11 janvier 2008

Des nouvelles de Maude

J'ai eu l'occasion de discuter avec Maude aujourd'hui. Elle est venue dîner dans ma classe. On s'est trouvé un petit coin tranquille, loin de ma quinzaine de dîneurs habituels.

(Il faut savoir que j'ouvre la porte de ma classe le plus souvent possible le midi. Les élèves détestent l'atmosphère de la cafétéria. Dans mon local, ils se retrouvent entre eux, jasent, font des travaux, pigent un livre dans ma bibliothèque qui est en panne actuellement. Parfois, ils parlent un peu fort, mais j'ai quand même le loisir de mettre les bruyants dehors. L'autre avantage est que cette pratique renforce les liens élève-professeur. Il m'arrive de m'asseoir avec eux, de jaser, de les battre aux cartes...)

Quand elle m'a parlé de sa situation cette semaine, je l'ai incitée à rencontrer la travailleuse sociale de mon école. On en a une à plein temps chez nous. Cela me semble tellement nécessaire. D'ailleurs, pourquoi n'y a-t-il pas de mini-CLSC et de maison des jeunes dans les écoles? Plusieurs services destinés aux jeunes devraient y être offerts. Les établissements scolaires auraient avantage à développer des liens avec les services sociaux.

Pour plus d'efficacité, je suis allé voir la travailleuse sociale avant Maude pour la prévenir de ce qui s'en venait. Cette une vieille ruse scoute de ma part: elle gagne ainsi du temps et sait à quoi s'attendre quand un élève frappe à sa porte. Et puis, on fait un certain suivi à deux: moi en classe, elle dans son bureau.

Lors notre discussion aujourd'hui, Maude m'a donc annoncé qu'elle avait pris un rendez-vous dans une clinique spécialisée et qu'elle devrait voir son absence motivée par l'école ce jour-là tout en étant suivi par un spécialiste. D'un côté, j'ai de la difficulté comme père à accepter qu'on puisse accompagner une jeune dans une démarche semblable sans en informer ses parents. D'un autre, je comprends qu'il existe des situations ou ce silence est souhaitable. J'espère juste que, si un jour, Fille masquée vit une situation similaire, elle saura m'en parler. C'est aussi à moi de savoir susciter un tel climat de confiance et d'écoute.

Maude et moi avons jasé pas mal de ce qu'elle vit avec son copain, sa famille. Elle réalise que ce qu'elle va vivre n'est pas un banal rendez-vous chez le dentiste, mais est convaincue que ce n'est pas le temps pour elle de connaître les joies de la maternité. Je n'ai pas trop voulu discuter de ce sujet, à la fois parce que j'ai peur d'être maladroit, mais aussi parce qu'il me remue beaucoup l'intérieur.
En effet, tout cela n'est pas sans me rappeler quand la mère de Fille masquée est venue m'annoncer, deux mois après notre dernière nuit d'amour, qu'elle était enceinte et qu'elle garderait l'enfant. Je repense aussi à la Peste que j'aime bien et qui a eu, si ma mémoire est bonne, un enfant alors qu'elle était jeune.

Prendre la décision d'avorter doit être déchirant dans certains cas. En tant qu'homme, on ne peut pas comprendre tout ce que cela comporte, tout ce que cela implique. Quand une jeune fille de 16 ans vient me jaser de ce sujet, je me sens à la fois si loin, si malhabile et si privilégié d'avoir sa confiance.

Ce fut d'ailleurs ma dernière phrase avec Maude ce midi: «Merci de ta confiance.» Ses grands yeux si parlants me reflétaient tellement son sourire.
On fait ce travail pour les vacances et la paie, ne l'oubliez jamais.

12 commentaires:

unautreprof a dit…

Ils nous en font vivre des histoires ces jeunes.
Je trouve formidable la confiance immense que vous porte Maude. C'est dans de tels moments qu'on sait qu'on fait la différence et que juste pour ça, on passe par dessus toute la lourdeur et l'incohérence administrative.

J'aime bien votre dernière phrase. Moi aussi, comme vous prof masqué, je fais ce boulot facile et complaisant pour la paie et les vacances.

Sylvain a dit…

Et mes yeux, en lisant ce touchant billet tout empreint de la confiance de cette élève envers vous, se sont un peu embués, surtout dans les dernières phrases...

Ça me rappelle des souvenirs d'élèves qui m'ont déjà "jasé" de leurs problèmes...

Anonyme a dit…

Cher Prof Masqué,
Je suis vieux et comprends difficilement...
Autrefois, les moyens de contraception étaient limités et les jeunes étaient très ignorants en la matière.
Les jeunes filles enceintes par accident (je ne parle pas de l'époque des avorteuses aux aiguilles à tricoter) étaient rares.
C'est courant aujourd'hui.
S'agissait-il d'hypocrisie (cachez ce bébé que je ne saurais voir) où les amoureux craignaient-ils le "quand dira-t-on"?
Amitiés

La Marsouine a dit…

@Armand: J'aimerais vous répondre, si vous le permettez. J'avais 16 ans il n'y a quand même pas si longtemps. J'ai eu la chance de ne jamais avoir à affronter cette situation (malgré une ou deux baby scare). Mais plusieurs de mes amies sont passées par là.

Sachez d'abord ceci: AUCUN moyen de contraception n'est efficace à 100%. J'ai actuellement en moi un stérilet hormonale aux probabilités d'efficacité aussi élevées qu'une ligature des trompes. Hé bien ma belle-mère est tombée enceinte avec une ligature des trompes et je suis tombée enceinte cet automne (fausse couche) malgré le stérilet. Gardez donc bien en tête qu'AUCUN moyen de contraception n'est efficace à 100%.

Ensuite, pour avoir une amie de la famille qui est infirmière scolaire et avoir été une ado dans les années 1990-2000, il y a une multitudes de contexte qui peuvent expliquer une grosses indésirée à l'adolescente. Les pires cas: certains garçons «n'aiment pas» le condom et refusent de le porter. Et les jeunes adolescentes à la confiance en elle si vulnérable ont parfois de la difficulté à s'affirmer. Il faut aussi savoir que l'éducation sexuelle n'est pas aussi généralisée qu'on le pense. Certains parents ont encore des tabous immense face à la sexualité. Le contexte socio-économique, la relation avec les parents, la dynamique homme femme dans la société, le fait que les jeunes filles (sans parler de viol) vont souvent consentir sans vraiment consentir à certaines choses (la majorité des jeunes filles peuvent témoigner d'au moins une relation sexuelle non désirée où elles ont consenti pour éviter la confrontation, un coup d'éclat, ou encore pour gagner l'affection d'un garçon).

Je vous dirai donc que le problème de base est l'éducation (qui est loin d'être généralisée et systématique, croyez-moi) et les rôles hommes femmes.

Et puis personne n'est à l'abri d'une gaffe ou d'un faux pas. Je dirais donc qu'il faut laisser le jugement au vestiaire.

bobbiwatson a dit…

L'idée d'accueillir les élèves à l'heure du midi est excellente. Elle renforce le lien prof-élève et permet aussi une utilisation maximale de la bibliothèque de classe. Au fait, pourquoi est-elle en panne?

La Souimi a dit…

Beau billet savoureux. J'irais bien dans votre salle de classe le midi, Prof Masqué. On pourrait regrouper nos élèves et prendre le thé tout en écoutant leurs confidences.

Oui, cette confiance que l'on reçoit de certains élèves... Si ceux qui jugent négativement notre travail, notre salaire et nos congés savaient à quel point nous sommes privilégiés de faire une différence dans la vie des autres...

Anonyme a dit…

Chère Marsouine,
Ce que je constatais, c'est que la situation (filles enceintes et maladies sexuellement transmissibles) semble s'être aggravée.
Toutes les causes que tu cites existaient déjà "de mon temps". Je pense surtout à la fameuse "preuve d'amour" qui est uniquement une preuve d'égoïsme.
C'est comme si l'éducation dont tu parles n'avait fait aucun progrès (ou que les amoureux s'en fichaient): je croyais encore que les enfants étaient fabriqués à la mairie quand j'avais dix ans, alors que j'étais dans un milieu d' "intellectuels"... mais habitants la campagne!
La capote, j'ai dû attendre mes seize ans pour savoir approximativement ce que c'était (sans en avoir vu une, même en photo).
(Et, pour ma femme, c'était encore pire: éducation chez les bonnes sœurs! ;) )
Une autre possibilité est que la fille-mère ou la gamine avortée ne se cachent plus: le malheur n'est plus accompagné de la honte. Ce serait là le seul vrai progrès.
C'était ça la question que je me posais.
Amitiés.
P.S. Excuse-moi si je t'ai blessée, mais les hommes n'ont pas beaucoup de sensibilité! :(

Le professeur masqué a dit…

Un autre prof: je ne suis là que pour les élèves. le reste me pèse de plus en plus.

Sylvain: dans les moments de doute, rappelez-vous ces élèves et votre apport.

Armand et Marsouine: il est vrai que les moyens de contraception ne sont pas efficaces à 100%. De même, l'abstinence (version preacher américain) est une fausse solution.

On croit à tort que les jeunes sont plus informés sur la sexualité aujourd'hui qu'avant. C'est en bonne partie faux et plusieurs jeunes sont mal informés. Enfin, certains prennent des chances. On a fait pareil dans notre temps...

Tout cela a entraîné, au Québec comme dans bien d'autres pays, une augmentation des comportements à risque.

Bobbi: je reviendrai sur la bibliothèque de classe.

Souimi: le Prof masqué ne peut prendre de thé. Il est majoritairement à l'eau pour des raisons de santé. Mais il boit toujours les paroles des autres, surtout quand elles sont remplies de sagesse, ce qui est souvent le cas avec les vôtres!

La Souimi a dit…

Merci, Prof Masqué. En passant, le thé vert, comme vous le savez certainement, ne procure que des bienfaits pour la santé. À boire à volonté!

L'histoire de votre petite Maude m'a rappelé celle de,,,disons,,Berthe. Elle avait laissé son journal personnel sur mon bureau en me demandant de le lire. Elle y racontait avoir vécu un avortement car elle était enceinte de,,, son cousin. J'en avais la chair de poule. Mon intervention a été plus que poche et nulle. Je ne suis pas revenue sur cette lecture avec elle, j'étais trop embarrassée. La seule chose que je lui ai dite a été:" J'espère que tu vas mieux." Et je n'ai jamais voulu ouvrir la conversation avec elle. Ça doit bien faire 10 ans et j'y pense encore...

A.B. a dit…

Tu es touchant, Prof masqué. Je suis toute retournée! Je connais très bien ce local-refuge que tu laisses ouvert aux jeunes, ce climat que toi seul est capable d'y créer. Je le redis: Maude a de la chance d'avoir un enseignant doublé d'un ange-gardien comme toi :o)
En passant, tu as oublié les journées pédagogiques dans les raisons qui font que l'on devient enseignant.

Le professeur masqué a dit…

Souimi: je suis une petite nature digestive. Cela étant dit, on apprend de nos moins bons coups. En même temps, on a tous nos forces et nos faiblesses. Ne vous jugez pas trop sévèrement. Par moment, il y a aussi l'expérience de vie et l'âge qui entrent en compte. D'ailleurs, je pense qu'il doit parfois être très difficile d'intercenir pour certains très jeunes enseignants.

Le professeur masqué a dit…

Safwan: oui, c'est vrai! Je ne comprends pas qu'autant de gens ne veulent plus être ensiegnants.