28 mai 2020

JFR ou à la recherche du temps perdu

Chaque crise agit comme un révélateur, ai-je écrit. En éducation, avec la pandémie actuelle, on l'a vu de multiples façons.

Actuellement, de nombreux intervenants se demandent si le ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, est vraiment à sa place et s'il ne travaille pas surtout à essayer de réparer les pots qu'il a cassés comme gestionnaire.

Lorsque la fermeture des écoles a été décidée le 13 mars, le ministre a su adopter le bon ton. Rassurant, calme. C'est un arrêt semblable à des vacances. Après tout, le Québec était sur pause.

Le problème est que le MEES aussi a semblé demeurer sur pause. Au retour de ces deux semaines, on se serait attendu à un plan de match précis ou, tout au moins, à des scénarios prêts à être mis de l'avant rapidement. On se serait attendu à ce qu'un travail préalable ait déjà été effectué. Comment les directions des écoles privées ont-elles pu amorcer un enseignement à distance aussi rapidement alors que le ministre en était encore aux apprentissages facultatifs? L'absence d'appareils électroniques au secteur public et la présence d'une bonne culture numérique au secteur privé n'expliquent pas tout. Comment une petite entreprise de services scolaires a-t-elle pu mettre en ligne des cours chaque jour de la semaine alors qu'au ministère, on en était encore à des hypothèses et des annonces?

Il s'est écoulé un temps incroyable avant que le MEES se mette en action et que des alternatives soient offertes aux élèves et aux parents, que des consignes claires soient données aux enseignants et aux directions d'école. On n'en fera pas la liste ici.

Les émissions de Télé-Québec? Pour le secondaire, trop peu, trop tard. La plateforme École ouverte, une «référence» en télé-enseignement selon le ministre? Tout au plus une vague recension de sites déjà existants. La trousse pédagogique? Hey misère... Mieux que pas de prof du tout. Utiliser la plateforme en ligne du centre de services Beauce-Etchemin? On vient de signer une entente à cet effet, deux mois après que le directeur de celui-ci l'ait offerte à tout le réseau scolaire. On ne comprend pas. Ça ressemble à la malaisante saga des climatiseurs dans les CHSLD.

Dans les faits, bien des enseignants étaient prêts à aller de l'avant, mais on leur demandait d'attendre ce qui viendrait de Québec. Parce que jamais l'emprise d'un ministre n'a été aussi grande sur le réseau scolaire. Avec les aléas qu'on a vus.

Au cours des derniers mois, le ministre a voulu se donner beaucoup de pouvoirs, mais il n'a pas su quoi en faire. À sa défense, ce dernier semblait épuisé. Pendant un moment, j'ai même pensé qu'il avait contracté ce fameux virus.

Encore une fois, à ceux qui répondront qu'il est facile d'analyser une situation après coup, on rappellera ce qui a été fait plus tôt dans d'autres provinces canadiennes. L'Ontario, par exemple, n'a pas tardé avec l'enseignement en ligne et la remise d'appareils électroniques. Dans chaque cas, dans chaque province, une décision a été prise rapidement: on continue en télé-enseignement ou on ferme.

Au Québec, la façon dont le ministre Roberge a géré cette crise n'a réussi qu'à insatisfaire tout le monde et brûler le personnel scolaire à force d'hésitations et de contre-ordres. Prépare des écoles primaires pour une rentrée. Retarde la rentrée. Annule la rentrée. Dans la région du Grand Montréal, la situation était tellement prévisible qu'un journal satirique annonçait que M. Legault organiserait une conférence de presse pour annoncer qu'il ne dirait pas tout de suite qu'il annulerait cette rentrée... Elles ne pourront jamais le dire, mais bien des directions d'école sont épuisées. Même dans les hautes sphères des centres de services, on est excédé. La crédibilité du ministre n'a jamais été aussi  basse.

Alors, depuis le 27 avril, M. Roberge semble en mode «rattrapage».

  • Il annonce des apprentissages obligatoires mais sans conséquence s'ils ne sont pas faits pour la plupart des élèves, élèves qu'il blâme d'avoir décroché et déniché un emploi plutôt que de ne rien faire. À juste titre, la leçon de morale est mal passée auprès de bien des jeunes et des parents.  
  • Il annonce 15 000 appareils électroniques dont le nombre ne suffira pas et qui arriveront dans certains cas dans les mains des jeunes à la mi-juin. Et tant pis pour les élèves qui voulaient améliorer leurs résultats...
  • Il oblige les enseignants à donner leur prestation de travail en télé-enseignement sans s'assurer qu'il disposent des appareils électroniques et de la formation nécessaires. En fait, la formation TÉLUQ qui est supposée les aider finira vraisemblablement en même temps que la fin des classes.  
  • Il annonce que le retour en classe en septembre sera partiel ou complet alors qu'en réalité, il devrait aussi - et surtout - prévoir un scénario d'enseignement complet à distance s'il veut éviter de répéter la situation qu'on connait actuellement.

Bref, on est devant un énorme cafouillage et tout le monde est insatisfait, épuisé: parents, enseignants, directions. Le réseau scolaire public a perdu, tout comme son ministre, beaucoup de lustre dans toute cette crise. M. Roberge a voulu sauver la face et c'est tout le réseau qui en paie le prix aujourd'hui.

Bien des enseignants s'évertuent à donner des cours en ligne à des élèves démotivés, quand ils sont là, alors qu'on devrait préparer la prochaine rentrée qui s'annoncera tout sauf ordinaire. Bien des profs se sentent incompétents dans leur travail et sont blessés de voir certains jeunes aussi peu respectueux des efforts qu'ils font pour tenter de les aider à poursuivre leurs apprentissages. J'en connais même qui ont devancé leur retraite! Bien des parents tentent de devenir les accompagnateurs de leurs enfants et maudissent les devoirs qu'ils doivent leur faire faire. Certains se plaignent même de recevoir trop de courriels et demandent qu'on cesse de les importuner!  Bien des directions suivent des consignes qu'elles savent inutiles tout en se demandant quand elles vont enfin pouvoir retrouver leur souffle et cesser de travailler 60-70 heures par semaine comme c'est le cas depuis deux mois... Pour la différence qu'elles reçoivent comme salaire, aussi bien revenir à l'enseignement.

Tous ces efforts en valent-ils vraiment la peine? Je ne crois pas. Comme on l'a vu, les parents des élèves en difficulté ne les ont pas envoyés en classe. Où sont-ils? Que font-ils? Dans une école près de chez moi, on est sans nouvelle de deux familles depuis le 13 mars. Et les élèves en difficulté qui sont en télé-enseignement, combien va-t-on en sauver quand un prof au secondaire fait des visioconférences avec parfois 80-100 jeunes à la fois? Ils sont encore plus noyés dans la masse que s'ils étaient en classe. Pour les aider véritablement, il aurait fallu concentrer nos efforts exclusivement sur eux et cesser de nous éparpiller. Pis encore, à quoi sert toute cette énergie dépensée quand on sait qu'au retour, en septembre, il faudra inévitablement revoir tout ce qui n'a pas été abordé depuis la mi-mars dans tous les groupes?

Mais non: il fallait bien paraitre. Alors, comme enseignants, comme parents parfois, nous participons tous à cette triste comédie. Celle de sauver la face d'un ministre.

Plus concrètement, M. Roberge n'a pas actuellement l'autorité morale pour assurer la rentrée de septembre.  Et sa façon d'agir ne rassure pas les différents acteurs du réseau. Il  ne reconnait pas ses erreurs. Il blâme et fait la leçon aux autres. Les verbes «exiger», «obliger» et «réitérer» sont devenus fréquents dans ses missives comme un enseignant qui a perdu le contrôle de son groupe et qui tente de le retrouver en se basant sur son autorité perdue plutôt que sur sa compétence et son leadership. Cela ne me plait pas d'en arriver à ce constat et je souffre de voir le domaine auquel j'ai consacré autant d'efforts être si malmené et mal mené.

Si chaque intervenant en éducation doit savoir se remettre en question et accepter la critique, l'exemple de ce comportement doit venir d'en haut. Pour retrouver la confiance de ses troupes, ce qui est éminemment souhaitable, M. Roberge doit se livrer à un sérieux examen de conscience.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Que dire de plus PM
C’est bien ça la réalité du monde scolaire public. Oui il y aura un été avant cette prochaine rentrée mais un été à se demander quel genre d’automne on aura et à réfléchir à des moyens d’entrer 15 pupitres dans un local trop petit, sans ventilation. Je pense déjà aux chaleurs de septembre à passer toute la journée dans un même local.
Déjà, en temps normal, l’été fait mal sur le plan des apprentissages, on ne retrouve pas nos élèves où on les avait laissés mais là!!
Je n’ose pas imaginer l’effet du confinement, du temps de trop sur les tablettes ou devant la télé, du manque de routines ...
Malheureusement oui ça fait réfléchir à une retraite hâtive.
Merci pour ce texte
Lady

Anonyme a dit…

Bon portrait de la situation. « Insatisfaire » n’est cependant pas un mot, il me semble, même si les actes du ministre Roberge évoque cette idée! Jo, content d’être à la maison par un concours de circonstances... Moi, j’aime bien parier optimiste sur le mimétisme de Sars-cov-2 sur son prédécesseur. On va bientôt alors chercher les cas et l’école reprendra son cours normal en septembre.

Carmen Poitras une grand-mère outrée a dit…


Encore une fois un ministre de l'éducation complètement incompétent . Misère !