Lorsqu'on lit le texte intitulé L'école privée, un remède contre un nivellement vers le bas en
éducation écrit par Marc-André Girard, directeur du secondaire au collège
privé Beaubois, on se demande pourquoi
ceux qui valorisent l'école privée se sentent souvent obligés de le faire en
employant une argumentation douteuse et en affichant une attitude quasi
méprisante à l'égard de l'école publique.
S'il y a un débat en éducation qui ne se démode pas, c’est bien celui de la prétendue dualité opposant les secteurs privés et publics. Habituellement, celui-ci occupe l’espace médiatique à l’automne ; il aura fallu que Gabriel Nadeau-Dubois, lui-même un ancien élève de l’école privée, relance le débat en plein printemps pour que l’opinion publique s’enflamme une fois de plus. Résultat : on répète ad nauseam les mêmes arguments année après année. En effet, il s’agit de l’un des rares dossiers d’actualité qui est récurrent et dont on n’apprend rien de plus d’une année à une autre. Bref, on débat pour débattre.
M. Girard ne semble pas comprendre que, si on questionne
encore la place qu'occupe l"école privée au Québec, ce n'est pas qu'on débatte pour débattre, mais bien que les choses en
restent inévitablement au stade d'un insatisfaisant statut quo. Et si Gabriel
Nadeau-Dubois, lui-même issu de l'école privée, nous y a replongés, c'est
manifestement le signe que quelque chose cloche dans cet aspect du système
scolaire québécois.
Cela dit, au-delà des perpétuelles questions financières, sociales, culturelles, éthiques et politiques, comment voir la présence des écoles privées québécoises différemment ?
Dans son analyse, M. Girard prend bien soin d'éluder
volontairement les aspects financier, social, culturel, éthique et politique de
ce débat. Il met de côté une bonne partie des arguments de ceux qui remettent
en question l'école privée pour ne conserver que ceux qui l'arrangent, soit les
aspects administratif et pédagogique.
Une école privée subventionnée en est une qui est autonome. Bien évidemment, elle ne l’est pas complètement sur le plan financier, mais elle l’est sur le plan décisionnel. Ces décisions y sont prises localement, bien souvent après consultation des acteurs qui y gravitent : membres du personnel, parents, élèves, conseil d’administration, etc. Une fois prises, ces dernières sont implantées immédiatement, puisqu’il n’existe pratiquement aucune structure bureaucratique ralentissant les initiatives du milieu. L’école privée a les moyens de mettre en oeuvre les idées qui sont générées par sa communauté, et ce, autant sur le plan humain qu’organisationnel.
Il est donc plus simple de mobiliser les acteurs, puisque tous prennent part aux initiatives locales. La rétroaction à la suite de la mise en place ne tarde pas et cette information importante n’est pas noyée dans une mer d’intervenants oeuvrant sur divers paliers décisionnels.
L’école privée subventionnée implique donc une meilleure accessibilité aux instances ainsi qu’au personnel qui encadre les élèves.
Tout d'abord, un des avantages de l'école privée est,
selon M. Girard, qu'elle est autonome. Mais «pas complètement» sur le plan
financier, prend-il la peine d'ajouter. Quel doux euphémisme quand on parle
d'un financement public allant de 60 à 75% selon les études! Ensuite, il oublie
de souligner que les écoles privées bénéficient d'une plus grande autonomie
parce qu'elles ne sont pas obligées de respecter les mêmes contraintes que les
écoles publiques: la loi sur l'instruction publique, les limites quant aux
frais exigés aux parents, l'obligation d'accueillir tous les jeunes, peu
importe leurs caractéristiques (EHDAA, décrocheurs, etc.) et j'en passe. Ce qui
est remarquable et que ne constate pas l'auteur de ce texte, c'est plutôt que
l'école publique,dans certains cas, fasse
aussi bien que l'école privée avec beaucoup plus de contraintes et beaucoup
moins de moyens.
L'obligation d'innover
Bien souvent, l’école privée subventionnée permet des percées novatrices en éducation. Cela va de soi : elle vend des services éducatifs à une clientèle qui choisit de s’affranchir d’un service similaire offert gratuitement. Cette école doit se remettre constamment en question et justifier son existence. Elle se doit d’innover. C’est une question de survie.
Quand on y pense, cela rompt avec le modèle où la clientèle scolaire (ce terme en fait sursauter plus d’un qui y collent automatiquement une connotation mercantile ou néolibérale) doit consommer des services éducatifs de façon obligatoire, jusqu’à 16 ans. Trop longtemps, le milieu scolaire a été l’un de ces très rares marchés qui pouvaient peu se soucier des attentes de sa clientèle pour subsister. Entièrement subventionné par le gouvernement, et ce, peu importe le rendement de l’école, de la commission scolaire ou du personnel en place, l’élève a fini par être tenu pour acquis, lui qui doit obligatoirement être présent en classe. En somme, la clientèle est contrainte à consommer des services scolaires prédéterminés.
M. Girard explique également que l'école privée a
l'obligation d'innover pour satisfaire sa clientèle. Il n'y a qu'un pas à faire
pour déduire que l'école publique, elle, peut à toute fin pratique stagner et
se complaire dans la médiocrité. Et pourtant: parlons-en du fameux «struggle
for life» de l'entreprise privée néo-libérale en éducation. Combien d'écoles
privées ai-je connues bien assises sur leur réputation et dont le conservatisme
était presque une marque de commerce? Dans les faits, c'est avec la venue
des programmes particuliers dans le réseau public que plusieurs écoles privées
ont commencé à se décoincer. Auparavant, il existait parfois une certaine
concurrence entre divers établissements privés d'une même région, mais la venue
de nouveaux joueurs au sein du réseau public a brouillé les cartes. Quand les
parents ont compris qu'ils pouvaient trouver au public des programmes tout
aussi intéressants et stimulants qu'au privé, certains n'ont pas hésité et les
établissements privés ont dû se réajuster.
L’école privée offre un choix, et avoir des choix, c’est une composante inéluctable d’une démocratie. Également, avoir des choix et devoir payer pour un produit déjà offert gratuitement implique que les écoles doivent faire face à des attentes élevées de la part des payeurs, et ce, autant en ce qui concerne les parents que le gouvernement.
L’école privée offre un
choix, affirme M. Girard. Oui, principalement celui de la ségrégation des
élèves basée sur le revenu des parents. L'école
publique aussi offre des choix et elle en offre à des jeunes bien plus
différents que ceux qu'on retrouve à l'école privée. Les élèves qui y sont
inscrits proviennent de milieux socio-économiques bien plus variés que ceux des
écoles privées. De plus, ces élèves sont bien moins homogènes: en 2011-2012,
20,1% des élèves du secteur public étaient des EHDAA comparativement à 2,6% à
ceux du secteur privé. Et on ne parle pas des épreuves de sélection à l'entrée
et des expulsions quand des élèves n'atteignent pas un certain degré de
performance.
L’école privée subventionnée n’a pas le choix de satisfaire les attentes. En fait, de nos jours, on s’attend à plus que simplement satisfaire les attentes d’une clientèle ; il est question de les dépasser. D’où la place centrale de l’innovation dans bon nombre de ces écoles… Il est désormais question de justifier son existence et de demeurer pertinent dans le monde scolaire.
Contrairement à ce que
sous-entend M. Girard, l'école publique,
elle aussi, doit satisfaire les attentes des parents. Il est faux de penser que
ceux qui y inscrivent leurs enfants se désintéressent tous du parcours scolaire
de leur progéniture. Parlez-en aux
directions d'école qui, chaque jour, doivent vivre avec les demandes de parents
qui ne trouveraient pas satisfaction au secteur privé où les services
complémentaires (psychologues, orthopédagogue, etc.) sont soit inexistants soit
payants.
L’école privée subventionnée tire le monde scolaire québécois vers le haut depuis longtemps. Le nouveau débat public entourant les subventions de ces écoles a tendance à évacuer ce fait ou encore à prétendre que c’est justement grâce au trésor public que les écoles privées subventionnées sont en mesure d’innover. Si on argumente dans cette logique, le réseau public devrait innover encore plus, non ?
Affirmer que l'école privée
tire vers le haut le monde scolaire québécois est donc une généralisation
erronée: des écoles publiques s'en tirent tout aussi bien, sinon mieux, que
certaines écoles privées. Renchérissons en indiquant que cette affirmation de
M. Girard est contredite par un récent avis du Conseil supérieur de l'éducation
sur ce sujet.
Enfin, pour mieux comprendre les campagnes de dépréciation des écoles privées subventionnées, on doit en revenir au constat de base en éducation québécoise au XXIe siècle : ceux qui innovent et qui font autrement sont victimes de l’effet beige, cet immense vortex uniformisateur qui nivelle sans cesse vers le bas au nom de l’équité et de l’égalité des chances, et ce, autant pour les élèves que le personnel scolaire !
Enfin, en éducation, s'il
existe bien une institution qui peut se plaindre d'être victime de campagnes de
dépréciation, c'est bien l'école publique. Des textes comme ceux de M. Girard
en sont un bon exemple. Bien des enseignants des écoles publiques sont aussi
compétents, sinon plus, que ceux des écoles privés. Si on leur donnait les
mêmes conditions que leurs confrères du privé (des élèves triés provenant de
milieu socio-économique favorisé, par exemple), ils pourraient sûrement en
faire autant sinon plus. Par contre, je ne parierais pas sur le contraire:
combien d'enseignants choisissent d'enseigner au secteur privé justement parce
qu'ils ne veulent pas à avoir à relever le défi d'enseigner à tous les types
d'élèves?
Il est si facile de regarder
les autres de haut quand on n'a pas les mêmes défis. Les écoles publiques, de
par leurs nombreuses missions, consacrent d'importantes sommes et des efforts
considérables pour scolariser des élèves qui, sinon, n'auraient nulle part où
aller parce que l'école privée n'en voudrait tout simplement pas. À moins
qu'ils soient payants, bien sûr...