Il y a tout d'abord Un autre prof. Et puis, Ju, un prof de cégep, qui m'a envoyé un texte décrivant une journée de sa vie professionnelle.
Une journée de Ju
(en hommage à Soljenitsyne)
J’enseigne dans un cégep… au cas où vous vous demanderiez pourquoi j’ai si peu de cours et que je suis toujours en réunion!!!…
Mercredi, 8h
J’enrage contre la circulation. Même si je fais mon travail d’informatrice, je n’aime pas les bouchons. Surtout quand ils font que je serai tout juste à temps pour la réunion…
Mercredi, 8h30
Réunion d’un comité. Bilan d’une activité parascolaire. On est 8 dans ce comité. Certains ont travaillé plus que d’autres, comme d’habitude. Mais comme l’activité en était à sa 20e édition et que les vieux-de-la-vieille (dont moi) sont là depuis 14 ans, on ne s’inquiète plus tellement du déroulement de la chose. On se dit, toutefois, qu’après 20 ans, on pourrait repenser certaines façons de faire. On ne remet pas le fonctionnement en question, mais il est sain de vouloir modifier des choses. J’adore ce comité-là, même si F et GF se trainent la patte un peu. Le plusse beau de cette activité-là, c’est de la vivre avec 100 jeunes qui ont choisi de la vivre… C’est pour les jeunes qu’on est là. Qu’on soit prof ou n’importe quoi d’autre, dans cette bâtisse. On a tendance à l’oublier, parfois.
Comme on est sympathiques et qu’on s’aime, on a apporté de quoi déjeuner. G. a apporté une salade de fruits et, fidèle à lui-même, S. a apporté des beignes. Dans mon cas, hier soir, après mon cours à l’université, vers 22h, j’ai fait un détour chez Fairmount pour aller chercher des bagels tout chauds… Surprise! M. a apporté du mousseux. Ça fesse, le mousseux, à 9h…
Et fidèles à leurs habitudes, F. et GF n’ont rien apporté. On se demande ce qu’ils font dans ce comité, à venir chauffer une chaise… Au moins, ils ne nuisent pas.
Mercredi, 10h30
Fin de la réunion. Je remonte à mon bureau. J’ai à peine le temps d’envoyer des courriels, de répondre à ceux que j’ai reçus, de retourner mes appels, de répondre à mes collègues de bureau (nous partageons le même espace, à trois collègues), d’encourager la Petite du bureau dont c’est la première année dans cette jungle, de rappeler à mon coordonnateur de département qu’on a une autre réunion demain matin (mais que je serai absente parce que j’ai une autre réunion à l’extérieur… Misère…), de m’assurer que les documents que j’ai envoyés à la secrétaire de la direction des études sont arrivés et de passer aux services financiers pour aller chercher 14,50$ que le cégep me devait… qu’arrive la réunion de département, prévue à 11h15. Ouf! J’ai quand même réussi à en faire pas mal, en 45 minutes!!!
Mercredi 11h15
Autre réunion. Ça me tue. Cinq heures de réunion dans une journée, c’est invivable. Comment est-ce que le reste de ma job avance, dans ce temps-là??? Bon, c’était prévu pour 11h15… mais ça commence à 11h25, le temps que l’ensemble des collègues aient la décence de se pointer. Ça aussi, ça me tue. On pourrait pas commencer à l’heure? Est-ce que vous commencez vos cours 10 minutes en retard, vous? Est-ce que vous arrivez dans vos cours 10 minutes après son début présumé?
Le pire, dans les réunions, c’est quand le monde se répète. « Je ne répèterai pas ce qui a été dit, mais… » Et vlan, on répète. Au moins, n’ayez pas la décence de faire une mise en garde bidon.
On a eu la chance (je ne suis pas ironique, c’était vraiment une chance) d’avoir la visite de l’adjointe ce midi. Au moins, quand elle est là, ça avance. Elle a une formation d’ingénieure, l’adjointe. Alors, l’épanchement et les crises de diva, elle n’en a rien à foutre. Faut que ça avance. Et dieu merci, ça avance. Le malheur, c’est qu’elle n’est restée que 45 minutes… sur 2h30 de réunion…
Des réunions d’épanchements… Aucune proposition proposée, aucune proposition votée, donc aucune proposition adoptée. Un sujet chaud : les derniers devis du MELS qui nous imposent d’évaluer la compétence à réviser des élèves. *Soupir*. On va leur donner des points pour avoir fait une flèche entre le sujet et le verbe? Discussions interminables à prévoir. Encore.
Mercredi 13h45
Fin de la réunion. Je n’en peux plus. Je n’ai pas diné et j’ai un cours dans 15 minutes… Mon bagel du matin est assez loin merci. J’ai à peine le temps de ramasser mes affaires et de monter en courant dans mon local. C’est une chance : mes étudiants sont en examen. Officiellement, le cours est de 14h à 16h, mais comme je dois leur donner 2h10 pour faire l’examen, on commence un peu avant (rassurez-vous : il n’y a pas de cours dans mon local tout juste avant). Donc, j’installe ma faune, il est 13h50. Je passe les questions : ils ont 2h10 pour écrire 1200 mots sur l’importance des personnages dans les quatre derniers romans qu’ils ont lus (Thérèse Raquin, La Peste, Le Liseur, Le Cœur découvert). Ils n’ont droit à aucune aide : ni dictionnaire, ni grammaire, ni ouvrage de conjugaison… ni leurs œuvres. Ne vous en faites pas, ils sont capables. Ce sont des finissants. Ça fait deux ans qu’on travaille pour qu’ils y arrivent.
Comme ils sont « grands », je me permets une escapade hors classe pendant qu’ils rédigent : je suis allée me chercher un sandwich à la cafétéria que je suis revenue leur manger dans la face… En fait, ils ne se sont même pas aperçu de ma disparition temporaire ni de mon diner. Qu’on s’entende : je peux faire ça dans cette classe-là. Pas dans les autres…
Je profite de (presque) deux heures de surveillance pour… travailler : j’ai écrit, hier soir, des lettres de recommandations à trois de mes Petits qui demandent des bourses pour étudier à l’université l’an prochain. Je révise mes lettres et comme j’y ai apporté des changements, je vais devoir faire les modifs à mon bureau, tout à l’heure, avant de les imprimer. J’ai quand même apporté les enveloppes ici, je prends un peu d’avance. J’ai passé l’heure suivante à relire des parties du roman qu’on étudiera en classe dès la semaine prochaine…
Mercredi, 16h
Fin de l’examen de production écrite. Je ramasse les copies pendant que mon collègue – et ses étudiants – trépignent dans le corridor. Dieu qu’on a pas le temps de jaser à la fin d’un cours. Allez, hop! Tout le monde dehors… Heureusement, C. est d’une extrême gentillesse. Je l’aime beaucoup comme collègue. Il est dans sa deuxième année, une carrière venue sur le tard, il entame sa quarantaine. Mais ce n’est pas parce qu’on a 40 ans qu’on n’a pas de questions quand on commence à enseigner…
J’ai (presque) hâte de lire ce qu’ils ont écrit. Comme ils achèvent leurs études et que je leur ai enseigné à leur première session, j’aime beaucoup voir comment ils ont progressé en 18 mois. C’est fascinant. C’est là que je me dis que je dois servir à quelque chose…
Mercredi, 16h10
De retour dans mon bureau. J’ai 20 minutes devant moi. Je retourne encore des courriels… Qui a dit que ça allait faciliter notre vie, les courriels? C’est fou le temps que je passe dans une journée à envoyer et à répondre à ça…
Je réussis à partir à 16h30, un miracle.
Mercredi, 17h
J’arrive à l’université. Ce soir, c’est mon soir de plaisir. Je me suis inscrite à des cours d’espagnol. Pourquoi? Pour arrêter de penser. Un peu raté, vous me direz. J’aurais dû me mettre au tir à l’arc ou à la danse en ligne, si j’avais vraiment envie de ne pas penser. Mais là, je regarde mon prof aller… et je me dis que c’est un bon prof. J’admire ses qualités humaines, son sens de l’humour, la façon dont il écrit au tableau, les exercices qu’il donne et sa façon de répondre à nos questions. Ses qualités pédagogiques, quoi. Ben oui, que voulez-vous, un prof, quand c’est assis dans une classe, ça regarde l’autre aller… et ça prend des notes! Même après 21 ans dans la profession…
Mercredi, 22h
Je rentre chez moi. L’espagnol m’a fait du bien. Comme chaque semaine, d’ailleurs. Reste que j’ouvre quand même l’ordinateur. J’ai du matériel à préparer pour ma réunion de demain. J’ai passé une bonne heure devant l’ordi, à rapailler ce dont j’avais besoin, l’ordre du jour de la réunion, des notes sur les gens que j’allais y rencontrer (je devais en aborder quelques-uns pour une journée pédagogique que j’organise, en juin, au cégep).
Mercredi, 23h50
Je me fous à l’horizontale. Une autre journée remplie. Comme d’habitude. Il y a quelques années, à la demande de mon directeur des études, j’avais comptabilisé le plus sérieusement du monde toutes les activités que je faisais à tous les jours, pendant un an : préparation de cours, prestation de cours, correction, disponibilité aux étudiants, réunions de toutes sortes, coordination du programme dont j’ai la responsabilité et tutti quanti. Conclusion? Je suis payée pour 32h et demi par semaine… et j’en travaille en moyenne 43. Il y a effectivement des semaines de 32,5 heures, mais il y en a aussi d’autres de 70… (en période de correction notamment). Mais jamais, au grand jamais, je ne remettrais en question mon choix professionnel. Parce qu’il y a les Petits, en tout premier lieu (même s’ils sont grands, maintenant…). Parce qu’il y a la création. Parce qu’il y a une certaine liberté (j’ai enseigné au secondaire, je peux comparer…). Parce qu’il y a les collègues (la plupart ont ben de l’allure).
Mercredi… oups! Jeudi, 0h15
Je regarde distraitement la télé, installée dans ma chambre pour mieux m’abêtir au moment de me coucher… Je regarde TVE, le poste espagnol (oui, je paye pour ça : ça m’aide à pratiquer). Heureusement, ce soir, le beau Vicente Valles est encore là. Ça va m’aider à faire de beaux rêves. En attendant le cadran qui, horreur, va me réveiller à 6h demain matin. Pour une autre journée semblable à celle que je viens de vivre. Je ne me plains pas : j’assume les choix que j’ai faits.
5 commentaires:
Ah, intéressant!
Lourds ces réunions!
Je ne me vois pas prendre du mousseux avant un cours, hihi;)
Je veux que Ju devienne mon amie !
Sa description est très fidèle à la réalité d'un prof de Cégep.
Miss: Ju, c'est mon amie. Bon!
Tsss. Prof masqué: on t'a pas appris à partager?
Ju: aps quand c'est quelqu'un de si précieux.
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