Le balancier commence à bouger de l'autre côté. Prévisible.
Ainsi, Radio-Canada a appris que la Commission scolaire de Montréal (CSDM) veut «revenir à une mùnière «plus traditionnelle d'enseigner et d'évaluer le français. (...) Ils (les direction et les enseignants) envisagent de redonner plus de place à l'acquisition des connaissances, par opposition à l'apprentissage des compétences.»
Pour le lecteur moyen, je tiens à rappeler comment la réforme a été vécue dans mon école. «On» nous a tout d'abord expliqué aux enseignants que l'enseignement magistral était dépassé, que l'évaluation des connaissances de façon décontextualisée (des examens avec du par coeur et exercices) était antipédagogique et que je n'avais pas à coeur mes élèves parce que je faisais des dictées au lieu de faire des projets. Qui est ce «on» dont je parle? Des conseillers pédagogiques et des décideurs scolaires qui ont suivi des formations sur la réforme afin de pouvoir l'implanter dans mon milieu.
Pour ce faire, «on» s'est assuré de me couper tous les moyens de mantenir mon enseignement. «On» a aboli les sessesions d'examens pour s'assurer que je n'évaluerai que des projets, «on» a foutu à la casse les lecteurs optiques pour m'empêcher de tenir des examens à choix de réponse, «on» a modifié les logiciels d'entrée des notes pour m'empêcher de faire une note à partir de multiples évaluations, «on» m'a imposé des échelles de compétences en évaluation pour baliser les résultats que je donnais aux élèves. Et, après, «on» m'a affirmé sans rire que la réforme me donnait plus de liberté dans mon évaluation ainsi que dans mon enseignement et que, si j'étais vraiment un professionnel je saurais en profiter!
J'ai donc lutté, écrit, parlé, dénoncé ces dérives. À l'école et en classe, j'ai dû travaillé plus fort contre ce système pour maintenir un enseignement auquel je croyais et qui fonctionne. Cet enseignement est simple: les connaissances précèdent les compétences. Et avant de vouloir apprendre à un élève à développer certaines compétences, on doit tout d'abord s'assurer qu'il possèdent de solides connaissances. Je ne dis pas que le système qui précèdait celui qu'on m'a imposé était meilleur; il n'était pas mieux pas pire pour bien des raisons.
J'enseigne le français depuis 16 ans. J'enseigne des compétences depuis 16 ans: savoir écrire, savoir lire, savoir parler et savoir écouter. Le programme de français est tout ce qu'il y a de plus réforme en ce qui concerne les évaluations finales. Pendant 15 ans, en cinquième secondaire, j'ai travaillé avec des élèves souvent très faibles en écriture et je les ai amenés à mieux maitriser ce mode de communication.
Au-delà des excellents résultats de ceux-ci aux différents examens ministériels, j'ai surtout vu qu'ils commençaient à comprendre les mécanismes de la langue française et à apprendre par eux-mêmes. Ce qui manquait à ces jeunes? Des bases, des bases solides sur lesquelles construire. Connaitre les classes et les rôles des mots, par exemple. Et des méthodes: méthode pour étudier, méthode pour écrire, méthode pour corriger... Comment peut-on écrire correctement un texte quand on s'imagine que le nom «pied» est un verbe parce qu'il se termine par le son «é»?
L'utilme compliment m'est d'ailleurs venu cette semaine quand ma collègue de deuxième secondaire, qui n'est pas reconnue pour sa complaisance et qui a accueilli mes élèves de l'an dernier, m'a dit: «Je ne sais pas si c'est un hasard, si c'est que tu as fait à tes élèves, mais ils sont bien plus forts qu'à l'habitude.»
Pendant les années ou on a voulu me réformer, ce qui m'a étonné dans mes formation, c'est à quel point j'étais «réforme» dans mes évaluations finales en écriture, à quel point j'étais «réforme» dans les méthodes et moyens que je donnais à mes jeunes.
Récemment, j'ai suivi une formation sur le profil du scripteur. Des conseillers pédagogiques, des profs qui expérimentent depuis trois ans un nouveau projet pour améliorer les capacités d'écriture des jeunes. Tout au long de cet atelier, j'ai regardé une collègue. Dans nos yeux, une seule phrase: «Mais on fait déjà cela depuis dix ans dans nos classes!»
Voilà qu'on ramène maintenant véritablement l'enseignement des connaissances dans les écoles. Bravo! Mais ce ne doit pas être que cela. Les connaissances ne s'opposent pas aux compétences; elles les précèdent. Et la réforme, par son enseignement par projet par exemple, a souvent fait table rase de cette idée.
9 commentaires:
Dans la nouvelle orthographe le mot "nénuphar" s'écrit "nénufar": le ph est remplacé par un f. Or, le mot "orthographe" ne perd pas son PH pour un F: quelqu'un peut m'en expliquer le pourquoi de?
En tant qu'administrateur scolaire depuis peu, je constate qu'il existe un dogme de la réforme et que toute tentative de remise en question de cette dernière doit être combattu avec toute la véhémence dont peuvent être capable les nombreux conseillers pédagogiques et autres administrateurs qui s'abreuvent à l'auge de cette dernière.
C'est un constat qui m'attriste d'autant plus que la discussion est fermée avant même d'avoir débuté. Je suis heureux de voir qu'il y a peut-être un peu de lumière au bout de ce long tunnel.
Bobby: il y a des sites internet sur la nouvelle orthographe qui te l'expliqueront.
Barbare: tu vois, même un commentaire comme le tient va être combattu par les tenants de la réforme... C'est bien pour dire.
L'un des problèmes importants demeure celui du matériel pédagogique. Au primaire, la majorité du matériel est construit par projet! Enseigner des connaissances avec un matériel inadéquat ne facilite pas les choses.
Les problèmes sont loin d'être réglés! Mais c'est déjà un peu mieux!
Ce que je trouve drôle, c'est que malgré le fait que la Réforme soit en place depuis belle lurette au primaire, les pratiques pédagogiques n'ont pas vraiment changé !
J'en suis témoin à tous les jours, en tant qu'orthopédagogue.
L'enseignement des connaissances ? Ça a toujours existé ! Les dictées de la Ministre ? Elles ont toujours eu lieu ! D'ailleurs, il n'y a qu'à se promener dans une école primaire, un vendredi matin, période idéale pour le "contrôle de la semaine"...
On parle de dérive ? Pourtant, le bateau n'a jamais pris la mer ! ;-)
M. Bissonnette: je partage votre avis.
Lucie: les évaluations finales sont réformes, le matériel est réforme... Pas normal que j'ai des élèves doués qui ne connaissent rien des classes de mots alors¨que ce n'était pas le cas pour ma collègue avant la réforme à son niveau. Les projets prennent un temps fou et grugent sur le temps d'enseignement des connaissnaces oparfois.
J'aime bien le «les connaissances précèdent la compétence», car c'est d'une évidence. Mais bon, faudrait pas donner à la réforme le laurier de cette approche parce qu'elle a mis le mot compétence dans nos bouches. En 1981, le programme de français proposait la démarche suivante: pratique, objectivation de la pratique et acquisition de connaissances. Ce qui est clair, c'est que l'acquisition d'un réseau de connaissances va permettre dans le cas de l'écriture de corriger la syntaxe et l'orthographe en situation d'écriture en ayant recours tout au long de l'écriture dans un dialogue intérieure de correction.
Pour moi, la nouvelle grammaire qui pêche par son manque de simplicité n'a pas facilité la transmission de ce réseau de connaissances important. Ensuite, d'avoir délaissé des pratiques courantes comme l'analyse grammaticale et logique n'a pas aidé non plus.
A Lucie, je l'entendais celle-là aussi déjà en 1993 quand j'étais en formation: la réforme du programme de 1981 n'a pas marché parce que les profs ne l'ont pas appliqué...
Comme le soulève bien maintenant prof masqué et Steve, la différence, c'est que maintenant on tente de nous empêcher de dévier du dicta de toutes les façons, notamment en nous mettant dans les mains des cahiers et des manuels assez mal pensés pour renforcer les réseaux de connaissances qui permettent le développement de la compétence qui est de les utiliser adéquatement en situation de performance de la compétence...
L'art de se mordre la queue en éducation est une pratique fascinante...
Si on n'avait pas eu la sombre idée de faire de nos enfants des petits adultes très informés de leur droit de ne rien foutre, on pourrait encore leur faire faire, sans qu'ils leur viennent même à l'idée de dire «c'est plate» et «à quoi ça sert?», leurs gammes nécessaires en jouant de milles et une manière et en leur faisant apprendre leurs verbes, leurs tables, leurs divisions, leur habileté à jouer avec des fractions, puis leurs bases grammaticales. On leur ferait apprendre à retenir au lieu d'apprendre à apprendre qui est un truc d'apprenant plus mature...
On est tellement occupé à les faire connaître les solides, les sciences, les planètes, les pays, à leur faire faire de la résolution de problèmes en math alors qu'il n'ont même pas ce qu'il faut mentalement, qui sont du stock de secondaire dans des projets à n'en plus finir. Épurer le primaire aux bases et à des apprentissages de l'âge du primaire et on arrivera préparé pour affronter le secondaire. Apprenez-leur à mémoriser rapidement des trucs simples, à écouter, à se tenir tranquille, à ne pas discuter pour se rendre intéressant quand on n'a pas l'âge de dire des choses intelligentes... Apprenez-leur ce qu'est une école qui instruit au lieu de perpétuer la garderie...
Et nous irons quelque part...
Avec leur connerie de devoir montrer le sens des apprentissages et le sens des projets à des enfants qui nous suivraient bien sans tout cela... On en a fait des dégâts.
La stupidité précède les désastres!
"Et avant de vouloir apprendre à un élève à développer certaines compétences, on doit tout d'abord s'assurer qu'il possèdent de solides connaissances."
C'est pour moi aussi une évidence. Ça fait du bien de le lire, je me sens toujours moins seule à le penser lorsque je rencontre quelque part ce point de vue. L'enseignement du français particulièrement (mais je le pense aussi pour la plupart des matières, sinon toutes) demande une rigueur certaine, et ce n'est pas par l'enseignement de soi-disant compétences que les jeunes apprendront à s'exprimer, à maîtriser et à aimer leur langue. J'ai souvent pensé qu'un des problèmes majeurs de l'enseignement de cette matière était la qualité des enseignants, la façon de l'enseigner.Était-ce mieux avant? Je ne crois pas. Ça doit faire 15 ans que je lis des cris d'alarme dans les journaux sur la qualité du français des élèves et des étudiants. La réforme n'était certes pas une solution. Mal visé. Le problème existait avant, il existe manifestement toujours. Est-ce donc un programme qui peut changer la donne? La matière demeure la même, la nature des mots ne change pas, ni leurs règles d'agencement. L'orthographe -ancienne ou nouvelle - n'est pas le problème le plus criant. Elle non plus ne change pas tant que ça de toute façon. Le problème est soit 1) qu'on ne forme pas assez de spécialistes de la langue, que les enseignants eux-mêmes de maîtrisent pas la matière 2) que certains maîtrisent la matière sans savoir l'enseigner ou la "désorcelliser" (néologisme signifiant être capable de rendre le français pas si sorcier). En tout cas.
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