12 janvier 2008

IEDM : onze idées pour secouer le Québec

Ce matin, le Journal de Montréal, il va d'un dossier choc en demandant à des économistes de l'Institut économique de Montréal (IEDM), un organisme reconnu pour ses positions de droite et émettant des reçus pour don de charité, d'y aller de l'avant avec «onze idées pour secouer le Québec».

Je ne suis pas féru en économie, mais quelques lignes à peine permettent de constater qu'il s'agit davantage d'un devoir bâclé ou on lance des idées sans trop réfléchir et sans les analyser en profondeur, notamment en éducation. Voici quelques petits exemples.
Proposition 1: hausser les frais de scolarité

Mathieu Laberge propose «Le dégel asymétrique des droits de scolarité faisant en sorte que les étudiants paieraient 40 % des coûts de leur formation. Par exemple, un étudiant en lettres paierait 1604 $ par session, soit moins qu’à l’heure actuelle. Un étudiant en médecine paierait 4627 $ par session. Le dégel asymétrique serait accompagné d’une nouvelle manière de rembourser les prêts étudiants, qui serait calculée proportionnellement aux revenus des diplômés. Cela serait moins contraignant que de rembourser la dette en totalité sur une période arbitraire de dix ans, comme c’est le cas à l’heure actuelle.»

Si vous pensez qu'il s'agit d'une mesure intéressante et équitable, attendez de lire le reste. Il y a un ver dans la pomme.

«Avantages : Mettre fin à une injustice entre les élèves tout en injectant de l’argent neuf dans le système d’éducation. En outre, cela inciterait peut-être certains étudiants à opter pour une formation professionnelle au secondaire ou technique au collégial, ce dont le Québec a besoin.»

Oups! Faut-il comprendre qu'on souhaite moins de savoir et plus de bras? Derrière les propos de M. Laberge, on comprend que l'éducation a comme seule utilité de former des travailleurs peu ou pas spécialisés. Moi qui pensais qu'on visait à établir une économie du savoir au Québec. Tout à coup, un doute m'effleure. Tout cela me rappelle les propos de M. Dumont qui estimait que certains programmes universitaires étaient moins utiles que d'autres.

Proposition 3 : 25 écoles pour les décrocheurs

Paul Daniel Muller et Marcel Boyer proposent de «Créer un corps d’élite de 1000 enseignants et de 1000 employés de soutien qui seraient déployés dans 25 écoles de «performance» situées en milieu défavorisé. Les membres de ce corps d’élite seraient payés en moyenne 20 000 $ de plus par an que les autres employés du système.

Ils seraient recrutés sur la base de leurs compétences. En outre, ils ne seraient pas syndiqués, ce qui permettrait de la flexibilité à l’embauche et leur remplacement rapide s’ils n’arrivaient pas à atteindre leurs objectifs. Leur mission : contrer le décrochage efficacement.»

Tout d'abord, cette idée a quelque chose d'odieux: elle impute une bonne partie du décrochage scolaire à l'éducation et aux enseignants eux-mêmes.

«Le groupe que l’on doit protéger au premier plan, ce sont les enfants. On veut qu’ils réussissent. Le congédiement d’un professeur incompétent ne nous empêchera pas de vivre.» – Marcel Boyer

«La véritable solidarité sociale est de mettre de l’argent pour envoyer nos professeurs les plus compétents enseigner dans les secteurs les plus difficiles.» – Paul Daniel Muller

Or, de nombreuses études démontrent que ce sont des facteurs socio-économiques et personnels (donc extra scolaires) qui sont les plus grandes causes du décrochage scolaire. Dans certaines régions du Québec, ce sont même les employeurs qui incitent les jeunes à décrocher parce qu'ils ont besoin de main-d'oeuvre peu spécialisée. En France, une mesure similaire a eu peu d'impact.

Quant aux causes scolaires entraînant le décrochage, peut-on parler de la gestion actuelle des ressources dans nos écoles? des incompétents qui nous administrent? des incompétents qui nous dirigent? des incompétents qui nous gèrent? Pas un mot là-dessus. Ou sont les leaders pédagogiques dans nos milieux de travail? Ou sont les ressources pour appuyer nos ambitions? Dépensées dans du mobilier pour des bureaux de cadre et de direction?

Plusieurs enseignants (si j'écris tous, on va me traiter d'utopiste) souhaitent que leurs élèves réussissent, mais voient leurs actions limitées par des contraintes autres que syndicales. Dans plusieurs cas, ce sont justement les enseignants qui protègent les enfants contre les incompétents au-dessus d'eux. Sauf qu'il est tellement plus facile de frapper sur le plus petit...

De plus, cette proposition omet de préciser que les décideurs scolaires tolèrent les enseignants incompétents en éducation à la fois parce qu'ils sont incapables de juguler la grave pénurie de personnel qui persiste depuis 10 ans, qu'ils ne s'assurent pas qu'ils reçoivent une formation adéquate et qu'ils ne supervisent pas adéquatement les enseignants en place connaissant des difficultés professionnelles. Quand des employés travaillent mal dans une épicerie, on peut toujours les congédier. Mais quand la situation perdure, on peut s'interroger aussi sur le travail du gérant de ce commerce.

Ensuite, on comprend que ces deux économistes estiment implicitement que le Renouveau pédagogique n'a pas atteint l'un de ses objectifs qui était de contrer le décrochage: «Le décrochage scolaire est un fléau, particulièrement chez les garçons issus de milieu défavorisé, et aucune mesure, jusqu’à présent, n’a pu contrer ce phénomène.» C'est bizarre de ne pas les entendre le dire à d'autre moment que quand il s'agit de livrer le Québec pieds et mains liés au secteur privé.

Si l'on revient plus précisément à cette proposition maintenant, elle est tout simplement irréalistes parce que le Québec connaît actuellement une grave pénurie d'enseignants. Ou va-t-on trouver les 1000 membres de ce «corps d'élite»? Va-t-on déshabiller Jacques pour habiller Pierre?

De plus, elle pose l'argent comme étant une motivation pour attirer ces super professeurs. Méchant critère de formation d'une équipe d'enseignants: le fric! Au moins, si les deux économistes avaient proposé des classes plus petites, davantage de spécialistes (en pénurie eux aussi, en passant), on aurait senti un peu de pédagogie et d'humanité...

Enfin, cette proposition tient peu compte des régions ou les élèves en voie de décrochage devront parcourir de longues distances afin d'avoir accès à ce type d'école spécialisée.

Proposition 4 : les fonctionnaires payés au rendement

Yannick Labrie propose que «Le Québec pourrait s’inspirer de l’expérience de la Suède et mettre en place un régime de rémunération individualisé pour les employés de la fonction publique en vertu duquel les augmentations annuelles se feraient à 50 % selon la hausse du coût de la vie et à 50 % selon la performance et le mérite. « Tous, même les cadres, seraient soumis à cette mesure. Ça améliorerait le recrutement dans la fonction publique, comme dans l’enseignement par exemple.»

Personnellement, je suis très intrigué de savoir comment on peut mesurer le rendement d'un enseignant en éducation. Une telle idée m'inquiète beaucoup quant à la véritable qualité du service offert. Comment la mesure-t-on? Ou se situe la Suède dans le palmarès mondial de la qualité de ses élèves?

Et un petit détail croustillant pour M. Labrie: une telle mesure m'aurait valu une augmentation de salaire au cours des dernières années puisque celui-ci est gelé par le gouvernement Charest.

Proposition 5 : soumettre le secteur public à la concurrence du privé

Mathieu Laberge propose «Que les services financés publiquement – des Postes aux bibliothèques en passant par la collecte des ordures, etc. – fassent l’objet d’un appel d’offres où des entreprises privées seraient en concurrence avec les unités syndicales du secteur public pour l’obtention d’un contrat. Les contrats seraient d’une durée de cinq ans.»

Peut-on indiquer à cet éminent spécialiste que les Postes sont de juridiction fédérale... Peut-on lui indiquer que, dans le cas de l'éducation, une telle mesure est tout simplement impossible étant donné le nombre de postes à combler? Règle générale, cette mesure s'appliquerait qu'à de petites unités syndicales ou à des emplois peu spécialisés.

M. Laberge mentionne que cette mesure a entraîné des économies de 38 millions à Philadelphie. Quand on sait que le budget d'une telle ville se mesure en milliards, il n'y a pas de quoi s'exciter. Un programme d'économie d'énergie serait tout aussi efficace.

Si vous vous donnez la peine de lire les autres propositions, certaines sont de la même eau. «Onze idées pour secouer le Québec»? Il est vrai que rire est une forme de secousse. Seulement, on peut rire même quand ce n'est pas drôle. À croire que le Journal de Montréal est devenu un journal de droite. Vous pouvez toujours aller commenter ces idées sur le Forum de discussion du JdeM sur ce sujet.

J'attends donc avec impatience qu'il publie les onze idées pour secouer le Québec de la part de nos intellectuels de gauche.

PS : L'illustration de ce billet est un peu facile, mais je ne pouvais pas y résister.

10 commentaires:

La Marsouine a dit…

Je ne me souviens plus dans quelle émission ou dessin animée j'ai vu cette scène mais je la décris: les enfants apprenait le tableau des éléments McDonald, faisait des mathématiques avec des canettes de Pepsi (si Marie a 3 cannettes de Pepsi Diet et Julien a 2 canettes de Pepsi...), etc. etc. C'était une satire mais je crois que plusieurs compagnies rêvent réellement de ce genre de choses. Après tout, les enfants sont extrêmement sensible à la publicité et à la solicitation. Quand les écoles seront elles-aussi devenues des entreprises, je crois que ce sera la fin de l'espoir.

PKP doit fantasmer sur une classe de musique où tous les morceaux entendus sont disponibles chez Archambault.

Le professeur masqué a dit…

La Marsouine: parlant de PKP, il faudrait bien qu'il se secoue lui aussi si on en croit Radio-Canada:
«Le titre de Quebecor World a chuté de 24,6 % à la Bourse de Toronto vendredi, terminant la séance à 92 ¢. Depuis un an, le titre de l'imprimeur a chuté radicalement. En février 2007, il valait 17,25 $.»

Se rappele-t-on que la Caisse de dépôt et de placement du Québec a investi dans ce truc-là, je crois.

L'ensaignant a dit…

PKP me donne le même effet que le PFK. Je vous évite les détails....

Anonyme a dit…

Cher Professeur Masqué,
Je crois être d'accord sur les grandes lignes: ces idées sont imbuvables!
Mais n'ayant jamais enseigné, prends mon commentaire pour ce qu'il vaut: valeur nulle.
Première proposition.
Les études de lettres seront bradées, or ce sont les études pour lesquelles il y a pléthore de diplômés, tandis que les études onéreuses (ingénieur par exemple) ayant un taux d'échec et une demande élevés (en Europe, du moins) auront encore moins de succès par sélection au pouvoir d'achat.
Ecole des décrocheurs.
En Belgique et en France, les écoles ZEP ou "à discrimination positive" ont une mauvaise réputation car certains perturbateurs rendent la vie impossible aux profs. C'est l'effectif de profs qu'il faut augmenter!
Fonctionnaires payés au rendement.
Dans l'enseignement, mission impossible, comme tu le fais remarquer.
Concurrence du privé.
Les salaires et régimes sociaux sont différents (je pense à la Belgique et à la France): des passerelles seraient impossibles à créer, je crois.
Laisser son empreinte est probablement le but de "l'Institut économique de Montréal". Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de le faire ainsi!
Amitiés.

Le Prof a dit…

Être payés au rendement... Ça me rappelle l'idée de la toujours subtile Mme Elgrably qui proposait que les enseignants soient payés selon la réussite des élèves.

Les oncologues accepteraient-ils d'être payés au nombre de patients qui guérissent du cancer? Et les cardiologues, selon le nombre de cardiaques qui ne meurent pas?

Une part de la réussite des élèves me revient, c'est vrai. Par contre, une foule d'autres facteurs (soutien parental, milieu socio-économique, etc.) entrent en ligne de compte ce qui fait qu'une corrélation directe entre mon enseignement et la réussite de mes élèves ne peut être établie. Et souvent, nous avons des élèves qui ne veulent pas fournir d'efforts, comme des cardiologues qui ont des patients qui refusent de cesser de fumer et de manger moins gras même après un quadruple pontage.

La droite peut être aussi imbécile que la gauche.

Le professeur masqué a dit…

En saignant: ça vaut mieux, quoiqu'on aurait pu constater de visu la bonne maîtrise que tu as des accords des adjectifs de couleur...

Armand: l'IEDM est au fond un groupe de pression qui vise à lancer des idées pour que les gens adoptent des points de vue de droite, des idées toutes faites et magiques... La réalité est plus complexe que ces penseurs ne le croient.

le prof: et vice-versa!

A.B. a dit…

Quand j'écris sur mon blogue (ici) que n'importe qui se mêle d'éducation, ces recommandations de l'IEDM en sont un exemple désolant. J'ai vraiment l'impression, depuis quelque temps, que l'IEDM se fait (paie?) de la pub dans les médias beaucoup plus régulièrement qu'avant. Y'a aussi Nathalie Elgrably qui ne laisse pas sa place. Misère...

Anonyme a dit…

Tiens,tiens! En tant que parent, vu la tendance de nous mettre «tout» sur le dos, cela fait drôle de voir les enseignants se faire reprocher l'échec des élèves!!

Non franchement, je n'adhère pas. J'en ai bien contre vous, mais comme le dit «le prof», ça n'a aucun sens: il y a trop de facteurs à prendre en considération.

«C'est la faute à» trop de facteurs justement. Si le problème est tant au niveau des milieux défavorisés, on sait où investir... l'ARGENT, pas la cohorte de profs! Un «bon» prof ne va pas régler les problèmes socio-économiques qui déconcentrent, démotivent et agressent les jeunes!
Ça peut aider, sûrement, mais ce n'est pas tout!

Professeur Masqué, vous dites:

«Oups! Faut-il comprendre qu'on souhaite moins de savoir et plus de bras? Derrière les propos de M. Laberge, on comprend que l'éducation a comme seule utilité de former des travailleurs peu ou pas spécialisés. Moi qui pensais qu'on visait à établir une économie du savoir au Québec.»

Vous savez, la seule session universitaire que j'ai eu la possibilité de faire (un cancer a achevé ma lancée...) m'a tellement donné l'impression d'apprendre des choses essentielles (j'avais vraiment l'impression de me déniaiser), que je peux comprendre qu'il est vraiment dommage que tous n'y aient pas accès.

Par contre, tant qu'à décrocher de toute façon, il vaut mieux pousser dans le sens du DEP ou du DEC Technique que de se retrouver avec rien du tout. Sauf que c'est encore profiter de la vulnérabilité des jeunes issus des milieux défavorisés pour les «récupérer» économiquement au lieu de leur donner la possibilité de poursuivre des études supérieures.

Je vois ça comme une solution à court terme, mais si elle peut faire sortir de la misère, c'est toujours ça de pris. N'empêche que j'ai tendance à penser que le savoir donne une dimension plus intéressante à la vie, sans parler du genre de travail et de rémunération, et aide à mieux nous «démerder» avec nos problèmes existentiels...

Dont les dettes étudiantes font partie. Ceci dit, j'ai vu trop d'étudiants qui ne trouvent pas de boulot avec un Bacc. L'Université ça veut souvent dire au moins la maîtrise pour survivre par la suite...

Être en constant état de survie (milieu défavorisé + pauvreté d'étudiant), c'est très dur pour rester motivé (et en santé).

Bon, je me suis un peu éloigné je crois. «Scusez-la»

Mario Asselin a dit…

Je viens de prendre connaissance des «fameuses 11 idées» et de votre discussion. Sur la proposition de «payer au rendement» les gens en éducation, je suis d'accord que cette idée ne tient pas la route, mais dans l'ensemble, je suis étonné de votre réaction. J'ai l'impression que vous avez beaucoup accroché au fait que les idées viennent de l'IEDM et que, forcément, ce sont des idées de droite... et donc, qu'elles ne peuvent constituer de bonnes pistes de travail. Je me trompe?

Pourtant ce matin chez Christiane Charette, j'entendais Jean-François Lisée dire à l’économiste Marcel Boyer «qu’il partageait en bonne partie les idées avancées par l’IEDM». M. Lisée n'est-il pas associé à une gauche disons «efficace» (cette expression vient le lui). Sur le site de l'émission de Mme Charette (http://www.radio-canada.ca/radio/christiane/modele-document.asp?docnumero=50383&numero=1880 ), il est possible d'en savoir un peu plus sur cette discussion qui m'a paru très constructive. En tous les cas, elle m'a donné le goût d'analyser davantage (et de considérer) certaines de ces propositions!

À suivre!

Le professeur masqué a dit…

M. Asselin: Effectivement, l'IEDM me hérisse les poils à l'occasion. Sauf que la base de la proposition 3 (écoles pour décrocheurs) est l'incompétence des enseignants (syndiqués). Désolé, mais c'est un peu facile et cela démontre une certaine méconnaissance des causes expliquant le décrochage. J'ai bien de la difficulté avec les gérants d'estrades... qui manifestement n'ont seulement n'ont pas enseigné au secondaire mais ignorent la nature du jeu.