14 juin 2009

Quand l'école ressemble à un hôpital... (partie 2)

La première partie de ce billet a suscité plusieurs réactions et commentaires sur lesquelles j'aimerais revenir. Il m'a permis, en effet, d'établir quelques constats.

Mais avant d'aller plus loin, l'apport de Sylvain dans cet échange montre qu'il faut relativiser l'information telle que les médias nous la présentent. Pas toujours facile, je le sais.

Tout d'abord, on devrait distinguer les cas lourds des cas légers, les cas agressifs de ceux qui ne le sont pas, par exemple. Il existe un monde de différence entre un élève qui a un déficit d'attention et un autre qui lance des chaises, mord ses voisins et les poignarde à coups de crayon. Sans dire que chaque cas est unique, il faut tout de même ne pas tomber dans la généralisation quand on aborde cette question.

Également, il ne faut pas confondre non plus difficultés comportementales et difficultés académiques. À cet égard, trois de mes élèves performants cette année ont un déficit d'attention nécessitant une médication, ce qui ne les empêche pas de réussir haut la main.

Selon qu'on soit parent ou enseignant, la position quant à cette question est relativement différente. Comme parent, on veut que notre enfant soit intégré, qu'il suive un parcours relativement normal. Comme professeur, on songe davantage à la progression du groupe et à la sécurité des élèves. On pourrait croire que l'intérêt général semble ici s'opposer à un intérêt particulier.

Par ailleurs, comme parent, on peut se sentir mal d'avoir un enfant présentant de telles difficultés à l'école. Mais ce que je remarque, c'est que les parents d'enfants ne présentant pas de difficultés se manifestent peu, du moins c'est ce que je perçois dans les médias. Or, je refuserais que ma fille soit dans la classe d'un élève qui la poignarde à coups de crayon. Je veux bien comprendre, coopérer et blablabla, mais l'inégrité physique de ma fille est plus important que l'intégration scolaire d'un autre enfant. Désolé!

Il faut également savoir qu'au nom de l'intégration, certaines commissions scolaires ont carrément aboli les classes spéciales. Il est donc normal que des enseignants puissent être dépassés par les problématiques auxquelles ils sont confrontés parce qu'ils n'ont pas été formés à cette fin et parce qu'ils n'ont pas les resources supplémentaires pour les accompagner. L'intégration se fait alors selon la volonté ou les capacités de l'enseignant ainsi que la coopération des parents concernés.

C'est d'ailleurs des situations semblables qui m'ont amené à me demander si c'est à l'école (régulière) de s'occuper de ce type d'élèves.

Qu'on me comprenne bien: je ne crois pas qu'il faille retourner à l'époque de Stéphane Laporte ou une infirmité à la jambe signifiait automatiquement l'inscription à une école spéciale, mais ne tire-t-on pas un peu trop sur l'élastique des missions de l'école qui sont, entre autres, de qualifier et d'instruire les jeunes? Ne nuit-on pas à certains enfants en niant des évidences? Par ailleurs, l'école régulière doit-elle répondre aux besoins de tous les jeunes, sans exception? Il fut un temps, le MELS a songé à décerner un diplôme à la fin de la troisième secondaire pour motiver les élèves...

Dans une école de ma CS, on a conservé les classes spéciales, certaines regroupant des cas très lourds. Sauf qu'on y fait très peu d'apprentissages académiques. Dans les faits, la plupart des objectifs à atteindre relevant davantage de l'intégration sociale. Certains élèves qu'on y retrouve seront incapables de fonctionner seuls dans la société. Les enseignants tentent de les responsabiliser en s'assurant qu'ils font de petits boulots utiles comme balayer, s'occuper du recyclage, etc. Je ne veux pas dévaloriser leur travail, mais est-ce à eux de s'occuper de tels cas? Est-ce à l'école?

Dans la même veine, j'ai vu des classes spéciales ou l'on aurait pu faire davantage d'apprentissages académiques significatifs mais ou les profs et la direction ne s'en tenaient surtout qu'au volet «socialiser» parce qu'on sous-estimait les jeunes.

Quand je me me demande si c'est à l'école de s'occuper de certains types d'élèves, ce n'est pas pour qu'on se débarrasse de ceux-ci. Ceux qui me connaissent savent à quel point je favorise la proximité des clientèles différentes. Proximité ne veut cependant pas dire mixité et intégration. Je m'interroge seulement à savoir s'ils reçoivent véritablement les services appropriés et si leur présence ne brime pas le droit d'apprendre des autres élèves.

Également, je crois de plus en plus que davantage de liens devraient exister entre les CLSC, les maisons des jeunes et l'école. À tel point que certains jeunes devraient peut-être relever davantage du ministère de la Santé et des Services sociaux que de celui de l'Éducation.

Enfin, je ne sais pas. Je me questionne. C'est tout.

PS: ce mot à part pour Lia. Je partage entièrement le point de vue de PMT quant à ce qui est scandaleux.

Cette année, j'ai un jeune qui présente un déficit d'attention important et qui a certains traits de comportement faisant penser à l'autisme. Le dossier du primaire du jeune n'a pas suivi au secondaire. Sa mère n'a pas voulu nous informer de son cas pour ne pas stigmatiser son enfant, pour lui donner une seconde chance.

Résultat: son gamin, pourtant pas con du tout, est en échec dans plusieurs matières. Il est marginalisé à cause de son comportement étrange même si je le trouve particulièrement attachant. Voilà le scandale: nier les évidences pour croire qu'elles vont disparaitre toutes seules.

2 commentaires:

Lia a dit…

Prof masqué, comme parent et comme enseignante, j'aime beaucoup ta formule:

"Également, je crois de plus en plus que davantage de liens devraient exister entre les CLSC, les maisons des jeunes et l'école. À tel point que certains jeunes devraient peut-être relever davantage du ministère de la Santé et des Services sociaux que de celui de l'Éducation."

Jonathan Livingston a dit…

Intéressante réflexion nuancée sur la question. J'ajouterais mon grain de sel.

A l'origine, quand on a fait l'organisation scolaire, on avait prévu un certain ratio d'élèves par classe en fonction d'un enseignement de groupe traditionnel. Autour, il y avait l'enseignement adapté...

De plus en plus, on demande aux enseignants de supporter en surplus différentes charges tout en gardant les mêmes ratios d'élèves: l'intégration des élèves des élèves différents et l'individualisation de l'enseignement de la réforme ou du renouveau démagogique.

Ce qui m'embête dans votre analyse et dans la plupart des analyses que je vois sur la question, c'est qu'on écrit partout comme une évidence que les profs ne sont pas assez formés et manque d'aide. Comme s'il ne suffisait que de donner plus de formation...

A mon sens, il y a plus important, les enseignants n'ont pas la faculté d'ubiquité et l'espace d'une classe avec 32 élèves (enfants dits normaux) et un prof est déjà une unité fonctionnelle d'éducation limite sinon démesurée pour que vraiment un enseignant puisse avoir une attention suffisante et spécifique pour chaque élève comme le voudrait la réforme. Déjà là, je ne comprends pas les enseignants d'avoir accepté qu'on parle de pédagogie différentielle sans modification significative des ratios de base.

Les problématiques particulières des élèves en difficulté toujours plus intégrés ajoutent à la tâche de l'enseignant. Juste adapter les conditions d'un examen pour un élève avec un plan d'intervention, demande de beaucoup de temps. Si l'enseignant ne s'assure pas que chaque détail est organisé, en général, personne ne va s'en occuper. Chaque année, ces demandes et personnalisations augmentent en nombre avec toujours plus de temps à y mettre pour régler les détails...Rien ne semble vraiment baliser cette intégration: jusqu'où peut-on étirer la sauce? A mon avis, tant qu'on ne crie pas assez fort. Pris dans notre langue de bois réflexive à ménager la chèvre et le choux, l'enseignant est le grand perdant de sa qualité de vie et en bout de ligne les élèves paient. Quand un prof quitte en cours d'année écoeuré ou malade, qu'il se fait remplacer par deux ou trois personnes plus ou moins compétentes, il n'y a pas de suivi sérieux pour les élèves en difficulté et pour les autres c'est la qualité de l'enseignement qui en souffre. Même si je fais de mon mieux pour ramasser des situations, les mois nécessaires pour construire une relation pédagogique me manquent. Si je ne suis que de passage, les élèves investiront très peu dans cette relation, car ça ne vaut pas vraiment la peine... Remarquez je peux les occuper, faire avec eux semblant que tout va bien et la direction va être même contente. Pour ce que ça vaut...

Dans certaine école, on demande même d'enseigner plusieurs niveaux en même temps à de très grands nombres d'élèves. Sommes-nous si pauvres pour offrir de si mauvaise condition à nos jeunes?

Et en plus, la génération de jeunes que nous avons est la plus expressive qui soit. Avec dans trop d'écoles, des systèmes d'encadrement trop peu développés ou organisés qui épuisent les enseignants...

Et en bout de ligne qui est toujours responsable de tout?

Dans les matières de bases au secondaire, comme je l'imagine bien au primaire, le mandat de l'enseignant a depuis longtemps dépassé l'ordre du réalisme...

Je veux bien répondre au besoin des jeunes, n'empêche que je revendique le droit de dormir sur mes deux oreilles, donc d'avoir une tâche humainement «gérable»...

Pour le moment, on pousse le bouchon toujours et toujours entre l'idéal et ce que faire se peut. réel.