09 novembre 2019

Projet de loi 40: l'épitre du Cardinal

François Cardinal, de La Presse, signe un éditorial pour le moins douteux sur le projet de loi 40 ce matin. Douteux pour diverses raisons que j'énoncerai ici.

Un ministre enseignant n'est pas un gage de compétence en éducation

M. Cardinal présente celui qui propose ce projet de loi, l'actuel ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, en affirmant qu'il «sait de quoi il parle» parce qu'il a oeuvré dans ce domaine. Or, ce n'est pas parce que M. Roberge a été enseignant pendant 17 ans qu'il connait le fonctionnement d'un réseau scolaire et qu'il est automatiquement apte à diriger le MEES.  On a vu ce que des ministres pourtant médecins ont fait du réseau de la santé. On devrait juger M. Roberge en tenant compte de ce qu'il dit, de ce qu'il écrit et de ce qu'il fait. De grands ministres de l'Éducation n'ont jamais été enseignants, mais ils ont su écouter et s'entourer d'une équipe leur permettant de marquer l'histoire de ce ministère.

Dans certains dossiers, M. Roberge a pris des mesures courageuses, notamment en ce qui a trait aux écoles dites religieuses. Par contre, il suffit d'analyser le projet de loi 40 pour comprendre à quel point sa vision de l'éducation est réductrice et sa vison des enseignants pire encore.

Par ailleurs, divers intervenants en éducation que je connais et qui ont eu affaire à M. Roberge (et même des membres de son propre parti) m'ont partagé le sentiment qu'il manifeste, dans certains dossiers, une attitude problématique. On n'a qu'à penser à son refus de reconnaitre s'être trompé en payant des intervenants provenant de l'extérieur du Québec lors de la commission parlementaire sur les maternelles quatre ans.

M. Roberge aime avoir raison. Il est persuadé de posséder toutes les bonnes solutions et écoute peu les idées contraires aux siennes. Mais peut-il en être autrement quand son premier ministre n'a de cesse de le présenter comme un Sauveur? Autour de moi, on dit même qu'on est manifestement devant un clone de M. Jolin-Barrette et que le ministre, s'il ne corrige pas son attitude, connaitra le même sort que son confrère.

La fameuse anecdote des dictionnaires

M. Roberge cite souvent cette anecdote des dictionnaires que rapporte ici M. Cardinal sans plus de nuance. Il se souvient qu'une enveloppe budgétaire «fermée» l'avait empêché d'acheter des dictionnaires alors qu'il estimait en avoir besoin pour ses élèves.  Il faudrait préciser que, contrairement à ce qu'écrit M. Cardinal,  l'usage de ces enveloppes budgétaires est rarement décidée par les commissions scolaires, mais bien par le ministère que dirige aujourd'hui M. Roberge. On parle alors de mesures «protégées» qui ne peuvent être transférées à un autre poste budgétaire.

Cette anecdote relevant d'un discours politique populiste m'a toujours fasciné pour trois raisons. La première est qu'on peut se demander si le ministre actuel est contre les règles de gestion comptable que son propre ministère impose aux commissions scolaires et aux écoles. Suivant sa logique administrative, dès sa nomination, il aurait dû abolir ces règles et laisser les écoles dépenser les sommes qu'on leur octroie comme bon leur semble. Or, il n'a posé aucun geste en ce sens.

La seconde est la fin de l'anecdote où l'on apprend que les somme que convoitait le futur ministre pour acheter des dictionnaires avaient été dépensées en clés USB inutiles. M. Roberge réalise-t-il qu'il fait ainsi la preuve que, lorsqu'on laisse aux écoles le soin de dépenser des budgets, elles ne le font nécessairement avec sagesse? Or, ce sont à ces mêmes écoles qu'il entend confier plus de pouvoirs, affirme-t-il, avec le projet de loi 40.

La troisième est que le ministre, en pleine période de surplus budgétaire, n'a posé aucun geste afin de mettre un terme à la rareté des dictionnaires et des grammaires qu'il a été à même de constater dans nos écoles comme enseignant. Au contraire, il a reconduit des sommes importantes pour l'achat massif de matériel informatique pédagogique, une mesure sur laquelle on devrait se questionner fortement.

Une fausse autonomie

Mais il n'y a pas que M. Roberge qui manque d'analyse logique. M. Cardinal répète exactement la même erreur de croire qu'une école plus autonome serait nécessairement plus compétente. L'éditorialiste de La Presse montre plus loin dans son texte sa compréhension inexacte du projet de loi 40 quand il écrit:

«C'est là que le mérite du projet de loi 40 se révèle : les écoles seraient tout simplement gouvernées par le conseil d’établissement, qui aurait le dernier mot sur le projet éducatif de l’école. Il pourrait ainsi statuer sur les orientations de l’établissement, les horaires, la grille-matières, les arts enseignés au primaire, etc.»

En effet, contrairement à ce qu'il affirme, avec ce projet de loi, le projet éducatif d'une école devra être cohérent, entre autres, avec les directives imposées par le ministre mais aussi avec les mesures de réussite décidées  par ce qu'on appelle paradoxalement (et de façon illogique) le centre de services auquel elle appartient. De même, il faut ne rien connaitre en ce qui a trait à la gestion du transport scolaire pour croire qu'une école peut décider seule de son horaire.

M. Cardinal ne semble pas d'ailleurs remarquer la propre contradiction de sa position quand il qualifie d'«irritant», plus loin dans son texte, le fait que le ministre concentre un nombre important de pouvoirs en déterminant «les cibles et les objectifs des centres de services ainsi que les exigences liées à leurs rapports annuels.» Notre éditorialiste, qui dénonçait le fait que les écoles actuelles ne sont que des succursales des commissions scolaires, ne semble pas réaliser que c'est exactement le même sort qui attend et les écoles et les centres de services: être des succursales relevant directement de l'autorité du ministre de l'Éducation.

Enfin, comment ne pas être consterné par la conclusion de ce texte qui montre une fois de plus la profonde incompréhension du débat actuel de son auteur?

«Cela dit, ne perdons pas de vue l’essentiel : le gouvernement élimine enfin la politique du réseau scolaire. Il réduit les risques d’excès et de dérapages bureaucratiques. Il limite le contrôle imposé d’en haut aux écoles. Et surtout, il abolit enfin des instances en crise de légitimité depuis trop d’années.»

Premièrement, le projet de loi 40 n'élimine pas «la politique du réseau scolaire»: il élimine des contre-pouvoirs, permettant ainsi au contraire au ministre d'exercer un plus grand contrôle politique sur le réseau scolaire québécois. Si on voulait éliminer la politique de réseau, on confierait un plus grand rôle aux professionnels qui y oeuvrent, ce qui n'est pas le cas, mais on s'assurerait aussi que les données scientifiques probantes occupent une plus grande place dans les décisions de tous les jours en éducation. À cet égard, on remarquera que le ministre Roberge est bien plus pressé d'éliminer les commissions scolaires que de présider à la création d'un centre d'excellence en éducation, pourtant une promesse de la CAQ.

Deuxièmement, ce projet de loi ne réduit pas «les risques d'excès et de dérapages bureaucratiques»: le ministère de l'Éducation continuera d'exercer un contrôle administratif et budgétaire à la fois sur les centres de services et les écoles. Aucun fonctionnaire ministériel, aucun cadre scolaire ne voit son emploi menacé. Les nombreuses rééditions de compte auxquelles les directions d'école doivent se livrer chaque année et relevant directement du ministère de l'Éducation ne seront pas magiquement abolies. Les seuls qui y goutent, dans les faits avec ce projet de loi,  sont les commissaires scolaires et les enseignants, comme si c'était eux les responsables de l'actuelle situation de l'éducation au Québec. Rien n'empêchera l'anecdote des dictionnaires de se reproduire.

Troisièmement, malgré les beaux discours, on le comprend bien, le contrôle «imposé d'en haut» aux écoles demeure: à cet égard, que cela plaise ou non, il est en partie nécessaire pour s'assurer de la coordination régionale de certains services.

Quatrièmement, le projet de loi ne fait pas qu'abolir des «instances en crise de légitimité». Il élimine un niveau démocratique qui embête depuis longtemps tous les ministres qui se sont succédé à l'Éducation, mais aussi tous les cadres scolaires qui croient ainsi pouvoir jouir illusoirement de plus de liberté.

En terminant, plus on connait le monde de l'éducation, plus on est déprimé de lire certains commentateurs de l'actualité, dont on publie les épitres comme si elles étaient des vérités. Avec le projet de loi 40, les écoles ne seront pas «libérées»: elles seront encore et toujours asservies, mais autrement.





3 commentaires:

Sylvain a dit…

À la lecture du texte de Cardinal, je pensais sérieusement avoir affaire à une infopub! C’est tout dire!

Loyola Leroux a dit…

Plus d’autonomie pour les profs ?

Pour enseigner les théories du genre, et autre modes actuelles ? Pour inciter, pousser les jeunes de 1e année, à changer de sexe ? pour provoquer des crises d’éco-anxiété chez les plus faibles des jeunes ? Non !

Qui est autonome dans notre société ? Imagine-t-on donner toute l’autonomie qu’ils réclament aux cols bleus de la ville de Montréal, pour entretenir les trottoirs pendant un verglas ? Non !

La formule du prof masque : ‘’ m'ont partagé le sentiment ‘’ me laisse pantois… c’est du pur jeannettebertrantisme, son raisonnement va à l’avenant…

Peggy O. a dit…

Cardinal a l’habitude de faire dans le douteux quand vient le temps de parler d’éducation:
https://www.lapresse.ca/debats/editoriaux/francois-cardinal/201803/24/01-5158607-professionnaliser-la-profession-de-prof.php