16 juillet 2007

La mort, les services essentiels et la longueur du gazon

Bon, c'est l'été. Certains médias n'ont rien à se mettre sous la dent. Pas de pont qui s'écroule, pas de fusillade meurtrière, pas d'histoire sexuelle juteuse, pas de déclaration politique tonitruante... Ils attendent donc tous que quelques soldats québécois se fassent tuer en Afghanistan.

Alors, pour l'instant, on se rabat comme on peut sur une nouvelle qui dure dans les faits depuis le 16 mai dernier: le lock out des employés du cimetière Côte-des-Neiges. Après tout, il y a des morts dans cette affaire-là, des gens célèbres même... Sauf que, parfois, il y a aussi des commentaires désolant.

Vaut mieux se taire...

Le premier vient de la bouche même du fils du hockeyeur Maurice Richard qui déplore l'état du terrain ou est enterré le célèbre Rocket.

«C'est un non-respect de la mémoire de mon père, mais c'est aussi un non-respect de la mémoire de tous ceux qui reposent là», s'insurge Maurice Jr, informé par le Journal de l'état dans lequel se trouve le monument de son géniteur. «Franchement, il ne faudrait pas que ça dure éternellement, avertit Maurice Richard Jr. Je veux bien comprendre qu'il y a un conflit, mais ils devraient assurer les services essentiels, comme dans d'autres secteurs», raconte le fils, qui compte se rendre à la tombe du «Rocket» dans les prochains jours pour réparer les dégâts.

Invoquer le non-respect des morts, à la limite, je veux bien, mais demander qu'on assure les services essentiels quant à l'entretien de la pelouse d'un cimetière, là, je décroche! On confond services essentiels et services réguliers, quant à moi. Ce genre de commentaire montre le peu de compréhension que plusieurs individus ont des relations de travail. Et cette confusion fait bien l'affaire de certains.
Tout d'abord, les employés du cimetière Côte-des-Neiges ont été mis à pied par la Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal à la suite d'un débrayage surprise, si j'ai bonne mémoire. Ils ne sont plus en grève et le conflit stagne surtout parce que les deux parties le laissent allègrement pourrir. On joue à qui est le plus fort, comme d'habitude.

Par ailleurs, à force de hurler au respect des services essentiels à chaque fois que va survenir un conflit de travail, la notion de rapport de force entre employés-employeurs va finir par foutre le camp. On assiste d'ailleurs depuis un bout de temps à des conflits de travail dont l'issue est très significative.

  • Un premier exemple: prenons le dernier conflit à la Société de transport de Montréal. Les employés assuraient le transport des usagers matin, soir et fin de semaine. D'accord, ce n'était pas le service régulier, mais ce n'était pas non plus la catastrophe. Dans ma région, on a moins que cela tous les jours et on nous casse les oreilles avec le fait qu'il ne faut pas utiliser notre voiture pour aller au travail! Quoi qu'il en soit, certains politiciens en ont profité pour surfer sur la vague de mécontentement des Montréalais et faire du capital politique en obligeant les employés de la STM à retourner au travail. Tout le monde était content: le méchant syndicat a pris son trou.
  • Un deuxième exemple: la loi 142 qui a même été condamnée par le Bureau international du travail. Il suffit de relire cette loi spéciale pour voir à quel point elle brime, entre autres, la liberté d'expression.
  • Un troisième exemple: le conflit au Journal de Québec.
Dans les faits, on le voit, on assiste, lentement mais sûrement, à une réduction du pouvoir des travailleurs syndiqués lors d'un conflit de travail. Je ne dis pas que les demandes syndicales des employés du cimetière Côte-des-Neiges sont raisonnables. Un débrayage surprise qui empêche l'inhumation de certains corps n'est pas une stratégie syndicale particulièrement brillante. On a un devoir moral et des notions éthiques, même quand on est fossoyeur.
Simplement, comme on vit encore au Québec et non pas aux États-Unis sous la gouverne de Ronald Reagan (rappelez-vous du congédiement des contrôleurs aériens en 1981...) ou à l'époque du maccarthisme, il faut laisser le libre jeu à la négociation et effectuer, comme personne touchée par un conflit de travail, des pressions pour qu'il se règle véritablement. Déjà, certaines familles ont entrepris un recours collectif contre la fabrique Notre-Dame. À la STM, en passant, il n'y a rien de régler.
Sinon, qu'on remette carrément en question le droit de grève au Québec au grand plaisir de certains employeurs. À cet effet, j'ai hâte de voir comment vont réagir certains exaltés anti-syndicaux quand ce sera à leur tour, un jour, de voir leur droit de négocier limité de la sorte.

En passant, et sans méchanceté, Maurice Richard Jr ne va pas souvent au cimetière Côte-des-Neiges, il faut croire. C'est le JdeM qui l'a mis au courant de cette situation qui dure depuis deux mois. Le respect de la mémoire des morts, c'est plus que des mots, je crois. Et quant à remettre le terrain en état, il est plutôt chanceux, Junior : quelqu'un, plus vite sur ses patins, a déjà fait le travail à sa place aujourd'hui...

Vaut mieux ne pas écrire

J'aime Patrick Lagacé, habituellement. Il fait un bon duo avec Richard Martineau, même si tous deux gagneraient à fouiller davantage leurs dossiers parfois avant d'émettre une opinion. Mais c'est la contrainte de leur boulot: il faut parfois gueuler vite et fort.

Ce matin, l'agacé, c'est moi. En effet, le chroniqueur de La Presse y va du coup de plume suivant à propos de l'état des terrains du cimetière Côte-des-Neiges et plus spécifiquement des propos de Maurice Richard Jr: «Je déplore simplement qu’il se dit beaucoup de conneries pour une patente sans conséquence.»

Si je partage son point de vue sur ce point précis, comme on l'a constaté, je trouve qu'il manque de sensibilité et qu'il est complètement à côté de la plaque quand il écrit: «Euh, ouais, comment puis-je dire ça délicatement, donc… Allons-y : je voudrais juste souligner que les trépassés en question étant morts, il y a de très, très, très fortes chances qu’ils se contre-crissent complètement de l’apparence de leur tombe. »

Patrick, les cimetières, ce n'est pas fait pour les morts, c'est fait pour les vivants. C'est ce qui distingue l'homme de la bête. Le deuil, les rituels, tout cela est purement symbolique et vise à apprivoiser nos angoisses. Et les vivants ne se contre-crissent pas de l'apparence de la tombe d'êtres qu'ils aiment.
Cela étant dit, les vivants ont juste à aller au cimetière entretenir le terrain ou reposent leurs proches s'ils veulent qu'il ne soit pas à l'abandon. Personne ne le leur interdit. Conflit ou pas, j'y vais aux deux semaines et je ne sois pas mort. Bien au contraire, je ne m'en porte que mieux. J'en profite pour visiter un peu, philosopher, faire des recherches historiques, photographier des monuments intéressants. «C'est grand la mort, c'est plein de vie dedans», disait Félix Leclerc.

Tant qu'à vouloir écrire sur ce sujet, cher Patrick, pourquoi ne pas t'attarder à ces quelque 300 familles qui ne peuvent pas vivre leur deuil de façon décente parce que le corps de la personne qu'elles pleurent est entreposé dans un reposoir réfrigéré en attendant que le conflit se termine?

13 commentaires:

Unknown a dit…

Bonjour prof,
j'ai pris le temps de lire vos propos et je voulais simplement vous en remercier.

Hortensia a dit…

Ça n'a pas de bon sens prendre les morts en otage comme ça!!! ;-)

Rigolade mise à part, billet fort pertinent.
Je suis toujours sidérée de constater à quel point les attaques aux droits des travailleurs sont tolérées et même encouragées par une majorité qui déteste les syndicats. Cette haine, très souvent fondée sur une ignorance crasse, est d'ailleurs alimentée par les médias qui se font un plaisir de donner une mauvaise image des dirigeants syndicaux (je sais que certains le méritent amplement, mais bon) et des différents conflits de travail sans distinction.

Par contre, pour reprendre votre exemple, lorsque le Bureau international du travail condamne la loi 142, c'est à peine si les médias en parlent. Je me souviens d'un article dans Le Devoir et de 30 secondes au Téléjournal.

Assez consternant tout ça...

Ness Eva a dit…

Jacques Rougeau, ex-lutteur, est allé faire du débroussaillage au cimetière. Armé de son "weed-eater", il a redonné vie aux tombes de sa famille (ses parents et son frère) et de quelques autres tombes.

Gageons que c'est lui qui a débroussaillé Maurice...

Je trouve son geste très honorable.

Le professeur masqué a dit…

Marc: bien le bonjour ici! Il est dommage de ne pas pouvoir en savoir plus sur vous, mais j'accueille le remerciement avec gratitude!

Hortensia: merci du commentaire! J'essaie d'être pertinent même si je suis parfois impertinent! Je suis assez critique à l'égard des syndicats. je crois qu'ils devront revoir leurs façons de fonctionner (je reviendrai sur ce sujet un jour), mais ils me semblent essentiels dans notre société. Les gens n'ont pas idée de ce que serait celle-ci s'il n'y avait que le libéralisme économique qui y régnait. Pensons à Conrad Black ou à PKP...

En passant, «prendre les morts en otage», ben, un intervenant du blogue de Lagacé l'a réellement écrit. je cite:

«mat_biologiste

Les employés sont en lock-out parce qu'ils étaient en train de vandaliser tout l'équipement du cimetière. Faudrait peut-être s'intéresser à la source du problème, soit le syndicalisme du type "je prend la population en otage", sauf que dans ce cas-ci, ce sont les morts qui sont pris en otages...»

Ness: Bonjour à vous! Je connais quelque peu un des fils Rougeau. Cela ne m'étonnerait pas de lui. Un gars de principe et de caractère. Je l'appelle «Monsieur» et pas juste parce qu'il est imposant physiquement...

A.B. a dit…

C'est bien connu en psycho et en psychanalyse que sans corps, le deuil est difficile voire même impossible; le lieu physique du monument funéraire permet de concrétiser la disparition, la mort. De l'apprivoiser tant que faire se peut.
Ces 300 familles dont il est question dans le billet sont, à mon avis, les véritables victimes de tout ce conflit. Il est déjà terrible de perdre un proche; je trouve que c'est un manquement grave à l'éthique que toutes ces personnes ne puissent vivre leur deuil d'une manière convenable. Encore une fois, les syndicats perdent la face. Je suis d'accord avec toi quand tu écris, au sujet des syndicats: «je crois qu'ils devront revoir leurs façons de fonctionner (je reviendrai sur ce sujet un jour), mais ils me semblent essentiels dans notre société.» Disons qu'ils ont un travail d'image sérieux à faire...

unautreprof a dit…

Excellent billet. Avec des jeux de mots en plus à me rendre verte de jalousie.

unautreprof a dit…

verte comme les herbes qui envahissent les tombes (au cas où mon allusion soit trop subtile).

J'essaie un peu trop desesperemment non?

Le professeur masqué a dit…

Safwan: tu connais mon esprit critique envers les syndicats. Ce n'est pas parce qu'ils sont essentiels qu'ils doivent être cons, disons...

Un autre prof: merci du commentaire et content de vous lire ici!

Anonyme a dit…

Cher Prof masqué,

Tout n'est-il pas à refaire et n'avons-nous pas vécu le capitalisme jusqu'à la moelle... Il a tant changé de visages, et nous continuons à le combattre, ou plutôt ses extravagances, ses oblitérations, ses injustices incroyables, avec des moyens qui datent de ses débuts.

Pour moi, la grève en est un exemple, de même que sa réponse gouvernementale, fasciste, si tu me passes l'expression, imposant les conditions de travail. Et le meilleur « patron » pour ses propres employés, avec tout le contenu négatif que ce mot suggère. Il fait et défait les lois : comment le prendre au sérieux.

La grève du transport en commun aurait pu pratiquement me jeter à la rue, moi qui suis une occasionnelle sur liste de rappel, travaillant en dehors de l'horaire vieillot et absolument inadapté décrété par les mesures d'urgence. Et imaginons maintenant les pauvres. C'est, pour moi, injuste, cruel, aberrant. C'est à droite car ça n'interroge rien en profondeur, c'est une arme automatique qui évite de se poser des questions difficiles à répondre comme « Quels moyens seraient réellement efficaces et justes envers les moins nantis, les précaires et les pauvres, bref quelles seraient les stratégies et tactiques vraiment utiles? Et d'abord quelle est la lutte que nous menons? En quoi consiste-t-elle? Avec quels objectifs? ».

La grève aiguise les conflits entre les moins nantis, ne considère pas le problème social dans son ensemble, y compris l'environnement et est devenue un outils pour contribuer aux manipulations idéologiques (les bons/les méchants, manichéisme) de la part du gouvernement et des patrons. Bref...

Pour le cimetière, oui, il y a divers aspects. L'hypocrisie, en quelque sorte du « c'est le travail des autres d'entretenir mes morts », (j'ai la conscience tranquille), le fait justement souligné qu'un cimetière est un lieu pour les vivants et non pour les morts. Une sorte de rappel de notre finitude à nous aussi, portant toute notre incompréhension, nos questions, nos sentiments d'injustice ou autres.

Et encore là, qui va souffrir? Ceux qui ne peuvent vivre leur deuil de manière décente, certainement pas des millionnaires.

Prof je ne suis pas arrivée à lire tous tes billets et pourtant les sujets sont passionnants pour moi. Je m'en excuse. Je suis dépassée par les soins au minou très malade et les préparatifs pour soulever la maison et refaire les fondations. J'ai de la difficulté à m'intéresser à quoi que ce soit de sérieux en ce moment. Je vais surtout vers le jeu, la détente, pour passer à travers tout cela.

Heureusement, tu as la modération es commentaires, comme ça, je sais que tu me liras, même en retard.

Le professeur masqué a dit…

Zed: c'est vrai que la grève opprime et attaque peut-être les plus petits que les gros. Existe-t-il des alternatives? Est-ce le moins pire des moyens, pour paraphraser Churchill? Il y a là matière à réflexion, tout au moins.

Quant au cimetière, je trouve qu'il n'y avait pas beaucoup de profondeur dans le billet de M. Lagacé, au demeurant souvent excellent. La façon dont on traite les mourants, les malades, les morts et les personnes âgées est trè révélatrice.

Pour le reste, pas obligée de me lire : ) Parfois, il faut s'étourdir, lâcher son fou un peu et arrêter de penser! Le minou, les fondations, c'est beaucoup en même temps! Mais j'ai plaisir à prendre connaissance de vos commentaires.

Anonyme a dit…

Une obligation? Non. En anglais on dirait un « must ». Je ne lis pas tant de blogues que ça et le tien, d'habitude, j'y vais tous les jours. Pour dévier de mes routes ou partager celles qui sont communes.

Bonne fin de semaine!

Zed :)

LynneCW a dit…

Salut Prof Masqué,
pour faire des analogies animales, je vais monter sur mes grands chevaux: vous faites preuve d'anthropocentrisme en affirmant que les humains se distinguent des autres bêtes par leurs cimetières, rappelez-vous les éléphants qui retournent aux leurs!
P.S. Coquille avant la mention de Félix: "Conflit ou pas, j'y vais aux deux semaines et je ne sOis pas mort". Y'en a une autre mais j'ai oublié où!
P.P.S. Je suis tombée sur le blogue du prof maudit et le vôtre par une suite aléatoire de clics à partir du blogue “Un taxi la nuit”

Anonyme a dit…

Madame cw,

Permettez, je vous prie, que je vous fasse à mon tour un petit commentaire.

J'adore les animaux et déteste l'anthropocentrisme. Pourtant force est de constater que nous, les humains, ne sommes pas les seuls à nous centrer sur notre propre espèce, même si je déplore ce fait.

Je doute en effet que les éléphants se soucient de nos rituels mortuaires. Ceci dit, un grand nombre d'animaux démontrent une certaine conscience de leur finitude et adoptent des attitudes et comportements particuliers lorsque l'un des leurs décède ou même, à l'occasion, un animal d'une espèce avec laquelle ils sont liés, souvent dans leur vie quotidienne.

Il ne faudrait pas tomber dans l'anthropomorphisme non plus et prêter aux animaux des intentions et un type de conscience peut-être ou peut-être pas propre à l'humain. C'est un sujet délicat à trancher, le type de conscience des animaux, nous incluant.

Serait-ce parce que nous sommes tellement supérieurs qu'ils faudrait être aussi intransigeants et ne pas pardonner une erreur qui n'était motivée, j'en suis sûre, par aucune intention malicieuse?

Maintenant, quand on cherche la « petite bête », on la trouve. En voici quelques exemples trouvées (petites bêtes est féminin) dans votre commentaire.

En français, il aurait fallu, pour utiliser la forme de la lettre adaptée à un courriel ou à un commentaire, utiliser une majuscule au mot « pour ».

Il convient aussi de marquer les paragraphes en laissant un espace entre eux.

Hum... Vous parlez d'« analogies animales ». Ne s'agirait-il pas là d'une figure rhétorique? Prof masqué, laquelle?

Typographie : « suivi d'un espace et espace suivi de ». C'est là la manière, selon l'Office québécois de la langue française, de s'exprimer en utilisant les guillemets français.

L'usage des guillemets anglais est de rigueur dans une double citation, c'est à dire lorsqu'une citation se trouve à l'intérieur d'une autre.

Voici comment on doit écrire un post-scriptum : P.-S., suivi d'un tiret. La virgule ne fait pas partie de l'abréviation.

Les deux-points doivent être précédés et suivis d'un espace.

« Yen », il s'agit bien de la monnaie chinoise?

Prof Maudit écrit son pseudonyme avec des majuscules.

Moi-même, je viens probablement d'en faire quelques-unes et j'en ai très certainement aussi sur mon blogue, des coquilles.

L'entomologie est un domaine passionnant.

Salutations distinguées,

Zed Blog