14 novembre 2010

Les mauvais parents, eux? (la suite 1)

Lors que j'ai écrit ce billet sur l'attitude de certains parents quant à l'école, je savais que je touchais un sujet tabou. Après sa publication dans un quotidien montréalais, j'ai été surpris de voir les nombreuses réactions qu'il suscitait chez les lecteurs de celui-ci. Majoritairement, on reconnaissait qu'il existe des parents dont il faut questionner l'action ou l'inaction dans la scolarisation et l'éducation de leur progéniture.

Ma plus grande surprise est survenue lorsque le premier ministre du Québec reprenait une idée similaire, avec plus de maladresse ou moins de nuance, quelques jours plus tard. Là, ce fut un torrent de réactions. Le sujet a été abordé dans plusieurs émissions de radio.

Je veux revenir, l'espace de quelques billets, sur le sujet abordé dans ce texte mais aussi sur les réactions qu'il a soulevées parce que tout cela me semble bien caractéristique du monde de l'éducation au Québec.


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Comme je l'écrivais, il ne faut pas généraliser: il existe de bons parents au Québec qui ont à coeur le succès et le bien-être de leur enfant.

Hier, je discutais au téléphone avec le père d'un de mes élèves. Ce jeune - appelons-le Pierre - est inscrit dans un programme enrichi tout en ayant un déficit d'attention majeur et un comportement à la limite du syndrome de La Tourette. On peut être TDAH et performer. L'un n'exclut pas l'autre. Sauf que l'enfant doit avoir été dépisté, diagnostiqué, suivi et encadré correctement à la maison (tout comme à l'école). Bref, un sacré travail au quotidien pour les parents.

Ont-ils le choix, me direz-vous? Si vous vous posez la question, c'est que vous êtes animé d'une véritable flamme parentale. Parce que des parents qui n'ont pas le comportement du père avec qui j'ai discuté, il en existe aussi. Leur première faille consiste souvent à ne pas admettre la différence de leur enfant.

Un cas. Un seul parmi d'autres. Appelons-le Nicolas, cette fois-ci. Sa mère refuse systématiquement d'admettre que son enfant souffre d'un problématique relevant, à mon avis, de la psychiatrie. Résultat: celui-ci a un retard scolaire incroyable mais surtout, parce qu'il est totalement inadapté à la vie en groupe, finit par être rejeté par les autres. Systématiquement. Je plains cet enfant dont la vie n'est fait que d'échecs parce qu'un de ses parents ne veut pas voir la réalité. Or, être parent exige parfois le dépassement de soi, de ce qu'on est, de nos peurs.

D'autres cas, tenez. Ces parents qui tentent de camoufler ou de cacher les «différences» de leur enfant lors du passage de celui-ci au secondaire. Comme si, par magie, il cesserait de devenir dyslexique ou hyperactif parce qu'il a réussi son primaire! On peut comprendre la crainte qu'un enfant soit étiqueté, mais on ne lui rend définitivement pas service en niant la réalité. Certains vont jusqu'à jouer à l'apprenti docteur en coupant ou modifiant la posologie de sa médication sans consulter qui que ce soit: «Il est au secondaire. C'est différent..»

Actuellement, c'est la saison de la chasse. Oh oui! je suis à la chasse au dossier scolaire primaire de certains de mes jeunes. Trop d'interrogations, trop d'observations m'amènent à penser que certains d'entre eux n'ont peut-être pas le support, l'encadrement et les services dont ils auraient besoin pour réussir parce qu'on «cache des choses».

D'un côté, comme certains de mes collègues, j'ai envie de ne pas m'opposer au mauvais choix que font certains parents. Ce sont eux qui sont responsables de ce dernier, pas moi. S'ils sont assez bêtes pour penser que... De l'autre, je ne peux me résoudre à pactiser avec eux au détriment du jeune que j'ai en classe.

Revenons à Pierre. Dès le début de l'année, il est venu me voir du haut de ses 12 ans: «Je suis TDAH, je suis parfois tannant en classe parce que j'oublie ma médication.» Une démarche saine, normale, assumée. Difficile de ne pas adorer ce jeune et de ne pas vouloir lui donner le meilleur de moi-même.

Dans un contexte comme celui-là, voilà un élève que je pourrai accompagner, aider pleinement. Un exemple bête du support que je pourrai donner à cet enfant: m'assurer qu'il prend correctement en note les devoirs et les travaux à faire dans son carnet scolaire. Son père veillera à la maison que le tout soit fait. De plus, nous avons convenu - par le biais du carnet scolaire - de nous assurer que son fils ira en récupération pour rattraper ce qu'il a «manqué» en classe.

Un autre exemple de suivi que j'exercerai avec Pierre: m'assurer qu'il ait diné. En effet, certaines médications associées aux élèves TDAH leur coupe l'appétit avec pour résultat que ces enfants deviennent intenables dans l'après-midi parce qu'ils ont faim! Quel cercle vicieux!

Il y a deux ans, j'ai accompagné ainsi un TDHA pour qu'il apprenne à diner. Il venait manger en classe avec moi. Au début, il grignotait une carotte. Parfois, il pigeait dans ma boite à lunch un petit quelque chose. Sa mère, avec qui j'étais en contact, s'assurait de toujours placer un fruit et une barre tendre dans son lunch au cas où il aurait faim plus tard dans la journée. Puis, il a commencé à manger davantage pour soudainement disparaitre: «J'mange avec des amis.» J'ai vérifié. Et le plus beau moment de mon année fut quand il est venu me voir un midi, le visage éclairé par une fierté qui illuminait ses traits: «Monsieur masqué, j'ai fini mon premier lunch ce midi!»

Si j'offre un meilleur encadrement à Pierre, je m'attends aussi à ce que ses parents fassent de même. Et je m'attends aussi à ce qu'ils acceptent d'être un peu bousculés à l'occasion:

- À mon avis, vous devriez vérifier que la posologie de la médication de votre enfant soit encore bonne. Et puis, il va falloir trouver un moyen pour qu'il n'oublie pas de la prendre.
- Ben, je vais prendre rendez-vous avec le médecin. Pour les oublis, vous avez une idée parce que je pars avant lui le matin et...
- Il y a une TES à l'école qui pourrait discuter avec lui pour mieux le responsabiliser et l'amener à trouver des solutions. Ça vous dérange si elle le rencontre?

Voilà. Des bons parents, il en existe. Des mauvais aussi. C'est comme les profs. Des bons, des moins bons, des carrément mauvais.

Le problème, c'est que, s'il existe des moyens - limités, je le concède - de remettre en question les mauvais profs, pour les mauvais parents, l'école, elle, est totalement démunie. Je reviendrai sur ce point dans un billet cette semaine.

6 commentaires:

Isabelle a dit…

Pile sur ce que je pense, également.

gillac a dit…

J'ai aimé cette chronique. Je constate dans mon environnement que parfois des couples qui n'auraient pas dû avoir d'enfants en ont et que d'autres ayant ce qu'il faut n'en ont pas pour diverses raisons.

Le professeur masqué a dit…

Isabelle: je me sens moins seul.

Gillac: pourquoi fait-on des enfants? pour soi, pour la norme ou pour eux?

Féadaë a dit…

je recopie ici un commentaire que j'ai laissé sur le Père Blogue, car je crois qu'il est aussi pertinent ici.

Ma belle-fille a énormément de difficulté scolaire. Moi et son père travaillons comme des fous pour lui faire faire ses devoirs de façon amusante ( vu qu'elle en a 2 fois plus que les autres, parce que sa prof nous refile tous les exercices que la petite n'a pas compris en classe..sur notre demande bien sur, ainsi on essaie de les retravailler a la maison pour lui laisser une autre chance de comprendre) mais sa mère s'en fiche. Elle n'a jamais demandé a voir le bulletin. Elle ne fais ni des devoirs , ni des leçons. c'est trop de travail. Madame a un bébé de 15 mois donc elle ne comprends pas pourquoi elle mettrait du temps sur l'école de sa plus vieille (7 ans). Madame préfère aller au parc et ploguer les enfants sur télétoon quand il fait noir.
Ce que ça donne chez nous? La petite préfère voir sa mère, vu que c'est plus facile. Nous en veut de ne pas écouter la tv pendant des heures mais de lui faire répéter sa dictée ou travailler des problèmes de math.
Et nous a envoyer promener quand on l'a inscris a l'aide au devoirs '' parce que sa mère n'aurait jamais fait ça , elle!"
On serre les dents, on crie par en dedans , et on sait que si elle obtient un diplôme de sec 5 , ça va être parce qu'on a pas choisi la solution facile. Parce qu'on a considéré que c'était NOTRE responsabilité en tant que parent de privilégié l'éducation plutôt que les jeux. ( même si on essaie de recouper les 2!)
Et le plus important, on le fais pas pour avoir une reconnaissance , mais parce que on considère que a 7 ans la petite n'est pas assez vieille pour choisir ce qu'elle ''veut ou ne veut pas'' faire.
Donc on choisit pour elle, et malgré le fait que non ça ne lui tente pas!

Le professeur masqué a dit…

Madame Feadaë: que je comprends votre situation pour avoir entendu des parents séparés-divorcés me parler de ce qu'ils vivent et pour avoir vécu une situation différente mais semblable avec ma propre fille. Vous avez mon admiration de persévérer.

Charles Samares a dit…

Excellent billet cher ami!

Je dois t'avouer que malgré sa profonde maladresse dans la communication du propos, je dois avouer que j'ai eu un profond sourire lorsque j'ai entendu les paroles de notre PM (pas toi, l'autre! :)): enfin, un politicien qui ose parler d'une partie de ce à quoi nous nous heurtons!

Je fais, année après année, toujours un grand discours à mes élèves sur l'importance d'impliquer le parent dans leur cheminement scolaire même s’ils sont devenus «grands»! Les parents qui s’intéressent à leur enfant ont assurément un pouvoir plus immense qu'ils ne le croient!

Cependant, j'ignore si tu as eu la chance de lire François Cardinal de La Presse, qui aura certes réussi à me faire réagir alors qu'il se porte à la défense des parents du Québec: il croit que notre pauvre PM va les «démotiver»...

On retourne 10 ans en arrière...