30 mars 2019

Laïcité en éducation: d'une incohérence à l'autre

(Précision: je ne suis absolument pas croyant en quelque religion que ce soit. Même si je suis un fervent partisan de la Sainte Flanelle, j'ai parié il y a deux semaines avec un collègue que la troupe de Claude Julien ne serait pas des séries éliminatoires. On peut donc me décrire comme étant plus un individu lucide que naïf.)

Dans une récente déclaration, le ministre de l'Immigration, Simon Jolin-Barrette, décrit le projet de loi 21 comme étant «pragmatique et applicable». Pour ma part, il m'apparait polarisant et incohérent. Et voici pourquoi.

La polarisation des points de vue

Ce projet de loi est-il bien nécessaire en éducation? Si on s'intéresse à cette question en se basant sur des valeurs et des principes personnels et généraux (laïcité, valeurs québécoises, etc.), on pourrait toujours répondre que oui. Mais si on se base davantage sur des constats pratiques, la réponse est davantage non. Pourquoi?

La première raison est que le nombre d'enseignants portant des signes religieux serait relativement faible. On est très loin d'une obscure mouvance religieuse menaçant l'intégrité psychologique des élèves dans les écoles publiques. Si on voulait véritablement contrer les «dangers» que peuvent représenter certaines religions sur les jeunes, on devrait davantage s'attarder aux écoles illégales et au financement des écoles privées offrant un projet éducatif à valeur religieuse. Sur ce point, le présent gouvernement se trompe manifestement de cible et on peut même se demander comment il continue à financer certains établissements scolaires!  On nage ici dans la dissonance cognitive la plus évidente.

La deuxième raison qui me pousse à me questionner sur la nécessité de ce projet de loi est qu'on n'a aucune indication d'une influence réelle du port de signe religieux sur les élèves.

Avant tout, il faut savoir qu'une telle loi ne ferait rien de plus pour empêcher des cas de «prosélytisme actif». Soulignons également qu'il existe déjà la possibilité d'appliquer des mesures disciplinaires quant aux enseignants dont le comportement aurait manqué de professionnalisme. Dans les faits, on ne relève aucun cas documenté de «prosélytisme actif» provenant d'enseignant portant des signes religieux dans une école publique. Le seul cas de comportement douteux dont j'ai eu personnellement connaissance dans une école était relié à un intervenant scolaire de religion catholique qui portait une chainette avec une discrète petite croix au cou. Ses conseils religieux à une jeune fille venue lui parler d'avortement étaient pour le moins déplacés. Au contraire, j'ai davantage connu des individus portant des signes religieux et à qui on demandait d'en parler afin de mieux comprendre leurs motivations personnelles. Je pense aussi à cette collègue voilée dont la fille était une de mes élèves qui n'avait aucunement l'intention de porter le hijab, contrairement à sa mère. Il s'agit d'exemples anecdotiques, me dira-t-on, mais telle est la réalité que j'ai vécue.

Reste la question de l'influence de ce que j'appelle le «prosélytisme passif», c'est-à-dire la possibilité qu'un élève en vienne à adopter des valeurs religieuses semblables à celles de son enseignant portant des signes qui sont au coeur du débat actuel. J'ai beaucoup de difficulté à adhérer à un pareil argument pour lequel on retrouve peu - soyons à la mode - de données probantes.  Et je souris toujours quand certains commentateurs présentent les enseignants comme étant des modèles d'autorité alors que ce sont les mêmes qui dénoncent le manque de discipline qu'ils exercent dans leur classe. Si d'aventure on souscrit néanmoins à cette thèse, il faudrait alors être conséquent et couper immédiatement les subventions de toutes les écoles religieuses privées de la province, ce que la CAQ ne fera pas. Au contraire, le ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, défend celles-ci alors que les jeunes ne partagent peut-être pas le choix de leurs parents de les y envoyer.

Bref, je ne suis pas convaincu que le Québec soit devant une situation pressante et urgente qui nécessite la suspension d'une liberté fondamentale et je m'interroge à savoir si l'actuel projet de loi ne va pas plutôt braquer les esprits dans un débat démagogique qui renforcera les antagonismes.

Un projet de loi incohérent

Le projet de loi 21 corrige certaines incohérences récentes véhiculées par les ténors de la CAQ, notamment lorsqu'on indiquait que les membres de la direction d'une école étaient libres de porter ou non un signe religieux. Pensons aux propos de la ministre de la Sécurité publique et vice première-ministre du Québec, Mme Guilbault, qui affirmait qu'un enseignant contrevenant pourrait être déplacé à un tel poste. Mais voilà, soudainement, le monde de l'éducation se révèle bien plus complexe que certains semblaient le comprendre.

Une des failles de ce projet de loi est évidemment qu'il ne vise pas tous les intervenants scolaires du réseau public avec lesquels les élèves seront en contact.  Soyons au minimum logique! La présence d'une clause d'antériorité permettant à certains enseignants de porter des signes religieux est en elle-même une contradiction flagrante des principes qu'on entend défendre. Mais en plus d'individus bénéficiant de cette clause, un élève pourrait être sous la responsabilité d'une surveillante, d'un psychologue ou d'une technicienne en éducation spécialisée (une TES) portant un signe religieux. Comment, au nom de la laïcité et de la «protection» de la jeunesse, peut-on interdire le port de tels signes aux enseignants et le laisser à tous les autres membres du personnel d'une école? Ainsi, au cours d'une même journée, un jeune pourrait avoir un enseignant portant la kippa à la première période, rencontrer une TES voilée à la deuxième, être apostrophé par un surveillant portant le kirpan à l'heure du diner, se retrouver avec un enseignant et un orthopédagogue portant la croix dans la même classe à la troisième pour finalement être assis devant un suppléant à qui on interdit de porter un signe religieux à la quatrième. Et dans les écoles alternatives, il pourra même côtoyer des parents portant un signe religieux et qui font du co-enseignement avec un prof!

On réalise encore plus à quel point nos dirigeants ne comprennent pas tout le fatras qu'ils sont en train de créer quand on analyse, par exemple, certains propos du premier ministre, François Legault. Appelé à expliquer pourquoi un même enfant devrait avoir une enseignante non voilée durant la classe tout en étant sous la supervision d'une éducatrice du service de garde voilée après les heures d'école, le député de L'Assomption a indiqué que le service de garde était facultatif, contrairement au service offert par l'enseignante. Pourtant, le surveillant, la psychologue, la technicienne en éducation spécialisée et l'orthopédagogue d'une école que j'ai précédemment mentionnés ne sont pas des services facultatifs et pourront continuer à porter un signe religieux.

Ce n'est pas la première fois, en passant, qu'un représentant important de la CAQ y va d'une réponse  improvisée de la sorte. À quoi peut-on s'attendre d'un gouvernement qui propose d'interdire tout signe «de caractère visible ou non» et qui tente de se montrer rassurant en indiquant qu'il n'y aura pas de fouille à nu? Comment interdire l'invisibilité? Il est embêtant aussi de constater qu'il s'agit parfois de maladresses provenant soit du premier ministre et ancien ministre de l'Éducation, soit de la vice première-ministre, soit du ministre de l'Éducation actuel. Le dernier cas en lice: le bureau du ministre Jolin-Barrette qui a indiqué que les stagiaires en enseignement ne pourront pas porter de signes religieux.  Ils ne sont pourtant pas des employés de l'État visés par ce projet de loi. Oups. De plus, qu'arrivera-t-il s'ils veulent effectuer un stage dans une école privée?

Et puisqu'on parle d'écoles privées, comment l'État qui les subventionne jusqu'à 70% peut-il les soustraire à cette loi? Est-on en train de verser dans la laïcité à deux et même à trois vitesses? Donne-t-on une fois de plus des privilèges aux plus nantis? Une partie de la réponse se trouve-t-elle dans le fait qu'il s'agit surtout d'écoles catholiques?

On comprend, à la lumière de cette analyse rapide et incomplète, que le gouvernement de la CAQ vient de créer davantage de problèmes que d'en résoudre. Comment fera-t-on maintenant pour identifier les employés qui auront le droit ou non de porter un signe religieux? Utilisera-t-on un signe visible ou invisible?

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Et dans un contexte de pénurie, au primaire, il arrive qu’une éducatrice du service de garde soit suppléante en classe pour la journée
Elle enlèvera son voile pour ses heures en tant qu’enseignante?
Beaucoup de choses restent à éclaircir dans ce beau dossier
Pour les écoles privées, le ministre dit que ce ne sont pas des employés de l’état ....d’accord alors la subvention devrait être conditionelle à se conformer aux règles sinon pas de subvention.
Lady

Michel Virard a dit…

Pour une fois, je vais devoir critiquer le professeur masqué. La question fondamentale, en arrière plan de la question des signes religieux à l'école, est l'efficacité du prosélytisme passif par la projection d'images, répétée, jour après jour, auprès d'une clientèle captive, dans le but de créer, justement, une «image» positive de ladite religion, image susceptible d'influencer plus tard des choix de vie. Si nous n'avons pas de données probantes sur ce cas précis, nous avons suffisamment de données probantes sur l'efficacité de la publicité passive pour être très inquiets. Pour cela rien de tel qu'un site du gouvernement qui donne des conseils aux nouveaux entrepreneurs. Pour tout savoir: https://entreprisescanada.ca/fr/gestion/marketing-et-ventes/faire-la-promotion-et-la-publicite-de-votre-entreprise/mesurer-les-resultats-de-votre-publicite/
En résumé, il y a 2 types de publicité, une qui vise un résultat immédiat (ex: «solde du mois, - 20%») et une qui vise à influencer de façon permanente la perception d'une marque. C'est cette seconde qui nous intéresse. La construction d'une «image» de marque vise à ce que le client, placé éventuellement devant un choix, ne se pose pas de question: son choix est subconsciemment déterminé avant même de mettre les pieds dans le magasin. La valeur «par défaut» de sa future décision fera qu'il ne considérera même pas les autres marques une fois dans le magasin. La construction d'une «image» de marque se fait par toutes sortes de moyens publicitaires mais les images passives, non verbales, représentent quand même 900 millions de dollars par an au Canada, sur un grand total de 7 milliards. Si cette publicité d'image de marque est inefficace, alors les grandes agences de publicité sont dirigées par une bande d'escrocs qui vident les poches de leurs clients en échange de services illusoires. je veux bien, mais alors il faut le prouver.
Cela ne veux pas dire que la construction d'une image de marque religieuse va aboutir à des conversions religieuses en masse. Je pense que l'effet sera plutôt une certaine bienveillance à l'égard de la religion ainsi publicisée, ce qui se traduira plus tard par l'acceptation de requêtes qui autrement auraient été rejetées. Cela facilitera certainement l'entrisme d'intégristes dans les institutions, un phénomène qu'on a observé au Québec ici-même avec le clergé catholique. J'en conclus que prétendre que la publicité passive (au frais de l'état) n'a pas d'effet mesurable sur les enfants, une cible tellement vulnérable que la publicité télévisuelle qui leur est destinée est interdite dans plusieurs pays (GB, Suède, Danemark, Belgique... Québec), c'est faire preuve de naïveté envers des idéologies intégristes qui n'ont jamais cessé d'être conquérantes. MV

Anonyme a dit…

Intéressant votre commentaire M. l'enseignant

Effectivement j'y avais pensé, il y a plein de cas comme ceux que vous énumérés ou la loi sera problématique a appliquer.

Mais le point de base ici c'est que le gouvernement...et la population Québécoise dans sa grande majorité essaie de contrôler, faire disparaître, masquer....enfin rendre le plus invisible possible cette IMMENSE bêtise humaine que sont les religions.

Alors oui bien sur comme vous l'expliquez bien, dans son application il y a toutes sortes de problèmes, de cas ou ca peut difficilement s'appliquer.
Mais le point de base c'est : sybole que c'est débiles les religions !




Le professeur masqué a dit…

Anonyme: personnellement, bien des aspects des religions me dépassent.

MV: pour ma part, j'ai toujours cru que la principale réussite de la publicité a été de se vendre elle-même. Publicité passive comme manoeuvre de positionnement? Le Québec est recouvert de nos religieux, d'églises et autres éléments religieux catholiques et pourtant cette religieux est en sérieuse perte de vitesse. Dans une école, on n'arrive à peine à motiver les élèves à adopter des comportements attendus, même avec des campagnes positives et certaines mesures de renforcement... Je ne sais pas. Ce que je sais, par contre, est qu'il existe des écoles privées au Québec financées majoritairement à même nos taxes et où le projet éducatif est basée sur des valeurs religieuses. Elles sont majoritairement catholiques et ne sont pas inclues dans le projet de loi. Ça, ça m'embête et me donne l'impression que celui n'est pas pour la laïcité. Il est pour la laïcité en autant que ça ne touche pas trop une certaine religion.

En éducation, le système a bien d'autres défis plus pressants que de gérer ce «x ième» problème, croyez-moi.