14 février 2010

Adulte

Le 15 février 1992, vers minuit trente, Fille masquée était conçue. Un petit spermatozoïde plus vaillant que les autres avait fait son chemin.

Le miracle de la vie, me direz-vous.

Le 0,01% de défaillance du condom, m'expliquera le pharmacien.

225 mg d'Effexor pendant trois ans, me suggéra le médecin.

«Tu es responsable de ce que tu as dans tes culottes», finira par me dire un de mes frères.

Une pesante ancre attachée à mes pieds, moi qui savais si peu nager.

Jamais je n'ai voulu croire à un geste mal intentionné. À un complot féminin. Parce que si tel était le cas, j'aurais sûrement mis fin à mes jours.

Alors que ma fille apprenait à vivre dans ce monde, j'apprenais à ne pas y mourir. À croire en l'avenir, même s'il n'était plus le mien. Trop égocentrique encore pour comprendre que même notre avenir ne nous appartient pas toujours. Trop égocentrique pour comprendre que la seule chose qui nous appartient vraiment est cette volonté de vivre. Tout comme ce petit spermatozoïde vaillant et insignifiant.

Fille masquée. Une enfant de l'amour. Une enfant d'une dernière nuit entre sa mère et moi. Comme une dernière étreinte avant un déchirement. Un dernière caresse avant une rude bataille. Un dernier baiser avant une morsure. Un dernier éclat de lumière avant la noirceur.

Fille masquée a longtemps été l'enfant de l'ambiguïté. Celle d'une paternité non désirée d'une fille pourtant remarquable. Celle d'une culpabilité de regarder s'épanouir cette enfant que j'aurais souhaiter avortée. Celle de devoir revoir chaque semaine une femme que j'ai aimée et que j'ai appris à détester plus je la connaissais parce qu'elle me haïssait d'exister. Celle d'un père à qui on demandait de prendre sa place tout en la lui niant.

Dix-huit ans marqués de lutte contre une mère qui m'a souvent plongé dans la dépression et l'amertume. Dix-huit ans ou seul l'amour éprouvé pour ma fille m'a soutenu. Dix-huit ans ou j'ai voulu demeurer son père sans savoir si je voulais demeurer pour moi.

Ma fille a été conçue il y a dix-huit ans cette nuit et chacun de ses sourires, chacune de ses caresses me serre le coeur. Je lui ai donné la vie, malgré moi et grâce à moi. La longue culpabilité a cédé la place au sentiment d'être un bon père, aimant, présent et dévoué.

Aujourd'hui qu'elle est presque une adulte, j'ai, moi aussi, à le devenir. À oublier un certain passé pour mieux vivre cette vie que je lui ai donnée.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Très touchant et plein de dure vérité...

Noisette Sociale a dit…

Quel texte puissant!

Je n'ai pas d'autres mots...

Gen a dit…

Très touchant, oui. (L)

225mg d'effexor? J'ai "toughé" 150mg pendant quelques mois avant de demander autre chose parce que c'est vraiment trop fort ce truc (trop fort dans le sens de "jemesenscoupéedumondecommesij'étaisspectatricedemavie").

Je sais ce que c'est la dépression. Pas facile chaque jour, mais quand on remarque les beautés de la vie (comme ta fille, même si elle était non désirée), on est sur la bonne voie du bonheur =)

bobbiwatson a dit…

Pourquoi ne pas te contenter de comptabiliser les joies apportées par ta paternité? C'est trop facile de noter les côtés négatifs de l'affaire. Tu es comblé par ta fille: ne regarde rien d'autre.

Pour pouvoir apprécier les beaux côtés de la vie quand on est en dépression il faut avoir de vrais ami(e)s, des gens sur qui on peut compter et à qui on peut parler sans retenue aucune.
Le médicament est une béquille comme l'est une canne pour permettre à la personne à mobilité réduite que je suis de pouvoir se déplacer.

Anonyme a dit…

wow!

Très touchant prof masqué!

Anonyme a dit…

Bobbi,

Parce que c'est loin d'être simple de se faire imposer une situation où souvent on se sent «pas rapport» à part dans le beau petit modèle de société qu'on plaque sur la vie des gens... Moi, comme gars, le rôle de paternité qu'on propose (à distance, en orbite, dans l'ombre, en fonction de...) ne m'a jamais du tout convenu. Mes trippes sont en désaccord. Et y a rien à faire contre le fait d'être strike out...

Se faire tasser est dur à digérer... Ce devoir qu'il faut trouver agréable en se demandant si c'est franchement la vérité ou une posture commode pour camper tout le monde dans un beau rôle. Comme Biz disait hier, on peut ne pas tripper pantoute aussi.

Les raisonnements simples n'y suffisent pas. L'intérieur se rebelle, haït, honnit, révulse...

J'ai eu 3 gars, ils ne m'ont jamais comblé, même si on a eu de bons moments, je me demande franchement si c'est un truc d'homme le «être comblé». Pour ma part, ça s'envisage dans sa forme active!

Non, j'aurais aimé me transmettre, initier, mais même ça, dans cette société pré-arrangée, n'a pas trop de sens.

Je voyage et me tient loin du bobo au lieu de prendre des effexor, c'est un choix. Mariner dans ce jus corrosif, j'ai renoncé.

On est nombreux à avoir mal à la paternité de nos jours...

Et prof, je te comprends, remarque que j'en ai fait 3 sans avoir franchement fait le projet d'en avoir. Bof, bof pour occuper le premier et le 3e bof m'a mis sur la route des effexor, même si ce n'est pas ce que j'ai pris... Mais bon, si j'avais eu au moins une fille, je ne sais pas, peut-être que certaine chose se serait adoucie...

Engagez-vous, qui disait!


Pas Ternaliste (Inspiré de Biz)

Thérape ta dérape,
pas rap, ou âpre,
de père-trappé.

Père-fils
Père-fille
Père-fusion
Ex-pert
Balise tics
Ta gêne éthique

Quand t'es pat,
presque mat
Tu fais pas le smat,
en chèque et mat.
Aime ton pat-.
Terne les stats
des pères-dus
pour la pâté
La pâté ternité.

Thérape ta dérape
Sans mes Mois,
sans mémoire,
du pat terni
thé poivré
Éther nuée
Pâte à muer

Où est le cap?
où tu t'échappes
De ta dérape
De terre à pied
Sage de ta vie
Pas rap!

(excusez là)

Le volatile pierreux.