gouvernementales en matière d'objectifs d'apprentissage. Il est mu par les principes fondateurs d'équité et de diversité dans l'enseignement pluriel que représente l'école d'aujourd'hui. Cette éthique de base de l'enseignement peut-elle être adéquatement respectée par l'enseignant dans ces conditions plus que contraignantes? Comment l'enseignant peut-il s'adapter en conservant l'application d'une éducabilité universelle?